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N° 1774 rectifié

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à indexer les salaires sur l’inflation,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Alma DUFOUR, François RUFFIN, Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Arnaud LE GALL, Antoine LÉAUMENT, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean‑Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HO, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Sébastien ROME, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

député‑e‑s.

 


 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Après deux années d’inflation, les salaires en France décrochent. Nous avons connu fin 2022 la chute de pouvoir d’achat des ménages la plus forte jamais enregistrée en plus de 40 ans, hors confinement (L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)). Cela se répercute sur le quotidien d’une majorité de Française et Français, contraints de scruter les étiquettes, les factures et de se serrer la ceinture. « Tout augmente sauf les salaires », cette phrase que l’on retrouve sur les lèvres entre les rayons du supermarché, résume bien la situation.

Le décrochage des salaires, rattrapés par l’inflation

Entre les 3es trimestres 2021 et 2022, les salaires n’ont progressé que de 3,7 % contre 5,4 % pour l’inflation, soit nettement moins vite (Dares). Le salaire mensuel de base en termes réels (« déflaté », c’est‑à‑dire après avoir tenu compte de l’inflation) recule donc sur cette période. L’INSEE prévoit une baisse des salaires réels moyens par personne de ‑2,8 % entre l’été 2022 et l’été 2023. Le pouvoir d’achat reculerait de ‑1,8 % entre fin 2021 et fin 2023, sachant que cette moyenne est gonflée à la hausse par les dividendes et intérêts. D’après L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France se trouve derrière l’Espagne ou encore la Grèce, mais surtout loin derrière la Belgique où les salaires réels ont a contrario augmenté de +2,9 % entre le premier trimestre 2022 et 2023, grâce au mécanisme d’indexation des salaires sur l’inflation.

L’inflation ne frappe pas tout le monde de la même façon. La moitié des salariés du privé touche moins de 2 012 euros nets par mois. Le tassement des salaires est particulièrement important en bas de l’échelle. Le nombre de personnes au SMIC augmente : 14,5 % des salariés en 2022 contre 12 % en 2021. Dans la logistique, le commerce ou l’industrie, il est fréquent que des salariés avec 20 ans d’ancienneté soient toujours au SMIC ou à peine au‑dessus. C’est le cas des employés de Vertbaudet à Tourcoing, ou des salariés de Geodis à Gennevilliers qui ont dû faire plusieurs semaines de grève pour obtenir une revalorisation… en dessous de l’inflation.

Selon la Banque de France, les hausses de salaires ont été les moins élevées dans le secteur des services et notamment du commerce, et les plus élevées dans les très grandes entreprises. Le secteur des services compte à lui seul 83 % des bas salaires. Cela pose la question d’une économie à deux vitesses, d’un salariat à deux vitesses : participation, intéressement, primes diverses dans les firmes, pour les donneurs d’ordre, mais le SMIC tout sec, ou à peine amélioré, dans nombre de TPE‑PME, dans les associations et chez les sous‑traitants.

L’inflation touche aussi les salaires moyens : au 2e trimestre 2023, le salaire réel des professions intermédiaires et des cadres reste en dessous de l’inflation. Les professions intermédiaires représentent un quart des actifs, on y retrouve les infirmières, assistantes sociales, enseignantes, les commerciaux et techniciens. La principale préoccupation des professions intermédiaires est le salaire, en augmentation de 14 points en un an (sondage CGT - décembre 2022).

Dans la fonction publique, depuis la fin de l’indexation du point d’indice sur l’inflation, en 1983, le pouvoir d’achat des fonctionnaires a chuté. Sous le premier mandat d’Emmanuel Macron le taux d’évolution du point d’indice a été de… 0 %, du jamais vu ! Le recrutement, dans des secteurs comme la santé, la protection de l’enfance ou l’enseignement, est de plus en plus difficile face au manque d’attractivité de ces métiers. Les dernières revalorisations (1,5 % en juillet dernier après 3,5 % en juillet 2022) sont bien en dessous de l’inflation. Pour rattraper ces années perdues les syndicats demandent une revalorisation de 20 % du point. Entre 2013 et 2020, le salaire moyen net du secteur public a augmenté deux fois moins que pour le secteur privé (Le Sens du service public). Une part de plus en plus importante des premiers échelons des catégories B et C est rémunérée au SMIC.

Les salaires réels baissent mais le taux de marge des entreprises est historiquement élevé et génère l’inflation. Les revenus du capital (dividendes et intérêts) ont augmenté de 21 % en un an, se nourrissant de l’inflation et de la stagnation des salaires (INSEE). Or, seul 6,6 % de la population française est actionnaire (Autorité des marchés financiers). Au sein du CAC40, l’écart de rémunération entre celle du dirigeant et le salaire moyen de l’entreprise a augmenté de 75 % en 10 ans. Chez Total, la rémunération du PDG a augmenté de 23 % en 2022 tandis que la direction refusait une hausse de 10 % pour les salariés en grève.

Quoi qu’en dise le président de la République, l’idée que l’augmentation des salaires entraînerait une « spirale inflationniste » ne trouve aucun fondement dans la période. C’est un mensonge répété sans cesse mais jamais démontré. La réalité, confirmée par les économistes du Fonds monétaire international (FMI), est celle d’une boucle prix‑profit. Mme Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, a fini par le reconnaître : « Beaucoup d’entreprises ont pu accroître leurs marges dans des secteurs ayant subi les restrictions de l’offre et la résurgence de la demande ». Au dernier trimestre 2022, les bénéfices ont augmenté de 10 % en Europe, contre un coût de la main‑d’œuvre en hausse de 4,7 %. En France aussi, la hausse des prix est tirée par la hausse des profits, notamment dans les secteurs liés à l’énergie, au fret international et dans l’industrie agroalimentaire. Au quatrième trimestre 2022, l’augmentation des profits des entreprises est ainsi responsable de 60 % de l’inflation. Les marges dans ces secteurs dépassent un niveau jamais atteint depuis la deuxième guerre mondiale. Au premier trimestre 2023, la hausse des prix de production alimentaire s’explique même à plus de 70 % par la hausse des profits bruts.

Dans l’improvisation totale, l’exécutif annonce des mesurettes en se défaussant sur les acteurs économiques, qui refusent d’agir. Les dispositifs temporaires tels que les primes défiscalisées et exonérées de cotisations sociales profitent peu aux salariés. Entre juillet et décembre 2022 le gouvernement a empêché une augmentation durable des salaires de 1,2 milliards d’euros. La « prime Macron » a profité à moins de 20 % des salariés pour un montant moyen de 806 euros, soit 71 euros par mois. 30 % de ces « primes » ont été versés à la place d’augmentation de salaires pérennes (INSEE).

Une augmentation des prix inédite depuis 40 ans, qui s’installe dans la durée

Le gouvernement minore en permanence l’inflation. Dès 2021 le taux d’inflation prévisionnel associé au projet de loi de finances n’était que de +0,70 % pour atteindre +1,60 % en réalité. En 2022 la prévision tablait sur +1,50 % contre +5,20 % à la fin. On nous a annoncé une baisse des prix durant toute l’année 2023, mais en septembre, les prix à la consommation augmentent de +4,9 % sur un an, comme le mois précédent, du fait des prix de l’énergie (+11,5 %) et de l’alimentation (+9,6 %). L’inflation en France est désormais supérieure à la moyenne européenne : en août, l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) en Europe a grimpé de 5,3 % sur un an contre 5,7 % en France.

Les Françaises et Français ont bien conscience de cette hausse des prix. 84 % la jugent structurelle, 91 % s’en inquiètent et 81 % pensent que le gouvernement n’agit pas assez (IFOP). Et pour cause : Sur 2 ans, la hausse des prix alimentaires a été de 20 %. Résultat : l’économie française enregistre une baisse de la consommation des ménages depuis le début de l’année 2023, et pourrait même entrer en récession à la fin de l’année.

Le gouvernement a multiplié les annonces de mesures qui auraient été, au mieux, sans effet et qui ont finalement été enterrées ! Panier anti‑inflation : abandonné ; renégociation entre industriels et distributeurs de l’agro‑alimentaire cet été : abandonnée ; vente à perte des carburants : abandonnée. Quant au chèque alimentaire, depuis 2019 il fait parfois son apparition dans le débat public pour distraire, avant d’être enterré par Bercy.

Du fait de la stagnation des salaires, la majorité des Françaises et Français se prive

Les salariés qui touchent moins de 2 000 euros sont particulièrement asphyxiés par les dépenses contraintes et ressentent « un sentiment de déclassement » (Mathieu Plane, économiste à l’OFCE). L’exemple de Christophe, père célibataire et employé dans la restauration à 1500 euros net par mois, est éclairant. Aux difficultés qu’il rencontre à payer ses factures, s’ajoute la honte vis‑à‑vis de sa fille. Il lui avait promis qu’il l’emmènerait à Disneyland le jour de ses 8 ans, c’est désormais impossible.

En un an, 6 Français sur 10 ont réduit leur budget alimentaire pour des raisons financières. Moins d’un Français sur 2 seulement déclare parvenir à mettre de l’argent de côté et un Français sur 3 rencontre des difficultés à se procurer une alimentation saine lui permettant de faire 3 repas par jour (Secours populaire, septembre 2023). La part des personnes concernées par des privations matérielles et sociales, l’incapacité d’assumer certaines dépenses de la vie courante (loyer, chauffage, habillement, loisirs), atteint son plus haut niveau depuis qu’elle est mesurée. Une personne sur 4 a renoncé à des soins médicaux pour des raisons financières (IFOP, juin 2023).

L’indexation des salaires sur l’inflation garantit le pouvoir d’achat des salariés et rééquilibre le partage de la valeur

L’inflation n’est pas conjoncturelle mais structurelle : son ampleur impose des mesures structurelles. L’indexation des salaires sur l’inflation garantit les revenus des travailleuses et travailleurs face à la hausse des prix. Ce mécanisme d’échelle mobile des salaires, protecteur et efficace, a déjà existé en France en 1952. Il est abandonné en 1983 au moment du « tournant de la rigueur ». Résultat : alors que de 1950 à la fin des années 70, 64 % de la valeur ajoutée est distribuée sous forme de salaires, à la fin des années 1980 cette part chute à 58 % et s’effondre à 48 % aujourd’hui.

L’indexation des salaires sur l’inflation permet au contraire de réhausser la part des salaires dans la valeur ajoutée et de donner de la visibilité aux ménages pour se projeter, non plus survivre, mais vivre.

Chez nos voisins européens, comme à Malte, au Luxembourg et en Belgique, l’indexation est actuellement en vigueur. L’exemple belge montre l’efficacité de cette mesure. Depuis plus d’un siècle, les salaires y sont automatiquement indexés sur l’inflation, tout comme les allocations. Le patronat multiplie bien sûr les attaques contre cette garantie. Mais les études universitaires estiment que l’indexation ne pénalise pas à long terme la compétitivité des entreprises belges.

Nous proposons d’instaurer un mécanisme intitulé « échelle mobile des salaires » dans les secteurs privé et public, pour assurer l’augmentation des salaires en fonction de l’augmentation des prix. Nous proposons que cette indexation sur l’inflation ne s’applique pas aux salaires deux fois supérieurs au salaire médian. Dans le privé, il est de 2 012 euros net en 2021 et seulement 10 % des Français gagnent plus de 4 000 euros par mois (INSEE). Notre proposition de loi bénéficierait ainsi à 90 % de nos concitoyennes et concitoyens.

L’article 1er crée une échelle mobile des salaires dans le secteur privé en indexant les salaires au minimum de l’augmentation d’un indice de l’inflation, déterminé par une commission composée de représentants du monde académique, des organisations syndicales des salariés et des employeurs.

L’article 2 étend, sur le même modèle, l’indexation de la rémunération des fonctionnaires et contractuels de la fonction publique sur l’inflation.

L’article 3 institue une caisse de péréquation inter‑entreprises financée par une contribution progressive sur le résultat net des entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros, afin de soutenir financièrement les associations et petites entreprises pour assurer les hausses de salaires prévues par la présente loi.


proposition de loi

Article 1er

I. – Le titre III du livre II de la troisième partie du code du travail est complété par un chapitre III ainsi rédigé :

« Chapitre III

« Échelle mobile des salaires

« Art. L. 323910. – Les salaires du secteur privé augmentent deux fois par an, au minimum de l’augmentation d’un indice de l’inflation. Cet indice est déterminé par une commission composée de représentants du monde académique, des représentants des organisations syndicales de salariés et des organisations représentatives des employeurs. Il est institué comme référence par voie réglementaire.

« L’augmentation automatique a lieu au 1er mars et au 1er septembre de chaque année, sur la base de la moyenne des six derniers indices mensuels connus. Elle ne s’applique pas aux salaires supérieurs à deux fois le salaire médian.

« Un décret fixe les modalités d’application du présent article après négociation entre les représentants des organisations syndicales de salariés et les représentants des organisations représentatives des employeurs. »

II. – La caisse de péréquation inter‑entreprises instituée à l’article 3 de la présente loi garantit pour chaque entreprise, la soutenabilité financière pour les associations employeuses, les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises de la hausse des salaires prévue au I du présent article.

Article 2

Le titre Ier du livre VII du code général de la fonction publique est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 712‑1, il est inséré un article L. 712‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 71211. – La rémunération des fonctionnaires augmente deux fois par an au minimum de l’augmentation d’un indice de l’inflation. Cet indice est déterminé par une commission composée de représentants du monde académique, des représentants des organisations syndicales de salariés et des organisations représentatives des employeurs. Il est institué comme référence par voie réglementaire.

« L’augmentation automatique a lieu au 1er mars et au 1er septembre de chaque année, sur la base de la moyenne des six derniers indices mensuels connus. Elle ne s’applique pas aux salaires supérieurs à deux fois le salaire médian.

« Un décret fixe les modalités d’application du présent article après négociation entre les représentants des organisations syndicales de salariés et les représentants des organisations représentatives des employeurs. »

2° Après l’article L. 713‑1, il est inséré un article L. 713‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 71311. – La rémunération des agents contractuels augmente deux fois par an, au minimum de l’augmentation d’un indice de l’inflation. Cet indice est déterminé par une commission composée de représentants du monde académique, des représentants des organisations syndicales de salariés et des organisations représentatives des employeurs. Il est institué comme référence par voie réglementaire.

« L’augmentation automatique a lieu au 1er mars et au 1er septembre de chaque année, sur la base de la moyenne des six derniers indices mensuels connus. Elle ne s’applique pas aux salaires supérieurs à deux fois le salaire médian.

« Un décret fixe les modalités d’application du présent article après négociation entre les représentants des organisations syndicales de salariés et les représentants des organisations représentatives des employeurs. »

Article 3

Il est institué une caisse privée de péréquation inter‑entreprises, financée par une cotisation volontaire obligatoire progressive calculée d’après le résultat net réalisé par les entreprises dont le chiffre d’affaires constaté au dernier exercice comptable est supérieur à 750 millions d’euros. Cette caisse garantit pour chaque entreprise, la soutenabilité financière pour les associations employeuses, les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises de la hausse des salaires prévue par la présente loi.

Le barème et les modalités de contrôle et de recouvrement de la contribution destinée à son financement sont fixés par voie réglementaire.