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N° 1881

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 novembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à interdire les salles de consommation à moindre risque dites « salles de shoot »,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Gisèle LELOUIS, Mme Marie-France LORHO, M. Franck ALLISIO, M. Sébastien CHENU, Mme Hélène LAPORTE, M. Emmanuel TACHÉ DE LA PAGERIE, M. Kévin PFEFFER, Mme Edwige DIAZ, M. Alexandre LOUBET, Mme Sandrine DOGOR-SUCH, M. Bruno BILDE, M. Julien RANCOULE, Mme Michèle MARTINEZ, M. Laurent JACOBELLI, M. Thomas MÉNAGÉ, Mme Yaël MENACHE, M. Julien ODOUL, M. Grégoire DE FOURNAS, Mme Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, M. Frédéric CABROLIER, Mme Laurence ROBERT-DEHAULT, M. Christian GIRARD, M. Daniel GRENON, Mme Catherine JAOUEN, M. Serge MULLER, Mme Julie LECHANTEUX, M. Frédéric FALCON, Mme Lisette POLLET, Mme Katiana LEVAVASSEUR, M. Stéphane RAMBAUD, M. José GONZALEZ, M. Pierrick BERTELOOT, M. Philippe SCHRECK, M. Frédéric BOCCALETTI, Mme Annick COUSIN, M. Nicolas MEIZONNET, Mme Marine HAMELET, Mme Joëlle MÉLIN, M. Philippe BALLARD, M. Jérôme BUISSON, Mme Christine ENGRAND, M. José BEAURAIN, M. Emmanuel BLAIRY, M. Frank GILETTI, M. Emeric SALMON, M. Yoann GILLET, Mme Angélique RANC, M. Victor CATTEAU, M. Jordan GUITTON, M. Michel GUINIOT, Mme Alexandra MASSON, M. Jocelyn DESSIGNY, M. Thibaut FRANÇOIS, M. Christophe BENTZ, M. Pierre MEURIN, Mme Sophie BLANC, M. Christophe BARTHÈS, Mme Florence GOULET,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2013, le gouvernement de M. Jean‑Marc Ayrault donnait son feu vert pour l’expérimentation de la première « salle de shoot » dans la capitale. En décembre 2015, le Parlement adoptait le projet de loi de modernisation de notre système de santé, défendu par le gouvernement de M. Manuel Valls et sa ministre Mme Marisol Touraine. L’article 43 de cette loi expérimentait pour cinq ans des « salles de consommation à moindre risque » (SCMR). En réalité, des « salles de shoot » pour se droguer en toute légalité. Les deux premières salles expérimentant ces dispositifs de consommation de stupéfiants ont été ouvertes à Paris et à Strasbourg en 2016.

En septembre 2021, M. Jean Castex propose la prorogation de l’expérience jusqu’en 2025 au Parlement qui la vote lors de l’étude du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). L’arrêté Véran du 26 janvier 2022 les rebaptise pompeusement HSA « haltes soins addictions », alors même qu’aucun rapport sérieux et indépendant ne permet d’identifier les bénéfices d’un tel dispositif.

En dépit des bonnes intentions affichées, le Gouvernement semble se diriger vers une pérennisation de ces dispositifs. Cette fausse solution permanente du « moindre mal » est vécue par une majorité de Français comme un échec, voire une compromission de la puissance publique dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.

Le renoncement de l’État s’illustre notamment sur le plan sanitaire à travers le rapport de l’Institut national de santé et de la recherche médicale (Inserm) de 2021 qui note des effets positifs sur la santé des toxicomanes puisque cela se ferait dans de « bonnes conditions » ([1]). Or, la consommation de stupéfiants ne peut être associée à un bon état de santé. Les riverains parisiens, cobayes de cette expérience, livrent ainsi un constat glaçant lors d’entretiens en 2021 ([2]) : les « toxicomanes errent dans nos rues, sans suivi psychiatrique ni hébergement, et les autorités minimisent ce que l’on vit ». De facto, le suivi de ces consommateurs illégaux ne semble pas être effectif, et la théorie ne rejoint pas la pratique. Par ailleurs, le code de la santé publique ne propose, sur les « salles de shoot », aucun objectif de désintoxication ou de prévention des risques pénaux, pour ces usagers.

De plus, ces « salles de shoot » se surajoutent au dispositif des Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de la drogue (CAARUD) existant depuis 2004 et bien plus efficaces. Ceux‑ci ne permettent pas de s’y droguer, mais fournissent le matériel pour que cela soit fait dans de meilleures conditions, sans transmission de maladie et permettent un accompagnement. Financés à hauteur de 60 millions d’euros par an par le contribuable au titre de la sécurité sociale, on s’interroge donc sur l’utilité et le surcoût annuel d’1,2 million d’euros par centre dans ce même budget pour le fonctionnement de ces « salles de shoot ». Et c’est sans compter les nouvelles salles souhaitées par le Gouvernement, alors que l’état des finances publiques de la France est déplorable.

Pourquoi ne pas renforcer le dispositif existant des CAARUD ?

Les « salles de shoot » provoquent l’effet inverse recherché et font augmenter la consommation puisqu’un « écosystème » se greffe tout autour. En 2012, la vice‑présidente de la Fédération mondiale contre les drogues, Mme Joséphine Baxter, tentait déjà d’alerter sur le fait qu’en « réalité, les « salles de shoot » entretiennent la dépendance aux drogues au lieu d’aider les gens à s’en débarrasser ([3]). »

La baisse du nombre d’overdoses n’est pas non plus clairement démontrée en raison d’un mauvais recensement. En outre, la consommation de stupéfiants peut même augmenter puisque la présence de personnel médical, même irrégulière, encourage le consommateur à expérimenter des dosages plus élevés.

Par ailleurs, le professeur Jean Costentin, chercheur au CNRS et président du Centre national de prévention, d’études et de recherches en toxicomanie estimait en 2016 que ces salles rompaient avec la déontologie médicale et faisaient des « médecins des complices de l’injection de produits inconnus, qui ne sont ni stériles, ni apyrogènes, à des doses inconnues ([4]) ». C’est également un argument avancé par l’Ordre des médecins ([5]) dès 2011, qui craint que cette complicité des médecins dans l’injection de produits illicites soit perçue comme une « caution de leur part ». L’avis de l’Académie de médecine ([6]), qui doute de superviser ce qu’elle appelle des « intoxications médicalement assistées », est similaire. De facto, l’État est aujourd’hui complice de la consommation de stupéfiants sur notre territoire, et indirectement du trafic de stupéfiants.

Le renoncement de l’État à lutter contre les trafics de stupéfiants s’illustre d’autant plus à travers l’impunité accordée dans la loi de 2016 qui instaure une dérogation au code pénal quant à la consommation de substances illicites. Comme dans d’autres pays, tout autour des « salles de shoot » viennent s’agglutiner des trafiquants dont les ventes sont dopées par l’afflux de consommateurs. Ces lieux de fixation des toxicomanes engendrent un effet « pot de miel » que dénonçait également la vice‑présidente de la Fédération mondiale contre les drogues : « les dealers se regroupent pour vendre leur drogue aux acheteurs qui entrent ensuite dans la salle d’injection ([7]). » Les trafiquants trouvent refuge autour de la « salle de shoot » puisque dans le fameux périmètre des 300 mètres ([8]) autour de la salle, les contrôles de police y sont absents contre les consommateurs, les trafiquants pouvant aisément se faire passer pour ces derniers, ils ne sont de facto pas inquiétés.

L’affluence de toxicomanes est donc une aubaine pour les trafiquants, et l’État fait déplorablement partie de ce circuit honteux par son laxisme et son prétendu encadrement.

C’est d’autant plus un affront fait aux forces de l’ordre engagés dans la lutte contre les trafiquants, l’État transforme les alentours de ces salles en zone de non‑droit où les « riverains sacrifiés » vivent un enfer.

Le renoncement de l’État sur la sécurité et la sûreté des personnes s’illustre également lorsque les habitants sont contraints de ne plus sortir seuls, de financer des « sas » aux entrées de résidences pour empêcher les intrusions et d’effectuer des maraudes, inquiets que leurs enfants traversent parfois seuls ces zones parsemées de seringues. Car contrairement au rapport bienveillant de l’Inserm qui notait « l’absence de détérioration de la tranquillité publique » générée par les « salles de shoot », les témoignages des riverains, parfois sur les réseaux sociaux montrent des scènes d’injection en pleine rue, des bagarres et des altercations fréquentes entre « crackés » ou même de la prostitution dans les cages d’escaliers et à l’entrée des résidences. ([9]) Beaucoup d’habitants fuient ces zones, de même que les commerçants qui ont vu leur chiffre d’affaire chuter, l’atmosphère inquiétante étant peu propice à la clientèle. Ce dernier élément devrait alerter les pouvoirs publics sur l’échec de cette expérience.

La réponse des pouvoirs publics ne peut être la capitulation et la pérennisation de ce dispositif promotionnel de l’usage des stupéfiants qui permet aux toxicomanes de poursuivre voire de renforcer leur addiction et à leurs exploitants illégaux de s’enrichir sur leur dos. La République française ne peut dire à ses citoyens qu’ils sont incurables et qu’elle va utiliser des ressources pour qu’ils continuent à se droguer dans un « environnement contrôlé ». Les « salles de shoot » ne peuvent permettre l’installation confortable des toxicomanes dans leur dépendance, laquelle leur enlève toute motivation pour entreprendre un sevrage et un traitement de réhabilitation. L’urgence est plutôt de financer des centres de sevrage et de soin qui participent à l’amélioration de la santé des consommateurs sans nuire à la tranquillité des riverains.

Les impacts en termes d’insécurité, d’insalubrité et de santé apparaissent clairement négatifs. La massification de ces SCMR à l’échelle nationale serait catastrophique. L’expérimentation est un échec qui doit s’arrêter au plus vite en raison des conséquences néfastes pour l’ensemble des Français, notamment des citadins. À Marseille, les riverains s’opposent d’ailleurs à l’installation de celles‑ci dès qu’ils l’apprennent, avec pétitions et manifestations.

Il faut s’opposer à la pérennisation de ce système.

Par conséquent, l’article unique de la présente proposition de loi vise à abroger l’article 43 de la loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 sur la modernisation de notre système de santé, dans le but d’interdire dès maintenant, les salles de consommation à moindre risque, dites « salles de shoot ».

 


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proposition de loi

Article unique

L’article 43 de la loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé est abrogé.

 


([1]) Mairie 10è arrondissement de Paris, site internet : « tout savoir sur la salle de consommation à moindre risque ».

([2]) Valeurs actuelles : « salle de shoot : pour la mairie de Paris, « les parents d’élèves du quartier sont contents », 5 juin 2021.

([3]) Le Figaro : « un bilan mondial plutôt négatif », 22 octobre 2012.

([4]) Jean Costentin, « les salles de "shoot" pour toxicomanes », revue française de criminologie et de droit penal, vol. 7, octobre 2016

([5]) Ordre national des médecins, centre d’injections supervisés, 8 avril 2011.

([6]) 20 minutes : « salles de consommation de drogues : réactions mitigées à l'opposition de l'Académie de médecine », 13 janvier 2011.

([7]) Le trafic de drogue (2015), Mario Bettati, chapitre 11 : l’ambiguïté des salles de shoot.

([8]) Le Figaro : Paris : « toxicomanes et dealers vont se fixer autour des nouvelles salles de shoot », 17 septembre 2021.

Le Monde : « salles de shoot : une zone de non-droit pénal ? », 6 aout 2016.

([9]) Mairie de Paris, Comité de voisinage SCMR – 5 juillet 2017.

Le Figaro : « Des toxicomanes se piquent en bas de chez moi » : à Paris, l'exaspération d'un habitant du quartier de la salle de shoot », 31 mai 2021.

Le Figaro : « À Paris, les riverains s'inquiètent d'une multiplication des salles de shoot », 25 février 2022.