N° 1877

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 novembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à responsabiliser les élus dans leur gestion des deniers publics,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Christelle D’INTORNI,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

À l’heure où notre pays bat le triste record des prélèvements obligatoires, chaque euro d’argent public devrait être dépensé utilement et rigoureusement.

Pourtant, l’actualité ne cesse de démontrer que de nombreuses villes sont devenues le théâtre d’une gestion incontrôlée des deniers publics. Cette fuite en avant entraine, de facto, la collectivité et sa population dans un engrenage mortifère conjuguant l’augmentation exponentielle de la dette et un accroissement constant des impôts locaux.

Au fond, cette gestion des deniers publics met non seulement en péril la situation financière des collectivités territoriales concernées mais entraîne fatalement un matraquage fiscal des classes moyennes qui travaillent.

En la matière, Paris et Nice sont aujourd’hui devenues le funeste symbole de ces villes dont la gestion de l’argent public est désormais hors de contrôle.

À Paris, sous la seule mandature de la maire, Mme Anne Hidalgo, la dette a augmenté de 100 % pour atteindre 7,7 milliards d’euros en 2022. Dans le même esprit, la ville de Nice et son établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre connaissent également une dette abyssale qui atteint aujourd’hui 2,5 milliards d’euros.

Afin de compenser cette gestion budgétaire chaotique, ces mairies ont alors fait le choix d’augmenter les impôts locaux. En l’état, les villes de Paris et de Nice ont, par exemple, respectivement augmenté leur taxe foncière de 52 % et 13 %. Pire encore, la ville de Nice a augmenté de 60 % la taxe d’habitation sur les locations secondaires tout en augmentant le coût d’accès aux services publics tels que celui des transports en commun.

Or, en matière de dépenses publiques, les élus, et particulièrement les maires, doivent être exemplaires.

La pression fiscale qui pèse aujourd’hui sur le pouvoir d’achat des ménages est tellement forte qu’il y a urgence à agir. Oui, chaque centime d’argent public gâché deviendra, de manière inéluctable, l’assurance de subir une nouvelle perte de pouvoir d’achat.

Le préjudice d’une telle gabegie est si important que leurs auteurs doivent désormais en rendre des comptes et en être responsables, y compris pénalement, devant les magistrats qui rendent la justice au nom du peuple français.

L’article 15 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 établit que la société a le droit de demander des comptes à tout agent public de son administration, et a fortiori, à son premier magistrat.

Cette proposition de loi vise à donner corps à cet engagement à valeur constitutionnelle.

Ainsi, l’article 1er permet d’écarter les élus des collectivités, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et intercommunalités de plus de 250 000 habitants de leurs fonctions lorsqu’ils mettent en péril les finances de la collectivité ou de l’entité publique dont ils ont la charge.

À cet égard, ledit article établit, d’une part, la révocation des élus par décret motivé pris en Conseil des ministres et, d’autre part, leur suspension le temps d’une évaluation par la Chambre régionale des comptes de leur gestion financière.

L’article 2 vise, en premier lieu, à créer une saisine automatique de la Chambre régionale des comptes en cas de mise en péril de la situation financière de la collectivité ou de l’EPCI concerné et, en deuxième lieu, à placer celle‑ci sous la tutelle du préfet.

De plus, cet article permet une saisine de la Chambre régionale des comptes à l’initiative d’un huitième des élus de la collectivité ou de l’entité publique concernée.

Enfin, l’article 3 permet de créer, d’une part, une responsabilité personnelle de l’élu et, d’autre part, un délit sanctionnant une mauvaise gestion mettant en péril la situation financière de la collectivité.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article L. 2122‑16 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après le mot : « adjoints, », sont insérés les mots : « les présidents ou vice‑présidents des collectivités ou établissements publics de coopération intercommunale de plus de 250 000 habitants, » ;

2° Après le même alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Si la gestion financière du maire ou du président est en cause, la suspension par arrêté ministériel peut durer tout le temps de l’évaluation par la chambre régionale des comptes, qui ne peut être supérieure à trois mois. »

3° Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Celui‑ci n’est pas suspensif. ».

4° Au dernier alinéa, après le mot : « adjoint », sont insérés les mots : « ou à celles de président ou de vice‑président ».

Article 2

L’article L. 211‑3 du code des juridictions financières est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque l’analyse du risque financier de la collectivité territoriale ou de l’établissement public de coopération intercommunale de plus de 250 000 habitants par la chambre régionale des comptes met en évidence la mise en péril financière de la collectivité ou de l’organisme concerné, ces entités sont placées sous la tutelle du représentant de l’État dans le département. 

« À l’initiative d’un huitième des élus siégeant au sein de l’entité publique, la chambre régionale des comptes peut être saisie afin d’évaluer la gestion financière de celle‑ci, depuis le début de la mandature et, in fine, publier un avis.

« La qualification de mise en péril de la situation financière est appréciée par la chambre régionale des comptes. Cette étude se fonde sur un calcul fixé par décret en conseil d’État prenant en considération l’évolution comparée des éléments suivants : taux des prélèvements obligatoires locaux, le taux d’endettement par habitant et les taux des dépenses de fonctionnement ».

Article 3

I. – Après le premier alinéa de l’article L. 2123‑34 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par exception, en matière de gestion des deniers publics, le maire ou le président est personnellement responsable de la mise en péril des finances de la collectivité, d’un établissement public de coopération intercommunale de plus de 250 000 habitants dont il a la charge. Cette mise en péril devant être évalué par la chambre régionale des comptes. »

II. – Le code pénal est ainsi modifié :

1° Après l’article 131‑26‑1, il est inséré un article 131‑26‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. 1312611.  Dans les cas prévus par la loi et par dérogation au septième alinéa de l’article 131‑26, la peine d’’inéligibilité mentionnée au 2° du même article peut être prononcée pour une durée de dix ans au plus à l’encontre du Président d’une collectivité, d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’un syndicat intercommunal à vocations multiples de plus de 250 000 habitants qui, par sa gestion des deniers publics, a mis en grave péril leur situation financière. Cette inéligibilité est automatique et de plein droit sauf décision contraire du magistrat après une décision spécialement motivée. »

2° Le livre IV est ainsi modifié :

a) À l’intitulé, après le mot : « contre », sont insérés les mots : « les collectivités territoriales, » ;

b) Au début, est ajouté un titre préliminaire comprenant un article 410 ainsi rédigés :

« Titre préliminaire : des atteintes aux intérêts des collectivités territoriales »

« Art. 410.  Le fait pour un président d’une collectivité, d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’un syndicat intercommunal à vocations multiples de plus de 250 000 habitants de commettre de graves négligences budgétaires et financières dans la gestion d’une collectivité territoriale est puni d’une amende de 100 000 euros ».