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N° 1640

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 septembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à reconnaître et à sanctionner la discrimination capillaire,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Olivier SERVA, Bertrand PANCHER, Christophe NAEGELEN, Mathilde PANOT, Stéphane LENORMAND, Nathalie BASSIRE, Estelle YOUSSOUFFA, PaulAndré COLOMBANI, Michel CASTELLANI, JeanFélix ACQUAVIVA, Paul MOLAC, JeanLouis BRICOUT, David TAUPIAC, Fanta BERETE, Damien ADAM, Cécile RILHAC, Christopher WEISSBERG, Sandrine JOSSO, Mansour KAMARDINE, Danièle OBONO, Rachel KEKE, Caroline FIAT, JeanHugues RATENON, Matthias TAVEL, Mathilde HIGNET, Emeline K/BIDI, Frédéric MAILLOT, Davy RIMANE, Christian BAPTISTE, Jiovanny WILLIAM, Steve CHAILLOUX, Tematai LE GAYIC, Murielle LEPVRAUD, Hadrien CLOUET, Philippe NAILLET, Perceval GAILLARD, JeanPhilippe NILOR, Sandrine ROUSSEAU, Eva SAS, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Elie CALIFER, Fatiha KELOUA HACHI, Sylvie FERRER, Karine LEBON, Marcellin NADEAU, JeanVictor CASTOR, Farida AMRANI, Florian CHAUCHE, Carlos Martens BILONGO, Léo WALTER, JeanFrançois COULOMME, David GUIRAUD,

Sabrina SEBAIHI, Frantz GUMBS, Max MATHIASIN, Pierre MORELÀL’HUISSIER, Béatrice DESCAMPS, Jérôme GUEDJ, Catherine COUTURIER, Aymeric CARON, Julien BAYOU, Élisa MARTIN,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors que les discriminations liées au style et à la texture capillaires sont des problématiques largement traitées aux États‑Unis et au Royaume‑Uni, ces dernières sont largement ignorées en France. Les différentes décisions de justice rendues récemment corroborent ce constat.

La plus récente concerne un steward salarié chez Air France. En effet, la compagnie Air France, dans son manuel du port de l’uniforme, autorisait les « tresses africaines » pour les femmes à condition d’être retenues en chignon. Or, ce même manuel indiquait que, pour les hommes, « Les cheveux devaient être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur de la chemise. ». Sur le fondement de ce règlement interne, l’un des stewards de la compagnie qui portait des tresses nouées en chignon, a été sanctionné pour avoir refusé de s’y conformer, puis a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement au sein de l’entreprise.

Par un arrêt du 23 novembre 2022 ([1]), la Cour de cassation a jugé que la Compagnie Air France commettait une discrimination en interdisant à un steward de porter des tresses. Si en l’espèce, la Cour a basé son argumentaire sur la non‑discrimination basée sur le sexe, au regard de la différence de traitement entre les femmes et les hommes au sein de la compagnie, un tel raisonnement s’avère impossible dans bien des cas.

Aujourd’hui, selon une étude menée conjointement par Dove et LinkedIn ([2]) aux États‑Unis où les sondages ethniques sont autorisés, 2/3 des femmes afro‑descendantes changent de coiffure avant un entretien d’embauche. Leurs cheveux sont 2,5 fois plus susceptibles d’être perçus comme non professionnels. Le 15 novembre dernier, la Première Dame, Michelle Obama, a confié, à l’occasion de la promotion de son nouvel ouvrage « Cette lumière en nous » dans une émission d’Ellen DeGeneres, qu’elle s’était sentie obligée de se lisser les cheveux pendant les huit ans de mandat de son époux.

Par ailleurs, ces constats ne concernent pas uniquement une communauté ethnique. En Grande‑Bretagne, une étude réalisée en 2009 montrait par exemple qu’une femme blonde sur trois se colorait les cheveux en brun afin d’augmenter ses chances professionnelles et d’ « avoir l’air plus intelligente » en milieu professionnel.

En France, les personnes victimes de discriminations liées à la texture de leurs cheveux, leur couleur ou leur style capillaire se trouvent dépourvues de cadre juridique précis. D’autres États ont, quant à eux, décidé d’apporter une réponse législative à ces questions. C’est le cas des États‑Unis où l’État de Californie a été le premier, en juillet 2019, à adopter un « Crown Act » afin de lutter contre les discriminations capillaires. Par la suite, 20 États et 30 villes du pays ont adopté des législations similaires, notamment le New Jersey, New‑York, la Louisiane, le Colorado et le Connecticut, entre autres.

Au Royaume‑Uni, la Commission pour l’Égalité et les Droits de l’Homme (EHRC), a considéré que les coupes « afros » ne devaient pas être interdites dans les écoles britanniques.

Selon Jean‑François Amadieu, directeur de l’Observatoire des discriminations à la Sorbonne, nos cheveux jouent bien un rôle dans l’accès au travail ([3]). La chevelure peut alors influer positivement ou négativement sur les évolutions de carrière et plus particulièrement chez les femmes.

Cette problématique touche également à des problématiques de santé publique. Une personne dans l’incapacité de porter son cheveu naturel en milieu professionnel ou scolaire sera contrainte soit de cacher son cheveu ou de le transformer aux moyens de produits chimiques. Or, une étude récente du National Institutes of Health (NIH) ([4]) de 2022 révèle que le risque de voir un cancer de l’utérus apparaître est beaucoup plus élevé chez les femmes qui utilisent des produits capillaires pour défriser leurs cheveux que chez celles qui n’en utilisent pas : 4,05 % contre 1,64 %. Une autre étude menée par des chercheurs en épidémiologie de Boston et publiée dans l’American Journal of Epidemiology en 2012 ([5]), établit une corrélation entre l’usage de ces produits et fibromes.

Enfin, il y a dans ce texte une dimension relative à l’estime de soi et à la confiance en soi de l’individu. Le port du cheveu naturel – cheveu texturé, porté en locks, cornrows, torsades, tresses, bantous knots, afro, roux, blond – a un lien inéluctable avec l’estime de soi de l’individu concerné car faisant partie intégrante de celui‑ci. De fait en étant discriminée, la personne victime de ces préjugés se voit touchée directement et intimement. Juliette Smeralda, sociologue, affirme que « L’image corporelle est le fondement de l’estime de soi ». « Le défrisage change l’image corporelle et l’apparence. On aplatit un cheveu qui mérite de vivre, on l’assassine, on le dénature ainsi que la peau » ([6]), dit‑elle.

Par conséquent, cette discrimination peut amener à des complications mentales chez l’individu concerné. Elle représente également un facteur de stress permanent. De ce fait, un individu doit pouvoir porter son cheveu naturel ou toute coiffure qui y est associée dès lors que cela ne fait pas obstacle à une exigence essentielle et déterminante propre à l’exercice de ses fonctions.

Enfin, cette thématique, a été abordée par des artistes, notamment l’artiste peintre Guadeloupéenne Guylaine Conquet à travers son exposition « From embarrassment to pride » présentée à Miami en début d’année 2023. Elle en a fait son combat et est d’ailleurs à la genèse de cette proposition de loi dont elle a sollicité l’élaboration et le dépôt auprès du député Olivier Serva.

Par conséquent, au regard des éléments susvisés, ce texte permet de compléter les dispositions relatives à la lutte contre les discriminations. Un article unique vise à intégrer dans le champ de la répression pénale des discriminations, toute discrimination ou distinction fondée sur la texture, la couleur, la longueur ou le style capillaire d’un individu. Aussi, cet article assure une mise cohérence du dispositif pénal proposé avec le principe de non‑discrimination inscrit dans le code du travail, le code général de la fonction publique ainsi que l’ordonnance du 4 janvier 2005 relative aux fonctionnaires de Polynésie française.

proposition de loi

Article unique

I. – À l’article L. 131‑1 du code général de la fonction publique, après le mot : « physique, » sont insérés les mots : « notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux, » ;

II. – L’article 225‑1 du code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après le mot : « physique, » sont insérés les mots : « notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux, » ;

2° Au second alinéa, après le mot : « physique, » sont insérés les mots : « notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux, » ;

III. – Le code du travail est ainsi modifié :

1° À l’article L. 1132‑1, après le mot : « physique, » sont insérés les mots : « notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux, » ;

2° Au 3° de l’article L. 1321‑3, après le mot : « physique, » sont insérés les mots : « notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux, » ;

IV. – Au deuxième alinéa de l’article 10 de l’ordonnance n° 2005‑10 du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs, après le mot : « physique, », sont insérés les mots : « notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux, ».


([1]) Cour de cassation, Pourvoi n° 21-14.060, 23 novembre 2022

([2]) Dove, Linkedin, Crown 2023 Workplace Research Study, 2023

 DOVE_2023_study_infographic_FINAL-02.png (2551×4200) (squarespace.com)

([3]) Aramadieu Jean-François, La société du paraître : Les beaux, les jeunes… et les autres, Editions Odile JACOB, 2016

([4]) Journal of the National Cancer Institute, Chemical Relaxers and Hair-Straightening Products : Potential Targets for Hormone-Related Cancer Prevention and Control, 17 Octobre 2022

Chemical Relaxers and Hair-Straightening Products: Potential Targets for Hormone-Related Cancer Prevention and Control | JNCI: Journal of the National Cancer Institute | Oxford Academic (oup.com)

([5]) American Journal of Epidemiology, Hair relaxer use and risk of uterine leiomyomata in African-American women, 10 Janvier 2012

Hair Relaxer Use and Risk of Uterine Leiomyomata in African-American Women | American Journal of Epidemiology | Oxford Academic (oup.com)

([6]) Outre Mer 1ère, Salon Boucles d’Ebène : la leçon de soi de Juliette Sméralda, 31 Mai 2015

Salon Boucles d’Ebène : la leçon de soi de Juliette Sméralda - Outre-mer la 1ère (francetvinfo.fr)