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N° 1657

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 septembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à étendre le droit à la pension de réversion aux partenaires
d’un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Danielle BRULEBOIS,

députée.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les régimes de retraite, de base, complémentaires ou intégrés, offrent une protection sociale étendue en France : non seulement ils garantissent des droits directs à leurs affiliés, mais également des droits dérivés sous forme de pension de réversion pour un certain nombre d’ayant‑droits (le conjoint survivant, les ex‑conjoints survivants, ainsi que les enfants mineurs ou à charge dans certains régimes). Ils obéissent prioritairement à un objectif de préservation du niveau de vie du conjoint survivant et à une logique de préservation des droits acquis.

Fin 2021, tous régimes confondus, 4,4 millions de personnes sont titulaires d’une pension de retraite de droit dérivé, aussi appelée pension de réversion, soit une hausse de 4,1 % par rapport à 2011. Les dépenses de réversion représentent un coût de 37 milliards d’euros, soit 11 % des dépenses de retraite. Pour 1 million d’entre elles soit un peu moins d’un quart, la pension de droit dérivé constitue l’unique pension de retraite à cette date. En France, le montant mensuel moyen de la pension de réversion, versé par les régimes de base et complémentaires, s’élève à 775 € pour les femmes et 345 € pour les hommes. Ces droits dérivés représentent la moitié de la retraite globale pour les femmes, contre 18 % pour les hommes. Les femmes représentent 88 % des bénéficiaires d’une pension de droit dérivé. L’âge médian des titulaires d’une pension de droit dérivé est de 79 ans. Si on ajoute les pensions de réversion à leurs propres retraites, les écarts entre les femmes et les hommes sont moindres que les écarts mesurés sur les seules retraites personnelles. La différence n’est plus que de 28 %. On note donc le rôle essentiel des pensions de réversion pour les femmes.

Au fil des générations, de moins en moins de personnes bénéficient d’un droit dérivé à âge donné. Ces évolutions s’expliquent par l’amélioration des carrières des femmes, l’allongement de la durée de vie, la diminution des écarts d’âge entre conjoints ainsi que la diminution du taux de mariage.

Le seul point commun entre les 42 régimes de retraite en vigueur est la notion de conjoint : le bénéficiaire exclusif d’une réversion est toujours une personne mariée. Le dispositif actuel repose encore sur un modèle de couple marié et stable dans le temps, avec un apporteur principal de ressources, l’époux. La situation de référence est donc un couple qui se marie en début de vie active et qui partage sa retraite jusqu’au décès de l’un des conjoints, le plus souvent l’époux. Sa pension est alors « reversée » en partie à son épouse survivante qui ne détient que peu ou pas de droits personnels.

L’article L. 39 du code des pensions civiles et militaires de retraite définit les conditions dans lesquelles le conjoint survivant d’un fonctionnaire décédé peut prétendre au bénéfice de la pension de réversion. Ce texte a été modifié une seule fois depuis sa codification en 1964 et n’a jamais profité qu’aux époux, c’est‑à‑dire aux couples mariés. Plus précisément, il a fallu attendre la loi n° 2003‑775 du 21 août 2003, entrée en vigueur le 1 er janvier 2004, pour que le texte abandonne la référence « au droit à pension de la veuve » en cas de décès de son « mari », au profit « du droit à pension de réversion » du conjoint survivant en cas de décès de son conjoint « fonctionnaire civil ». Cette disposition, si elle confère au conjoint survivant un droit à la pension de réversion, exclut les partenaires liés par un pacte civil de solidarité (PACS).

Seuls les régimes de la fonction publique et les régimes spéciaux imposent une durée minimale de mariage et suspendent la réversion en cas de remariage, PACS ou concubinage. Ces régimes s’affranchissent également de toute condition d’âge, à la différence des autres régimes pour lesquels la condition d’âge n’est pas uniforme (55 ou 60 ans).

Les taux de la réversion sont compris entre 50 % (régime des fonctionnaires et régimes spéciaux) et 60 % (régimes complémentaires ou régime de base salarié à pension majorée).

Depuis plusieurs décennies, on observe une évolution des modes de conjugalité. Certes, le mariage reste la modalité de partenariat privilégiée pour les couples de sexe différent, mais cette modalité s’érode au profit du pacs et des unions libres.

Pour l’année 2022, l’INSEE a comptabilisé 182 000 PACS et 237 000 mariages en France métropolitaine, soit plus de quatre PACS pour cinq mariages. Si le PACS est encore récent, et reste minoritaire à ce stade, sa création a permis une hausse du nombre de contractualisations d’unions, qui diminuait depuis les années 1970. En 2016, les couples mariés représentent 73 % des couples co‑résidents, contre 7 % pour les couples pacsés et 20 % pour ceux en union libre.

Les relations conjugales et notamment les arbitrages économiques (retrait du marché du travail pour l’un des conjoints à la naissance d’un enfant, passage au temps partiel…) ne sont pas forcément différents entre un couple marié et un couple non marié. Dès lors, la logique patrimoniale visant à prendre en compte la constitution commune de droits durant la période de couple, le conjoint était considéré comme ayant collaboré à la constitution de son montant, devrait s’appliquer pleinement et en toute logique à un couple pacsé.

Traditionnellement, c’est la solidarité financière entre époux qui est invoquée au fondement de l’octroi d’une pension de réversion. Celle‑ci s’articule principalement autour de deux éléments : la contribution aux charges du mariage et la solidarité pour les dettes destinées à l’entretien du ménage ou à l’éducation des enfants. L’on retrouve ces éléments à l’identique ou presque dans le mariage et dans le PACS.

En parallèle du développement du PACS, la croissance du nombre de divorces vient également modifier structurellement le paysage de la famille. Plus de 44 % des mariages terminent en divorce selon l’INED.

Si le lien indéfectible qui unit la réversion et le mariage peut se comprendre pour des raisons historiques et pratiques, la décorrélation entre le dispositif et la situation d’une part croissante de la population doit être considérée.

Cette proposition de loi a pour objet d’ouvrir le bénéfice de la pension de réversion aux partenaires d’un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de 5 ans permettant ainsi de créer une égalité avec les couples mariés.

En novembre 2018, le haut‑commissaire à la réforme des retraites, M. Jean‑Paul Delevoye, avait évoqué, la possibilité d’élargir la pension de réversion aux couples pacsés. Devant les députés de la commission des affaires sociales, il avait indiqué que cette ouverture pourrait se faire sous conditions de durée : « sachant qu’en moyenne le Pacs dure 3 ans, le mariage 15 ans et que 30 % des pacsés se marient ensuite, une des pistes du débat serait d’étendre la pension de réversion aux couples pacsés avec une condition minimale de vie en PACS ». L’article 1er modifie les articles L. 353‑1 à L. 353‑2 du code de la sécurité sociale afin de prévoir le principe de l’octroi au partenaire survivant lié par un PACS de la pension de réversion aux couples pacsés depuis plus de cinq ans. Cette durée de cinq ans correspond à la durée envisagée par le rapporteur spécial Olivier Damaisin dans le cadre de son rapport auprès de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire portant le sur règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2020 sur la mission Régimes sociaux et de retraite et sur le CAS Pensions en mai 2021.

L’article 2 modifie l’article L. 353‑3 du code de la sécurité sociale et prévoit que la pension de réversion est répartie entre les différents conjoints ou partenaires liés par un PACS au prorata de la durée respective de chaque union avec l’assuré. À ce jour, il est particulièrement injuste pour des partenaires pacsés depuis de nombreuses années de ne pouvoir bénéficier de la pension de réversion alors que l’ex‑conjoint de la personne décédée, avec qui elle était restée mariée parfois très peu de temps, peut bénéficier de la pension de réversion. La réversion versée aux ex‑conjoints survivants doit être indépendante des choix matrimoniaux ultérieurs de l’ex‑conjoint décédé. Avec les dispositions envisagées, c’est la durée de l’union d’avec l’ex‑conjoint ou partenaire défunt et non après qui est importante. Dans cette hypothèse, la réversion aux ex‑conjoints survivants est proratisée à la durée de de l’union, non à la durée totale des unions successives. La proratisation en fonction de la durée d’union réduit les droits à réversion toutes choses égales par ailleurs, ce qui n’est pas neutre pour les finances publiques.

L’article 3 modifie le code des pensions civiles et militaires de retraite afin de rendre possible l’obtention de la pension de réversion pour les couples liés par un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de 5 ans.

L’article 4 vise à ce que le Gouvernement remette un rapport au Parlement relatif à au partage des droits. Depuis 2001, les couples mariés allemands peuvent choisir entre la réversion et un partage égal des droits à la retraite acquis par les deux membres du couple au cours de la durée de mariage. Dès lors, toute réversion est exclue en cas de décès. Lorsque le couple décide de partager les droits acquis, les droits à pension acquis durant le mariage sont partagés au moment où le plus jeune des deux conjoints prend sa retraite ou atteint l’âge de 65 ans : chacun perçoit une pension correspondant à la totalité de ses droits acquis hors mariage et à la moitié des droits communs acquis durant le mariage. Les droits issus du partage sont des droits propres. À la différence de la pension de réversion, ils ne dépendent pas de condition de ressource et restent acquis si la personne se remarie. En outre, les couples en union libre peuvent opter pour le droit de pension partagé. Le partage des droits présente l’avantage de ne pas transférer « à la société » la charge du financement des conjoints survivants, mais au contraire d’internaliser cette charge au sein du couple.

L’article 5 gage cette proposition de loi afin de respecter les exigences en matière de recevabilité financière.


proposition de loi

Article 1er

Le chapitre 3 du titre V du livre III du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 353‑1, après le mot : « survivant », sont insérés les mots : « ou son partenaire survivant lié par un pacte civil de solidarité depuis plus de cinq ans » ;

2° L’article L. 353‑2 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, après le mot : « conjoint », sont insérés les mots : « ou son partenaire survivant lié par un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans » ;

b) Au deuxième alinéa, après le mot : « conjoint », sont insérés les mots : « ou son partenaire survivant lié par un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans » ;

c) Au dernier alinéa, après le mot : « conjoint », sont insérés les mots : « ou du partenaire survivant lié par un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans ». 

Article 2

L’article L. 353‑3 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après le mot : « divorcé », sont insérés les mots : « ou le partenaire ayant dissous son pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans » et après le mot : « survivant », sont insérés les mots : « ou à un partenaire survivant lié par un pacte civil de solidarité » ;

2° Après le mot : « remarié », la fin de la première phrase du deuxième alinéa est ainsi rédigée : « ou relié par un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans, la pension de réversion à laquelle il est susceptible d’ouvrir droit à son décès, au titre de l’article L. 353‑1, est partagée entre son conjoint survivant ou son partenaire survivant et le ou les précédents conjoints divorcés ou partenaires ayant dissous son pacte civil de solidarité au prorata de la durée respective de chaque mariage ou pacte civil de solidarité. »

Article 3

Le code des pensions civiles et militaires de retraite est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 38, après le mot : « civil », sont insérés les mots : « et les partenaires auxquels ils sont liés par un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans » ;

2° Au a de l’article L. 39, après la première occurrence du mot : « mariage », sont insérés les mots : « ou du pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans » ; 

3° Les a et b de l’article L. 43 sont ainsi rédigés :

« a) À la date du décès du fonctionnaire, les conjoints survivants ou divorcés et les partenaires survivants d’un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans ou l’ayant dissous, ayant droit à pension se partagent la part de la pension de réversion correspondant au rapport entre le nombre de conjoints survivants ou divorcés ou de partenaires survivants d’un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans ou l’ayant dissous et le nombre total de lits représentés. Cette part est répartie entre les conjoints ou partenaires au prorata de la durée respective de chaque mariage ou de chaque pacte civil de solidarité.

« Un lit est représenté soit par le conjoint survivant ou divorcé ou par le partenaire survivant d’un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans ou l’ayant dissous, soit par les orphelins de fonctionnaires dont l’autre parent n’a pas ou plus droit à pension ;

« b) La différence entre la fraction de la pension prévue à l’article L. 38 et les pensions versées aux conjoints survivants ou divorcés ou aux partenaires survivants d’un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans ou l’ayant dissous du fonctionnaire en application du a est répartie également entre les orphelins ayant droit à la pension prévue à l’article L. 40 qui représentent un lit. »

4° À la première phrase de l’article L. 44, après le mot : « divorcé », sont insérés les mots : « ou le partenaire ayant dissous son pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans ».

5° L’article L. 45 est rétabli dans la rédaction suivante :

« Art. L. 45.  La pension de réversion définie à l’article L. 38 est répartie entre les différents conjoints, divorcés ou survivants, ou les partenaires liés par un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans au prorata de la durée respective de chacune des différentes unions mentionnées à l’article L. 38. »

6° L’article L. 46 est ainsi modifié :

« a) Au premier alinéa, après le mot : « divorcé », sont insérés les mots : « ou le partenaire survivant ou ayant dissous son pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans, » et après le mot : « mariage », sont insérés les mots : « ou un nouveau pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans » ;

b) Le début du second alinéa est ainsi rédigé : « Le conjoint survivant ou divorcé, le partenaire survivant ou ayant dissous son pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans, dont la nouvelle union est dissoute ou qui cesse… (le reste sans changement) ».

7° L’article L. 50 est ainsi modifié :

a) La première phrase du I est complétée par les mots : « ou aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans » ;

b) Au premier alinéa du II et au III après le mot : « survivants », sont insérés les mots : « ou aux partenaires survivants d’un pacte civil de solidarité d’une durée minimale de cinq ans ».

Article 4

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport portant sur le partage des droits.

Article 5

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la création d’une contribution additionnelle à la contribution visée à l’article L. 136–7–1 du code de la sécurité sociale.