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N° 1756

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à rétablir le régime de déclaration de l’instruction en famille,

(Renvoyée à la commission des Affaires culturelles, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Xavier BRETON, Emmanuelle ANTHOINE, Thibault BAZIN, AnneLaure BLIN, Jean-Luc BOURGEAUX, Hubert BRIGAND, Dino CINIERI, Josiane CORNELOUP, MarieChristine DALLOZ, Vincent DESCOEUR, Nicolas FORISSIER, Annie GENEVARD, Philippe GOSSELIN, Justine GRUET, Patrick HETZEL, Philippe JUVIN, Mansour KAMARDINE, Marc LE FUR, Véronique LOUWAGIE, Yannick NEUDER, Jérôme NURY, Isabelle PÉRIGAULT, Christelle PETEXLEVET, Alexandre PORTIER, Vincent SEITLINGER, Nathalie SERRE, Jean-Pierre TAITE, Stéphane VIRY,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Si la loi du 28 mars 1882, dite loi Ferry, a rendu l’instruction obligatoire, elle laissait toutefois une liberté de choix aux parents quant à la méthode d’instruction. Ainsi, il leur était possible d’inscrire leurs enfants au sein d’un établissement d’enseignement public ou privé ou de choisir de les instruire eux‑mêmes par l’instruction en famille (IEF).

C’est un principe fondamental de notre démocratie et de notre Constitution. Dans sa décision n° 77‑87 DC du 23 novembre 1977, le Conseil constitutionnel a consacré la liberté de l’enseignement comme l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Cette liberté est également européenne puisque inscrite à l’article 2 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit que « l’État, […] respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

Lors d’une audition au Sénat en juin 2020, le ministre de l’éducation nationale d’alors, Jean‑Michel Blanquer rappelait que : « la liberté d’instruction à domicile a un fondement constitutionnel puissant ».

Or la loi n° 2021‑1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a mis à mal ce fondement. En effet, l’article 49 fait passer l’IEF d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation préalable avec des critères très restrictifs. 

Les motifs allégués pour cette modification ont été un risque de communautarisme ou de séparatisme. Il y a environ 62 000 enfants instruits en famille, ce qui représente 0,4 % des effectifs en âge d’instruction obligatoire. Cela constitue clairement une mesure dérisoire face à la finalité recherchée, à savoir la lutte contre l’endoctrinement et le séparatisme. Par ailleurs, à ce jour, aucun élément fiable et documenté ne permet d’identifier de risques de dérives de communautarisme ou séparatisme pour l’immense majorité des enfants IEF.

Selon des chiffres issus d’un rapport du Sénat du 7 juillet 2020, 92,8 % des contrôles IEF ont été jugés satisfaisants. C’est un résultat supérieur aux taux obtenus par les élèves scolarisés dans un établissement scolaire. Les parents, très majoritairement, s’appliquent à instruire leurs enfants en famille en construisant pour cela un projet éducatif, pédagogique et familial adapté à chacun d’eux, dans le respect des exigences de la loi, dans leur intérêt supérieur et pour leur bien‑être.

Plutôt que d’appliquer cette mesure radicale, il aurait été préférable d’augmenter les moyens et ressources affectés au contrôle des enfants IEF en formant et dédiant un plus grand nombre d’inspecteurs à ce contrôle, ou encore en développant un outil normé de contrôle. De plus, les dispositifs de contrôle existants permettaient déjà d’alerter sur d’éventuelles dérives sectaires.

Dans un État de droit, la liberté doit rester la règle et non l’exception. La substitution du régime de déclaration par le régime d’autorisation prévu par la loi constitue un recul grave pour une liberté fondamentale. Cela ne peut qu’accentuer la défiance des familles et cela porte atteinte à la liberté de conscience et ouvre la porte à la rupture d’égalité et à l’insécurité juridique.

Qu’en est‑il de la mise en œuvre de ce régime deux ans après la promulgation de la loi ?

De nombreux parents d’élèves se sont vu refuser cette autorisation alors que la situation de leurs enfants répond aux critères prévus par la loi. Au moins la moitié des nouvelles demandes sont refusées à des familles qui pratiquaient déjà l’instruction dans la famille et qui devraient donc pouvoir continuer à le faire. Les conséquences de ce refus sont désastreuses : fratries séparées, enfants en difficulté scolaire… 

Les parents d’élèves témoignent de difficultés à obtenir les motifs explicites du refus d’autorisation. Ils s’inquiètent du manque de transparence des décisions de l’éducation nationale sur : 

– le nombre d’autorisations enregistrées ; 

– le nombre de refus, avant et après recours, en précisant les motifs ; 

– la répartition de ces chiffres par académie ; 

– le nombre de contrôles effectués par les autorités académiques ; 

le nombre de cas répondant explicitement aux critères inscrits dans la loi dite de lutte contre le séparatisme, qui vise à lutter contre l’islamisme radical.

Le 5 avril 2023 dans l’hémicycle, avait lieu un débat sur le bilan de la loi confortant le respect des principes de la République. Mme Sonia Backès. Secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des Outre‑mer, chargée de la Citoyenneté, répondant aux questions des parlementaires affirmait : « Les refus motivés par le séparatisme occupent effectivement une place marginale, mais encore une fois, le principe d’autorisation préalable n’empêche pas ceux qui ont besoin de l’instruction en famille d’y recourir. Ceux qui peuvent y avoir droit y ont droit. Ce principe ne leur crée aucune difficulté et je ne vois pas pourquoi il est contesté ».

Les nombreuses remontées du terrain montrent hélas que la réalité est toute autre. Les parents sont confrontés à des lourdeurs administratives, à l’inquiétude d’une réponse de l’éducation nationale, à des refus après avoir obtenu des autorisations les années précédentes. 

La liberté de choix des parents pour l’instruction dans la famille, si elle doit être encadrée, ne doit pas pour autant être remise en cause. La lutte contre les séparatismes et le radicalisme religieux ne doit pas être un prétexte pour enlever aux parents leur rôle de premiers éducateurs de leurs enfants. Or, par cet article de loi, il y a manifestement une atteinte à la liberté d’enseignement.

C’est pourquoi la présente proposition de loi a pour objet de rétablir le régime de déclaration de l’instruction en famille

 

 

 

 


proposition de loi

Article 1er

Le premier alinéa de l’article L. 131‑2 du code de l’éducation est ainsi rédigé :

« L’instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix. »

Article 2

L’article L. 131‑5 du code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« Les personnes responsables d’un enfant soumis à l’obligation scolaire définie à l’article L. 131‑1 doivent le faire inscrire dans un établissement d’enseignement public ou privé, ou bien déclarer au maire et à l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, qu’elles lui feront donner l’instruction dans la famille. Dans ce cas, il est exigé une déclaration annuelle. » ;

2° Le deuxième alinéa est complété par les mots : « ou de choix d’instruction » ;

3° Les quatrième à seizième alinéas sont supprimés ;

4° Au dix‑huitième alinéa, les mots : « du présent code » sont supprimés ;

5° Le dix‑neuvième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « En cas de refus d’inscription sur la liste scolaire de la part du maire sans motif légitime, le directeur académique des services de l’éducation nationale agissant sur délégation du préfet procède à cette inscription, en application de l’article L. 2122‑34 du code général des collectivités territoriales, après en avoir requis le maire. »

 

Article 3

Les articles L.131‑5‑1 et L.131‑5‑2 du code de l’éducation sont abrogés.

Article 4

L’article L. 131‑10 du code de l’éducation est ainsi rédigé :

« Les enfants soumis à l’obligation scolaire qui reçoivent l’instruction dans leur famille, y compris dans le cadre d’une inscription dans un établissement d’enseignement à distance, sont dès la première année, et tous les deux ans, l’objet d’une enquête de la mairie compétente, uniquement aux fins d’établir quelles sont les raisons alléguées par les personnes responsables, et s’il leur est donné une instruction dans la mesure compatible avec leur état de santé et les conditions de vie de la famille. Le résultat de cette enquête est communiqué à l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation.

« Lorsque l’enquête n’a pas été effectuée, elle est diligentée par le représentant de l’État dans le département.

« L’autorité de l’État compétente en matière d’éducation doit au moins une fois par an, à partir du troisième mois suivant la déclaration d’instruction par la famille, faire vérifier que l’enseignement assuré est conforme au droit de l’enfant à l’instruction tel que défini à l’article L. 131‑1‑1.

« Ce contrôle prescrit par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation a lieu notamment au domicile des parents de l’enfant. Il vérifie notamment que l’instruction dispensée au même domicile l’est pour les enfants d’une seule famille.

« Ce contrôle est effectué sans délai en cas de défaut de déclaration d’instruction par la famille, sans préjudice de l’application des sanctions pénales.

« Le contenu des connaissances requis des élèves est fixé par décret.

« Les résultats de ce contrôle sont notifiés aux personnes responsables avec l’indication du délai dans lequel elles devront fournir leurs explications ou améliorer la situation et des sanctions dont elles seraient l’objet dans le cas contraire.

« Si, au terme d’un nouveau délai fixé par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, les résultats du contrôle sont jugés insuffisants, les parents sont mis en demeure, dans les quinze jours suivant la notification, d’inscrire leur enfant dans un établissement d’enseignement public ou privé et de faire connaître au maire, qui en informe l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, l’école ou l’établissement qu’ils auront choisi ».

Article 5

L’article L.131‑10‑1du code de l’éducation est abrogé.

Article 6

Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa de l’article L. 131‑11, la référence : « L. 131‑5‑1, » est supprimée ;

2° À la première phrase de l’avant‑dernier alinéa de l’article L. 311‑1, les mots : « l’autorisation » sont remplacés par les mots : « la déclaration annuelle ».

Article 7

L’article L. 552‑4 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° A la fin du premier alinéa, les mots : « soit de l’autorisation délivrée par l’autorité compétente de l’État en application de l’article L. 131‑5 du code de l’éducation » sont remplacés par les mots : « soit d’un certificat médical attestant qu’il ne peut fréquenter régulièrement aucun établissement d’enseignement en raison de son état de santé » ;

2° L’avant dernière phrase du deuxième alinéa est supprimée.

Article 8

Au deuxième alinéa de l’article 18 de la loi n° 2019‑791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance les mots : « , avant le début de l’année scolaire, » sont supprimés.