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N° 1883

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 novembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à garantir à tous un accès égal et gratuit aux toilettes,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. François PIQUEMAL, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, M. Hendrik DAVI, M. Sébastien DELOGU, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Martine ETIENNE, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, Mme Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mme Raquel GARRIDO, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Mathilde HIGNET, Mme Rachel KEKE, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, Mme Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, Mme Pascale MARTIN, M. William MARTINET, M. Frédéric MATHIEU, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Adrien QUATENNENS, M. Jean-Hugues RATENON, M. Sébastien ROME, M. François RUFFIN, M. Aurélien SAINTOUL, M. Michel SALA, Mme Danielle SIMONNET, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, M. Léo WALTER, Mme Christine ARRIGHI, M. Mickaël BOULOUX, M. Arthur DELAPORTE, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Sébastien JUMEL, M. Tematai LE GAYIC, Mme Karine LEBON, M. Max MATHIASIN, M. Paul MOLAC, Mme Francesca PASQUINI, Mme Maud PETIT, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Claudia ROUAUX, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Mereana REID ARBELOT,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis 2013 et sa reconnaissance par les Nations unies, la journée mondiale des toilettes est l’occasion d’alerter les pouvoirs publics sur la nécessité de conduire des politiques en matière de toilettes et d’assainissement à la hauteur des besoins de la population.

Il y va de la dignité humaine. Dans sa résolution du 28 juillet 2010 (64/292), l’Assemblée générale des Nations unies proclame que « le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». Le sixième objectif de développement durable des Nations Unies pour la période 2015‑2030, « Garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable », vise à garantir l’effectivité de ce droit.

En France, les toilettes publiques, accessibles à tous sans conditions, n’ont été que trop peu développées. La question n’a pas été mise à l’agenda des politiques publiques.

Faute de législation, le territoire est traversé par de fortes disparités. Les trois quarts des 35 000 communes françaises ne disposent pas de toilettes publiques.

D’après un rapport de l’Académie de l’eau de mai 2020, Paris comptait en 2019 750 toilettes publiques pour 2,2 millions d’habitants, soit une toilette pour 3000 habitants. C’est 18 infrastructures à Marseille pour presque 900 000 habitants, soit une toilette pour 48 000 habitants. La capitale phocéenne n’est pas l’unique grande ville sous‑dotée. Nice, Lille, Strasbourg, Toulon, Reims, pour ne citer qu’elles, se situent également en‑deçà de la densité moyenne d’une toilette pour 5 300 habitants dans les grandes villes ([1]).

Les quartiers populaires sont également très mal lotis. On recense une quarantaine de toilettes publiques dans toute la Seine‑Saint‑Denis, département le plus pauvre de France où vivent plus d’1,6 millions de personnes ([2]). Les 86 000 habitants d’Aubervilliers doivent ainsi se partager une seule toilette publique ([3]).

Audelà de cette répartition inégale sur l’ensemble du territoire, la France manque de toilettes publiques. Chacun a déjà pu en faire l’expérience désagréable. L’épidémie de covid‑19 l’a par ailleurs révélé de façon criante : la fermeture des bars et restaurants, où il était possible de se soulager jusqu’à présent, bien que moyennant la consommation dans beaucoup d’endroits, a confronté les piétons, les travailleurs de première ligne et les sans‑abri à des situations particulièrement inconfortables ([4]).

L’accès aux toilettes répond à un des besoins de première nécessité qui ne devraient donc faire l’objet d’aucune monétisation.

La prépondérance des toilettes payantes dans l’espace public, ou moyennant consommation, ne permet pas de rendre le droit à l’accès aux toilettes effectif. C’est le cas de certaines commodités urbaines, par exemple dans certaines quartiers de Perpignan, où il faut payer 30 centimes par carte bleue uniquement ([5]).

C’est bien souvent le cas des établissements recevant du public, qui pourraient alors pallier l’absence de commodités urbaines. Si le code du travail oblige les employeurs à mettre à disposition des salariés des commodités – en vertu de l’article R. 4228‑10, « il doit y avoir au moins un cabinet et un urinoir pour vingt hommes et deux cabinets pour vingt femmes », ce n’est pas le cas pour les clients de ces établissements. Un grand nombre de français ou de touristes s’est déjà vu refuser l’accès aux toilettes d’un restaurant ou d’un bar, en l’absence de consommation dans l’établissement.

L’un des exemples marquant de cette problématique réside dans la monétisation excessive des toilettes présentes dans les gares ferroviaires. La plupart des toilettes des gares en France ne sont accessibles qu’à condition de payer 1 € : que ce soit pour effectuer ses besoins, changer son enfant, ou même remplir sa bouteille d’eau. Et cela, peu importe que vous ayez ou non un billet de train.

C’est d’ailleurs une promesse non tenue de la SNCF. Mme Marlène Dolveck, directrice générale de SNCF Gare & Connexions, avait promis, l’an dernier, la gratuité des toilettes pour les voyageurs munis de billets de train pour l’année 2022.

L’argument tenant à dire que cette monétisation permet de financer le personnel d’entretien, et ainsi de conserver des sanitaires propres, est réfutable. La SNCF emploie un prestataire pour s’occuper des sanitaires de la plupart des gares ferroviaires, 2THELOO FRENCH GROUP. Or, sur l’année 2021, 2THELOO FRENCH GROUP réalise un chiffre d’affaires de 1 261 613 . Le total du bilan a augmenté de 14.68 % entre 2020 et 2021.

Ce manque de toilettes accessibles sans conditions pèse inégalement sur la population. Cela affecte en premier lieu certains publics, qui ont des besoins propres et se retrouvent injustement discriminés sur cette base. Comme l’indique le sociologue Julien Damon, il y a des « inégalités de l’intimité » ([6]). Elles sont accentuées par le déficit d’équipements publics. Les populations déjà défavorisées sont doublement pénalisées et se voient dès lors privées de l’exercice de leurs droits fondamentaux.

En France, tout le monde ne bénéficie pas d’un accès égal aux toilettes. Sur les 35 millions de logements, 120 000 ne disposent toujours pas de toilettes ([7]). Leurs habitants, de même que les 300 000 sans‑abri du pays, sont directement dépendants de l’offre de toilettes mise à leur disposition. En l’absence de celles‑ci, ils sont contraints de trouver des solutions alternatives, parfois coûteuses et parfois indignes.

Le manque de toilettes publiques restreint l’accès à l’espace public pour les personnes les plus vulnérables. Que l’on songe aux personnes âgées, qui peuvent souffrir d’incontinence, et dont les possibilités de déplacements sont limitées dès lors qu’il n’y a pas de toilettes à proximité, facilement accessibles et gratuites. De même, que l’on songe aux personnes atteintes de certaines maladies chroniques, comme la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique, nécessitant de se rendre aux toilettes très régulièrement. En France, respectivement 120 000 et 80 000 personnes sont affectées par ces pathologies. La pétition #UrgenceToilettes, à l’initiative de l’afa Crohn RCH France, association des patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, interpelle ainsi la puissance publique afin de réclamer une meilleure prise en charge de l’accès aux toilettes et à l’hygiène ([8]).

Les femmes souffrent également davantage de cette situation, symptomatique de politiques d’aménagement urbain conçues à travers un prisme masculin. Les menstruations nécessitent la mise en place de lieux d’aisance clos, facilement accessibles et gratuits, pour préserver le confort et l’intimité de chacune. Cette question a été complètement ignorée jusqu’ici. L’installation d’urinoirs et autres « uritrottoirs » ne saurait suffire et répond à nouveau à une perspective exclusivement masculine.

Les professionnels du déplacement sont particulièrement impactés par le déficit de toilettes publiques. Les chauffeurs de taxi, les employés de sociétés de livraison et les livreurs des plateformes, pour ne citer qu’eux, sont constamment en transport et ne disposent pas d’un endroit fixe où soulager leurs besoins, comme c’est le cas pour les autres salariés, conformément aux dispositions du code du travail. Ils sont de ce fait discriminés et contraints de prendre à leur charge des besoins normalement assumés par l’employeur.

De façon plus générale, la multiplication des mobilités quotidiennes nécessite le développement d’une offre adaptée de commodités urbaines, apportant une réponse à tous les besoins. Tout le monde est en effet susceptible d’être concerné par une envie pressante durant un déplacement.

La nécessaire installation de toilettes publiques doit par ailleurs s’accompagner d’une réflexion écologique. Le système du « tout‑à‑l’égout » privilégié depuis le XIXe siècle, avec chasse d’eau et connexion aux réseaux de canalisations permettant l’évacuation, consomme énormément d’eau ([9]). Un rinçage par chasse d’eau emploie 9 litres d’eau. Bien que les systèmes de chasse d’eau à double flux permettent d’ajuster les volumes d’eau en fonction des besoins, ceux‑ci restent significatifs. Cela représente en moyenne 13 000 litres d’eau par personne chaque année[10]. À l’heure où les usages de l’eau, bien commun vital, doivent être repensés afin d’en garantir à chacun l’accès en quantité suffisante, il paraît pertinent de valoriser les toilettes publiques sèches, comme l’expérimentent avec succès un certain nombre de communes.

La présente proposition de loi entend répondre aux inégalités d’accès aux toilettes et offrir à chacun des équipements publics assurant son intimité, son hygiène et sa dignité.

L’article 1 prévoit la reconnaissance du droit de chacun à accéder dans l’espace public à des équipements assurant son intimité, son hygiène et sa dignité.

L’article 2 établit un ratio minimal de toilettes publiques accessibles gratuitement par nombre d’habitant, et prévoit la création par voie réglementaire d’un établissement public chargé de l’application et du respect de ces dispositions.

L’article 3 dispose que l’ensemble des établissements recevant du public ne peuvent imposer aucune condition d’achat aux personnes souhaitant utiliser les sanitaires de l’établissement.

L’article 4 prévoit les modalités de financement des dispositions contenues dans la présente proposition de loi.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article L. 1321‑1 A du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Les mots : « ou, à défaut, à proximité de ces derniers » sont remplacés par les mots : « et dans l’espace public » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Toute personne bénéficie d’un accès au moins quotidien à son domicile, dans son lieu de vie et dans l’espace public, à des équipements assurant son intimité, son hygiène et sa dignité, comprenant des sanitaires. »

Article 2

Après l’article L. 1321‑1 B du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1321‑1 C ainsi rédigé :

« Art. L. 13211 C.  I.  L’établissement public des toilettes publiques est un établissement public à caractère administratif, placé sous la tutelle du ministère de la santé et de la prévention, chargé de garantir à toute personne un accès gratuit, égal et sans condition aux équipements assurant son intimité, son hygiène et sa dignité dans l’espace public.

« L’établissement public des toilettes publiques exerce ses missions sur l’ensemble du territoire national, sans préjudice des compétences dévolues aux collectivités territoriales et à leurs groupements et en articulation avec ces collectivités et groupements.

« L’établissement public des toilettes publiques facilite la mise en œuvre du financement, de l’installation et de l’entretien de toilettes publiques à la disposition de tous.

« II.  L’installation de toilettes publiques gratuites et sans condition d’accès, en vue d’assurer la salubrité publique et la dignité de tous, est obligatoire dans les communes de plus de 2 500 habitants.

« Les toilettes publiques sont indiquées par une signalétique claire et sont entretenues quotidiennement par une équipe de nettoyage.

« Un quota minimum d’une unité de toilettes publiques pour 2 500 habitants doit être respecté.

« Afin d’éviter la surconsommation d’eau générée par l’utilisation de la chasse d’eau et pour des motifs écologiques, la mise en place de toilettes sèches est privilégiée autant que possible, en conformité avec l’article 17 de l’arrêté du 7 septembre 2009 fixant les prescriptions techniques applicables aux installations d’assainissement non collectif recevant une charge brute de pollution organique inférieure ou égale à 1,2 kg/j de DBO5.

« III. – Les modalités d’application du présent article sont définies par décret en Conseil d’État. »

Article 3

L’accès aux sanitaires dans les établissements recevant du public est garanti à tous. Il ne peut être soumis à aucune redevance ou condition d’achat.

Article 4

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1])  https://www.coalition-eau.org/wp-content/uploads/le-droit-dacces-a-des-toilettes-en-france.pdf

([2])  https://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/sites/sciencespo.fr.ecole-de-droit/files/Article_Lib%C3%A9ration_Manque-t-on-de-toilettes-en-France.pdf

([3])  Ibid.

([4])  https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2021/03/02/covid-19-les-francais-confrontes-au-manque-de-toilettes-dans-l-espace-public_6071646_4497916.html

([5])  https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/pyrenees-orientales/perpignan/payer-30-centimes-en-carte-bleu-pour-uriner-a-perpignan-les-nouvelles-toilettes-publiques-loin-de-faire-l-unanimite-2411905.html

([6])  Julien Damon, Toilettes publiques. Essai sur les commodités urbaines, Presses de Sciences Po, 2023.

([7])  Ibid.

()[8]  https://www.afa.asso.fr/wp-content/uploads/2020/10/COMMUNIQUE-URGENCE-TOILETTES-13-JANVIER-2021.pdf

([9])  Julien Damon, Toilettes publiques. Essai sur les commodités urbaines, Presses de Sciences Po, 2023.

([10])  https://reporterre.net/Toilettes-seches-une-lueur-d-espoir-au-bout-de-la-cuvette