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N° 1643

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 septembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à faciliter et revaloriser l’insertion par le travail indépendant,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Hubert JULIENLAFERRIÈRE,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il y a plus de quatre ans, l’article 83 de la loi n° 2018‑771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a introduit, à titre expérimental, une 5e catégorie de structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE) : les entreprises d’insertion par le travail indépendant, ou EITI.

L’objectif initial de ce dispositif qui s’inscrit pleinement dans l’économie sociale et solidaire (ESS), précisé par le décret n° 2018‑1198 du 20 décembre 2018 relatif à l’expérimentation de l’élargissement des formes d’insertion par l’activité économique au travail indépendant, était de promouvoir le travail indépendant comme vecteur d’emploi et d’inclusion auprès d’un public dit fragile en l’ouvrant à l’insertion par l’activité économique (IAE). Jeunes peu ou pas diplômés et très peu qualifiés, personnes ayant des difficultés à s’adapter aux codes de l’entreprise ou à une relation de subordination, familles monoparentales devant combiner organisation du temps de travail et contraintes liées à la garde des enfants, personnes ayant connu une rupture de parcours (décrochage, handicap, accident du travail, éloignement durable du monde de l’entreprise…) et ayant besoin de reprendre progressivement une activité, personnes aux situations personnelles complexes (problèmes de logement, santé, mobilité…), personnes au chômage de courte et longue durée et/ou bénéficiaires du RSA : de nombreuses personnes éloignées de l’emploi, qui ne trouvent pas leur place dans le salariat, aspirent au travail indépendant.

Début 2023, la France compte près de 2,2 millions d’auto-entrepreneurs et les travailleurs indépendants représentent plus de 10 % de la population active. Pourtant, en l’absence d’un cadre sécurisé et d’un accompagnement socio‑professionnel des travailleurs indépendants les plus éloignés de l’emploi, ce statut peut mettre en difficulté les personnes qui s’en emparent. C’est ce que l’on constate avec plusieurs grandes plateformes de mise en relation (Uber, Deliveroo…) qui ne mettent pas en place de garde‑fous pour que les travailleurs indépendants puissent sécuriser leur activité.

Pour autant, nul ne peut contester le fait que ce nouveau modèle économique a, en l’espace d’une décennie, bouleversé le monde du travail et la vision qu’une partie des catégories les plus fragiles de la population s’en faisait. Le travail indépendant peut être une opportunité pour celles et ceux qui, du fait de leurs profils et de leurs contraintes personnelles et professionnelles spécifiques, ne peuvent ou ne veulent plus retourner dans le modèle salarial classique, notamment les plus fragiles. L’insertion par le travail indépendant répond également aux aspirations d’un nombre croissant de personnes éloignées de l’emploi qui ne se projettent pas dans une activité salariée (aspiration à plus de liberté, fierté d’être entrepreneur, revalorisation de soi grâce au statut d’indépendant, cumul d’expériences variées…). Or, l’outil du travail indépendant, combiné à un accompagnement socio‑professionnel global personnalisé et une aide à la gestion de son activité, est un support robuste à la professionnalisation et à la sécurisation des parcours.

Lancées de manière effective en 2019, les EITI avaient alors pour but de répondre à un besoin non couvert par les autres structures d’insertion par l’activité économique (SIAE). Quatre ans après, il est donc possible d’en dresser le bilan. Expérimentées pour trois ans puis reconduites pour deux ans fin 2021 à la faveur de la crise sanitaire, elles ont été un véritable succès dans l’insertion des publics fragiles. Venant compléter l’arsenal existant des SIAE, elles ont permis à plus de 4 000 personnes rencontrant des difficultés sociales et/ou professionnelles, de pouvoir exercer une activité professionnelle en bénéficiant d’un accompagnement socio‑professionnel personnalisé et d’un service de mise en relation avec les clients.

Précisément, les travailleurs indépendants en insertion accèdent à un accompagnement global qui repose sur 4 piliers :

● Accompagnement social pour lever les freins à l’emploi (difficulté d’accès au logement, santé, mobilité…)

 Accompagnement à la gestion de la microentreprise pour gérer en totale autonomie l’activité d’indépendant (déclaration des cotisations sociales, gestion du budget, gestion du planning, développement du portefeuille clients…)

 Mise en activité : mise en relation avec des clients pour réaliser des prestations ponctuelles

● Accès à des formations intégralement prises en charge pour développer son employabilité et définir son projet professionnel

La réalisation de prestations ponctuelles, combinée à un accompagnement socio‑professionnel global, permet à ces indépendants de développer leurs compétences, leur estime de soi et de créer du lien social.

Près d’une soixantaine d’EITI opérant dans divers secteurs d’activité ont ainsi été créées entre 2018 et 2023. Lulu dans ma rue, première EITI conventionnée en 2019, accompagne plus de 300 personnes éloignées de l’emploi à réaliser des services de proximité chez des particuliers. L’Accélérateur accompagne quant à elle une centaine de jeunes éloignés de l’emploi, via la mise en relation avec des entreprises pour la réalisation de prestations ponctuelles, notamment sur des secteurs en tension. De nombreuses structures, opérant déjà dans l’insertion par l’activité économique, se sont emparées de l’EITI pour compléter leur offre d’insertion (All Inclusive, Germinal…). Ces structures permettent à la fois d’adresser les besoins de publics éloignés de l’emploi pour lesquels l’insertion par le salariat n’est pas adaptée, et de faire entrer dans une dynamique d’insertion des personnes non connues des services de l’emploi et de l’insertion.

À l’issue du parcours d’insertion, d’une durée moyenne de 18 mois, les travailleurs indépendants en insertion accèdent à des sorties dynamiques : emploi durable, emploi de transition, sortie positive.

Les EITI, qui bénéficient par cet agrément d’aides financières versées par travailleur indépendant durant deux années au maximum et au montant fixé par une convention avec les Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), constituent autant d’outils d’inclusion pertinents et de leviers pour l’insertion.

Depuis le lancement de l’expérimentation en 2019, les EITI enregistrent un taux de sortie dynamique élevé et permettent d’accompagner des publics peu ciblés par les autres SIAE.

L’expérimentation prévue par la loi n° 2018‑771 et prolongée par la loi n° 2021‑1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 prend cependant fin au 31 décembre 2023. La présente proposition de loi vise ainsi à pérenniser le dispositif.

En outre, il apparaît clairement que la protection sociale des travailleurs indépendants, incluant ceux contractant avec les EITI, est extrêmement lacunaire. Ainsi que le souligne le rapport du Haut Conseil au Financement de la Protection Sociale (HCFiPS) du 24 septembre 2020, un nombre important d’entre eux bénéficie d’une couverture sociale bien trop faible : absence d’indemnités maladie, pensions de retraite plus faibles que pour les salariés, pas ou peu de couverture au titre des accidents du travail.

Près de 40 % des micro‑entrepreneurs ne valident aucun droit à la retraite. Par ailleurs, le système de prélèvement social dont ils relèvent est bien trop complexe et peu adapté à ce public souvent précaire et peu informé sur ses droits sociaux. En sus de sa complexité, ce système propre aux indépendants se caractérise par des prélèvements supérieurs à ceux des salariés pour une protection moindre.

Malgré la suppression du Régime social des indépendants (RSI) depuis le 1er janvier 2020 et l’intégration de la Sécurité sociale des indépendants (SSI) au sein du régime général, les règles de cotisation sociales sont restées inchangées pour les indépendants et ne sont donc pas alignées sur celles des salariés.

Cette inégalité de protection sociale entre salariés et indépendants pourrait être corrigée en rattachant ces derniers au régime général, ainsi que le propose le Haut Conseil dans son rapport. Dans un premier temps, comme le suggère le HCFiPS, ce rattachement pourrait concerner les travailleurs indépendants des plateformes. Le droit de la sécurité sociale permet, en effet, de rattacher au régime général des salariés des catégories de travailleurs qui ne sont pas salariées, via l’article L. 311‑3 du code de la sécurité sociale. Après bilan, ce rattachement pourrait être étendu à d’autres catégories de travailleurs indépendants.

Il paraît ainsi aussi juste que nécessaire de renforcer autant que possible l’équité entre salariés et indépendants en matière de protection sociale. Alors que la frontière entre travail salarié et travail indépendant tend à se brouiller de plus en plus, les non‑salariés, de plus en plus nombreux, devraient bénéficier des systèmes de gestion performants du régime général et de la même protection sociale que les salariés.

Enfin, la formation reste encore trop difficile d’accès pour les travailleurs indépendants. Contrairement aux salariés qui ont à leur disposition de nombreux dispositifs pour se former, les travailleurs indépendants, et tout particulièrement ceux en insertion, dont le besoin en formation est le plus élevé, peinent encore à obtenir des financements.

Théoriquement, en plus des formations de Pôle Emploi, les travailleurs indépendants en insertion devraient bénéficier du financement prévu par le Plan d’investissement dans les compétences de l’Insertion par l’Activité Économique (PIC IAE). Mais, dans les faits, l’intégration des EITI dans le PIC IAE ne s’est jamais faite en raison du nécessaire cofinancement privé à hauteur de 30 %, reste à charge beaucoup trop élevé que les indépendants ne peuvent assumer.

Les indépendants sont également rattachés à un Fonds d’assurance formation (FAF) après s’être acquittés de la Contribution à la formation professionnelle (CFP). Cependant, cet accès est limité par le fonctionnement de ces organismes. Les demandes sont trop complexes et trop longues à établir, le vocabulaire d’usage étant pensé pour des dirigeants d’entreprises et non pour des micro‑entrepreneurs précaires et peu voire pas formés. Par ailleurs, certains FAF exigent d’avancer les fonds, ce qui est impossible pour beaucoup d’indépendants. En conséquence, en 2019, seuls 16 % des travailleurs indépendants ont bénéficié d’une formation financée par un FAF.

Enfin, les indépendants bénéficient comme les salariés du Compte personnel de formation (CPF) depuis 2018. Il est alimenté à hauteur de 500 euros par année de travail, dans la limite d’un plafond de 5 000 euros. Le CPF est un outil efficace pour permettre aux indépendants de se former. Cependant, une disparité existe avec les salariés : les salariés non‑qualifiés, c’est‑à‑dire qui n’auraient pas atteint un niveau de formation sanctionné par un diplôme classé au niveau 3 (CAP, BEP) bénéficient d’un CPF “majoré” à hauteur de 300 euros par an, soit 800 euros au total. Les indépendants, qui sont pourtant nombreux à ne pas être qualifiés, ne bénéficient pas de cette majoration. Au nom de l’équité, il serait donc logique que le barème d’alimentation annuel des CPF des indépendants soit aligné sur celui des salariés.

L’article 1er modifie le code du travail afin d’introduire les structures d’insertion par le travail indépendant (SITI) parmi les structures d’insertion par l’activité économique pouvant conclure des conventions avec l’État.

L’article 2 abroge l’article 83 de la loi n° 2018‑771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui en instaurait l’expérimentation.

L’article 3 prévoit que le Gouvernement rende, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport ayant pour objectif d’évaluer l’opportunité de rattacher les travailleurs indépendants au régime général de la Sécurité sociale.

L’article 4 aligne l’alimentation du compte personnel de formation (CPF) des travailleurs indépendants sur celle des salariés, en leur permettant d’accéder à la majoration de 300 euros par an s’ils ne sont pas qualifiés.

L’article 5 gage la présente proposition de loi.

proposition de loi

Article 1er

Le code du travail est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 5132‑1, après le mot : « travail », sont insérés les mots : « ou d’exercer une activité indépendante ».

2° Au 1° de l’article L. 5132‑2, le mot : « employeurs » est remplacé par le mot : « structures ».

3° Le premier alinéa de l’article L. 5132‑3 est ainsi modifié :

a) Au début, les mots : « Seules les embauches » sont remplacés par les mots : « Seule la contractualisation ».

b) Les mots : « entreprises d’insertion, aux entreprises de travail temporaire d’insertion, aux associations intermédiaires ainsi qu’aux ateliers et chantiers d’insertion » sont remplacés par les mots « structures ».

4° Le troisième alinéa de l’article L. 5132‑3‑1 est ainsi modifié :

a) Le mot : « employeurs » est remplacé par le mot : « structures » ;

b) Les mots : « le recrutement de salariés qui étaient, avant leur embauche » sont remplacés par les mots : « la contractualisation avec des personnes qui étaient, avant leur entrée en parcours d’insertion ».

5° L’article L. 5132‑4 est complété par un 5° ainsi rédigé :

« 5° Les structures d’insertion par le travail indépendant. »

6° Après la sous‑section 6 de la section 3 du chapitre II du titre III du livre Ier de la cinquième partie, il est inséré une sous‑section 7 ainsi rédigée :

« Sous‑section 7

« Structures d’insertion par le travail indépendant

« Art. L. 5132161. – Les structures d’insertion par le travail indépendant sont des structures conventionnées par l’État qui contractent avec des personnes porteuses d’un projet d’activité indépendante, éligibles à un parcours d’insertion tel que défini à l’article L. 5132‑3.

« Art. L. 5132162. – Les structures d’insertion par le travail indépendant ont pour mission d’assurer l’accompagnement des personnes visées à l’article L. 5132‑16‑1 et d’organiser leur mise en relation avec des clients en vue de permettre aux personnes de créer et de développer leur activité indépendante, de faciliter leur insertion sociale et de rechercher les conditions de leur insertion professionnelle durable.

« Art. L. 5132163. – L’État peut conclure des conventions avec des structures d’insertion par le travail indépendant prévoyant, le cas échéant, des aides financières imputées sur les crédits de l’insertion par l’activité économique votés en loi de finances, selon des modalités définies par décret. »

Article 2

L’article 83 de la loi n° 2018‑771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel est abrogé.

Article 3

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’opportunité de rattacher les travailleurs indépendants au régime général de la sécurité sociale.

Le rapport établit notamment :

1° Les inégalités de traitement entre les salariés et les travailleurs indépendants en termes de cotisations sociales et d’ouverture de droits ;

2° Une estimation des gains et des pertes que représenterait un tel rattachement pour lesdits travailleurs indépendants par rapport au statu quo, notamment en fonction de leurs revenus ;

3° Une analyse de la faisabilité technique d’un tel rattachement ainsi que de son coût pour la sécurité sociale.

Article 4

À la première phrase de l’article L. 6323‑11‑1 du code du travail, après le mot : « salarié » sont insérés les mots : « ou le travailleur indépendant ».

Article 5

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.