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N° 1631

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 septembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à interdire le financement du nucléaire par
le recours à l’épargne réglementée du livret A,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Christine ARRIGHI,

députée.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Au 31 décembre 2021, la France comptait 55,7 millions de livrets A, dont 54,9 millions détenus par des personnes physiques et 0,8 million détenus par des personnes morales ([1]). Cette même année, l’encours du livret A s’établissait à 343,1 milliards d’euros, dont 319,3 milliards pour les personnes physiques et 23,8 milliards pour les personnes morales ([2]). Le livret A a enregistré une collecte nette exceptionnelle de 31 milliards d’euros auprès des ménages en 2022 ([3]).

Aujourd’hui, cette épargne règlementée sert en partie à financer le logement social et les équipements des collectivités locales (stades, crèches etc.). Le Gouvernement envisage d’orienter l’épargne du livret A vers le financement de la construction de nouveaux réacteurs nucléaires de nouvelle génération ([4]) (06 dans un premier temps et possibilité d’en construire 08 autres). Pour les six premiers, le chantier pourrait durer 25 ans, pour une somme de 60 milliards d’euros, selon les estimations (51,7 milliards d’euros + 4,6 milliards d’euros en cas de difficulté) ([5]).

La conjugaison de la difficulté probable de lever sur les marchés, des fonds susceptibles de financer sur le long terme la construction des quatorze nouveaux réacteurs avec l’existence conjoncturelle d’un excédent de ressources croissant du fonds d’épargne centralisée par la Caisse des dépôts, donne sans doute au Gouvernement l’idée facile d’utiliser cet encours à hauteur de 20 ou 30 milliards pour financer cet investissement. Allant dans le même sens, le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations a déclaré que l’épargne réglementée « peut davantage encore financer la transformation de notre appareil de production énergétique. » ([6])

Pourtant, en 2019, le rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale portant sur la proposition de loi en faveur de la transparence dans l’utilisation de l’épargne populaire en matière énergétique indiquait qu’ « investir aujourd’hui dans les énergies fossiles, c’est aussi faire obstacle à une réorientation des flux financiers vers les investissements nécessaires au développement des énergies renouvelables. » ([7])

Cette piste de financement du nucléaire, si elle se concrétisait, fragiliserait grandement le modèle économique et démocratique de l’épargne administrée centralisée et son orientation prioritaire vers le financement du logement social ainsi que d’autres investissements d’intérêt général.

En juin 2022, dans ses travaux portant sur l’épargne réglementée, la Cour des comptes s’interrogeait sur la pertinence de l’utilisation du fonds d’épargne pour financer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires et est arrivée à la conclusion suivante : « Si la durée et le niveau de risque de tels financements peuvent correspondre aux caractéristiques de stabilité des ressources de l’épargne réglementée […] d’autres pistes probablement plus proches de l’expertise de la Cour mériteraient d’être étudiées, concernant par exemple les équipements publics destinés à prévenir les effets du réchauffement climatique. On peut évoquer par exemple les investissements élevés qui seront nécessaires pour protéger de nombreuses communes du littoral ou de l’intérieur face au risque de montée du niveau de la mer ou de débordement des cours d’eau. Les solutions de couverture par les assurances risquent d’être insuffisantes et il est probable que les compagnies d’assurance exigent des primes à des tarifs de plus en plus élevés voire refusent purement et simplement de couvrir certaines zones ou certaines communes. » ([8])

Dès lors, s’il reste de l’argent généré par le livret A, les chantiers tels que l’accélération de la construction de logements sociaux pour atteindre l’engagement gouvernemental de 250 000 logements sociaux entre 2021 et 2022 ([9]) ou encore les investissements nécessaires à la protection des communes littorales face à la montée du niveau des mers sont plus en phase avec les enjeux écologiques du moment.

Les prêts sur fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignation ont financé une partie importante de la construction du parc social actuel (environ 4,3 millions de logements). Ces trois dernières années, on observe une baisse préoccupante de la construction annuelle de logements sociaux ([10]), alors même que la demande est prégnante : plus de 2 millions de demandeurs de logements sociaux ([11]), 4 millions de mal logés, 300 000 sans domicile fixe ([12]).

La ponction envisagée de 20 à 30 milliards d’euros sur l’encours d’épargne administrée au motif de financer la construction de nouveaux réacteurs compliquera toute possibilité de poursuite de l’effort de construction et de rénovation de logements sociaux qui nécessite d’importants investissements.

De plus, les coûts et les risques de gestion des déchets radioactifs ([13]), l’explosion incontrôlée des coûts de l’EPR de Flamanville ([14]) interrogent sur la viabilité financière de la filière. En tout état de cause, ils ne sont pas facteurs de sécurisation de l’épargne des détenteurs de Livret A.

Cette proposition de loi poursuit un objectif de sécurisation de l’épargne réglementée dans ses orientations en faveur du logement social, de l’investissement public local, du financement des PME, de l’économie sociale et solidaire ou encore de la transition écologique.

L’article 1er qu’elle porte permet de maintenir le lien séculaire de confiance entre les Françaises et les Français et le livret A, produit éminemment populaire en interdisant son utilisation pour le financement des installations de production d’électricité d’origine nucléaire.

L’article 2 précise que les moyens financiers nécessaires à l’atteinte des objectifs de politique énergétique grâce au nucléaire ne peuvent provenir du livret A.


proposition de loi

Article 1er

La section 1 du chapitre Ier du titre II du livre II du code monétaire et financier est ainsi modifiée :

1° Après la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 221‑5, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Ces ressources ne peuvent financer des installations de base, telles que définies à l’article L. 593‑2 du code de l’environnement, pour la production d’électricité d’origine nucléaire. » ;

2° Le III de l’article L. 221‑7 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Aucune partie des sommes ne peut financer des installations de base, telles que définies à l’article L. 593‑2 du code de l’environnement pour la production d’électricité d’origine nucléaire. »

Article 2

Après le I de l’article L. 100‑1 A du code de l’énergie, il est inséré un I bis ainsi rédigé :

« I bis. – Pour atteindre les objectifs mentionnés au I du présent article, les moyens financiers nécessaires à la production d’électricité d’origine nucléaire ne peuvent provenir de l’emploi du fonds d’épargne tel que défini par l’article L. 221‑7 du code monétaire et financier. »


([1]) Rapport annuel 2021 de la Banque de France sur l’épargne réglementée, juillet 2022, p. 21.

([2]) Idem.

([3]) Banque de France, Analyse et synthèse du marché de l’assurance vie en 2022, mars 2023, p. 10.

([4]) Les Echos, Le livret A en lice pour financer les nouveaux réacteurs nucléaires en France, 9 février 2023.

([5]) Rapport d’audit du Gouvernement, Travaux relatifs au nouveau nucléaire, 18 février 2022, pp.  27-33.

([6]) Audition de M. Éric Lombard par la Commission des finances de l’Assemblée nationale, 10 janvier 2023.

([7]) Rapport sur la proposition de loi en faveur de la transparence dans l’utilisation de l’épargne populaire en matière énergétique, 4 mars 2019, p. 8.

([8]) Cour des comptes, Observations définitives sur l’épargne réglementée, 9 juin 2022, pp. 75-76.

([9]) Protocole en faveur de la relance de la production de logements sociaux en 2021 et 2022, 19 mars 2021.

([10]) Rapport annuel de la fondation Abbé Pierre, L’état du mal-logement en France 2023, 1er janvier 2023, p. 30.

([11]) Union Sociale pour l’Habitat, Bilan 2021 de la demande de logement social, juillet 2022.

([12]) Rapport annuel de la fondation Abbé Pierre, L’état du mal-logement en France 2022, 24 janvier 2022, p. 130.

([13]) Rapport de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale, la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, 28 juin 2018.

([14]) Le Monde, Les dérapages de l’EPR de Flamanville en graphiques, 20 décembre 2022.