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N° 1602

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 juillet 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Nicole LE PEIH, Sylvain MAILLARD et les membres du groupe Renaissance (1) et apparentés (2),

députés.

 

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(1) Mesdames et Messieurs : Caroline Abadie, Damien Adam, Éric Alauzet, David Amiel, Pieyre‑Alexandre Anglade, Jean-Philipe Ardouin, Antoine Armand, Quentin Bataillon, Belkhir Belhaddad, Mounir Belhamiti, Fanta Berete, Éric Bothorel, Florent Boudié, Chantal Bouloux, Bertrand Bouyx, Pascale Boyer, Yaël Braun-Pivet, Maud Bregeon, Anthony Brosse, Anne Brugnera, Danielle Brulebois, Stéphane Buchou, Françoise Buffet, Céline Calvez, Éléonore Caroit, Lionel Causse, Jean-René Cazeneuve, Pierre Cazeneuve, Émilie Chandler, Clara Chassaniol, Yannick Chenevard, Fabienne Colboc, François Cormier‑Bouligeon, Laurence Cristol, Dominique Da Silva, Christine Decodts, Julie Delpech, Frédéric Descrozaille, Benjamin Dirx, Ingrid Dordain-Saint, Nicole Dubré-Chirat, Philippe Dunoyer, Philippe Emmanuel, Sophie Errante, Philippe Fait, Marc Ferracci, Jean-Marie Fiévet, Philippe Frei, Jean-Luc Fugit, Thomas Gassilloud, Anne Genetet, Raphaël Gérard, Hadrien Ghomi, Éric Girardin, Joël Giraud, Olga Givernet, Charlotte Goetschy-Bolognese, Guillaume Gouffier Valente, Jean-Carles Grelier, Marie Guévenoux, Claire Guichard, Philippe Guillemard, Benjamin Haddad, Nadia Hai, Yannick Haury, Pierre Henriet, Laurence Heydel Grillere, Alexandre Holroyd, Sacha Houlié, Servane Hugues, Monique Iborra, Alexis Izard, Jean-Michel Jacques, Caroline Janvier, Guillaume Kasbarian, Brigitte Klinkert, Daniel Labaronne, Emmanuel Lacresse, Amélia Lakrafi, Virginie Lanlo, Michel Lauzzana, Pascal Lavergne, Sandrine Le Feur, Didier Le Gac, Gilles Le Gendre, Constance Le Grip, Anaïg Le Meur, Christine Le Nabour, Nicole Le Peih, Fabrice Le Vigoureux, Marie Lebec, Vincent Ledoux, Mathieu Lefèvre, Patricia Lemoine, Brigitte Liso, Jean-François Lovisolo, Sylvain Maillard, Laurence Maillart-Méhaignerie, Jacqueline Maquet, Louis Margueritte, Christophe Marion, Sandra Marsaud, Alexandra Martin (Gironde), Didier Martin, Denis Masséglia, Stéphane Mazars, Graziella Melchior, Ludovic Mendes, Lysiane Métayer, Nicolas Metzdorf, Marjolaine Meynier-Millefert, Paul Midy, Laure Miller, Benoit Mournet, Karl Olive, Nicolas Pacquot, Sophie Panonacle, Astrid Panosyan-Bouvet, Didier Parakian, Didier Paris, Charlotte Parmentier-Lecocq, Emmanuel Pellerin, Patrice Perrot, Anne-Laurence Petel, Michèle Peyron, Béatrice Piron, Claire Pitollat, Jean-Pierre Pont, Éric Poulliat, Natalia Pouzyreff, Rémy Rebeyrotte, Robin Reda, Véronique Riotton, Stéphanie Rist, Marie-Pierre Rixain, Charles Rodwell, Xavier Roseren, Jean-François Rousset, Lionel Royer-Perreaut, Thomas Rudigoz, Laetitia Saint‑Paul, Mikaele Seo, Freddy Sertin, Charles Sitzenstuhl, Philippe Sorez, Bertrand Sorre, Violette Spillebout, Bruno Studer, Liliana Tanguy, Sarah Tanzilli, Jean Terlier, Huguette Tiegna, Stéphane Travert, Annie Vidal, Patrick Vignal, Corinne Vignon, Lionel Vuibert, Guillaume Vuilletet, Christopher Weissberg, Éric Woerth, Caroline Yadan, Jean-Marc Zulesi.

 

(2) Mesdames et Messieurs : Damien Abad, Benoît Bordat, Mireille Clapot, Stella Dupont, Bastien Marchive, Cécile Rilhac, David Valence, Stéphane Vojetta.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans son application quotidienne, le droit de la responsabilité civile présente une forte dimension humaine et économique. La responsabilité civile peut se définir comme l’obligation de répondre du dommage causé à autrui et d’assumer les conséquences civiles qui en découlent par le biais de la réparation.

Ce droit repose aujourd’hui pour l’essentiel sur cinq articles du code civil, datant de 1804, et qui sont demeurés pratiquement inchangés. L’adaptation de ce droit aux bouleversements sociaux, économiques, scientifiques et technologiques résulte d’une importante construction jurisprudentielle élaborée depuis plus de deux siècles par la Cour de cassation, de sorte que la seule lecture des articles 1240 et suivants du code civil (anciens articles 1382 à 1386) ne suffit plus à appréhender la réalité du droit français de la responsabilité civile et peut être source d’incertitude juridique pour les justiciables.

En raison des enjeux qu’ils suscitent, les troubles anormaux du voisinage constituent un premier pan à adapter. La responsabilité pour trouble anormal de voisinage ne résulte en effet pas de la loi, mais d’une création, dite prétorienne, des juges, en vertu du principe selon lequel "nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage".

La notion de trouble anormal de voisinage est marquée par une volonté de trouver un juste équilibre entre la nécessité de protéger les voisins de bruits insupportables provenant d’une usine, et celle de permettre aux industries d’exercer leurs activités. La Cour de cassation a fini par poser le principe général de responsabilité selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».

Il s’agit d’une responsabilité sans faute. C’est l’anormalité du trouble qui entraîne la responsabilité de l’auteur, peu importe qu’il n’ait pas voulu nuire à son voisin. Il faut donc que soit constaté un trouble anormal, s’inscrivant dans un rapport de voisinage, c’est‑à‑dire dont l’impact excède un certain seuil de tolérance pour toute personne « normale », ce seuil étant souverainement apprécié par le juge du fond ; il faut en outre que le trouble causé au voisin présente un caractère continu et permanent, et ce quand bien même le fait serait inhérent à une activité licite et utile pour son auteur, que ce trouble crée un préjudice – notamment d’agrément, mais aussi économique, moral, esthétique, etc., et qu’il y ait bien un lien de causalité entre le trouble et le préjudice. La nature du trouble de voisinage peut être très variée : le bruit ; les odeurs ; les fumées et poussières ; la perte d’ensoleillement ; la perte d’une vue sur un paysage ; les animaux…

Le juge dispose d’un pouvoir souverain pour apprécier le caractère anormal du trouble, notion particulièrement subjective. Pour engager la responsabilité de l’auteur, le trouble doit excéder les inconvénients ordinaires du voisinage.

Néanmoins, aux termes de l’article 113‑8 du code de la construction et de l’habitation, le trouble anormal de voisinage ne peut pas ouvrir droit à des réparations lorsque l’activité qui génère des nuisances préexiste à l’installation du plaignant, et qu’elle se poursuit dans des conditions normales, c’est‑à‑dire sans changement d’activité.

Dans ce contexte, cette proposition de loi permet de poser les conditions d’un « vivre ensemble » équilibré. Ainsi, le texte vient d’abord introduire dans le code civil le principe de responsabilité fondée sur les troubles anormaux du voisinage, consacré par la jurisprudence, afin de garantir une application homogène sur l’ensemble du territoire national.

Il pose ensuite une exception à ce principe tirée de la théorie de la préoccupation, en introduisant dans le code civil les conditions d’exception posées actuellement, à savoir : le respect de la législation en vigueur, une antériorité, ainsi que la poursuite de l’activité dans les mêmes conditions.

C’est ce principe, partagé par tous, qui est donc repris dans le texte proposé. Par ailleurs, cette disposition a également pour objectif de répondre aux préoccupations du monde rural. Elle tend en effet à limiter les conflits de voisinage entre les nouveaux habitants d’un territoire et les acteurs, notamment économiques, culturels ou encore touristiques, déjà établis sur celui‑ci.

 

 

 


proposition de loi

Article unique

Le sous‑titre II du titre III du livre III du code civil est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

« CHAPITRE IV

« Les troubles anormaux du voisinage

« Art. 1253.  Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, l’exploitant d’un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs, à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage, est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.

« Toutefois, lorsque le trouble provient d’activités, quelles que soient leur nature, préexistantes à l’installation sur le fonds, qui se sont poursuivies dans les mêmes conditions et qui s’exercent conformément à la législation en vigueur, la responsabilité prévue au premier alinéa ne saurait être engagée. ».