N° 1885

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 novembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

pour un soutien pérenne de la filière musicale française,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Erwan BALANANT, M. Quentin BATAILLON, M. Damien ABAD, Mme Anne-Laure BABAULT, M. Xavier BATUT, Mme Anne BERGANTZ, M. Philippe BERTA, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Louis BRICOUT, Mme Blandine BROCARD, M. Vincent BRU, M. Laurent CROIZIER, Mme Fabienne COLBOC, M. Mickaël COSSON, M. Paul CHRISTOPHE, M. Jean-Pierre CUBERTAFON, Mme Geneviève DARRIEUSSECQ, Mme Mathilde DESJONQUÈRES, M. Philippe FAIT, M. Olivier FALORNI, Mme Marina FERRARI, Mme Estelle FOLEST, Mme Maud GATEL, M. Raphaël GÉRARD, M. Joël GIRAUD, M. Yannick HAURY, Mme Élodie JACQUIER-LAFORGE, Mme Sandrine JOSSO, Mme Florence LASSERRE, M. Pascal LECAMP, Mme Delphine LINGEMANN, M. Frédéric MAILLOT, M. Christophe MARION, M. Éric MARTINEAU, Mme Graziella MELCHIOR, Mme Lysiane MÉTAYER, Mme Sophie METTE, M. Bruno MILLIENNE, M. Hubert OTT, M. Jimmy PAHUN, M. Emmanuel PELLERIN, M. Frédéric PETIT, M. Stéphane PEU, Mme Josy POUEYTO, M. Richard RAMOS, Mme Véronique RIOTTON, Mme Claudia ROUAUX, M. Benjamin SAINT-HUILE, Mme Violette SPILLEBOUT, Mme Sabine THILLAYE, Mme Laurence VICHNIEVSKY, M. Jean-Marc ZULESI,

députées et députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Le gouvernement se réservera la possibilité de saisir le Parlement d’une contribution obligatoire des plateformes ».

Le 21 juin dernier, jour de la fête de la musique, le Président de la République annonçait sa volonté de créer une contribution sur les contenus audiovisuels en flux, autrement dit « une taxe streaming », pour soutenir l’industrie musicale. Voulant offrir une marge de manœuvre aux plateformes concernées, il avait laissé au secteur jusqu’au 30 septembre pour s’accorder.

À l’image de l’obligation faite à certaines plateformes de vidéos à la demande de consacrer une partie de leur chiffre d’affaires fait en France à la création audiovisuelle, cette taxe doit permettre de faire contribuer les plateformes musicales à la filière et in fine de préserver la « souveraineté culturelle française ».

Force est de constater qu’à peine plus de huit mois plus tard et alors que de nombreuses personnalités de la culture, à l’instar d’anciens ministres, soutiennent cette mesure et que de nombreux députés de tout bord ont déposé un amendement en ce sens dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, cette taxe n’est pas reprise par le Gouvernement après le déclenchement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution par la Première ministre.

Cela est d’autant plus regrettable que cette idée s’appuie en majeure partie sur le rapport du Sénateur Julien Bargeton, « La stratégie de financement de la filière musicale en France » d’avril dernier. Il avait ainsi suggéré d’instaurer une contribution spécifique de la musique enregistrée à travers le streaming, aujourd’hui le secteur le plus porteur de la filière. Selon lui, c’est le dispositif qui permettra de faire du Centre national de la musique (CNM) le véritable fer de lance de l’ambition française pour la musique.

Cette solution apparaît comme la plus équilibrée de la part même de la grande majorité des acteurs de la filière. Les rares s’y opposant sont ceux qui n’ont pas cru au projet du CNM dès l’origine et privilégient une contribution volontaire. Nous pensons, comme le rapporteur Bargeton, que cette voie n’est pas à suivre. S’apparentant à une cagnotte, cette contribution volontaire ne présente aucune garantie de rendement pérenne à la hauteur des ambitions du CNM. Par ailleurs, une telle contribution, reposant sur la seule volonté des plateformes, permettrait aux acteurs étrangers de s’y soustraire alors même qu’ils bénéficient des programmes de soutien du CNM. Ce choix de la contribution volontaire se traduirait donc immédiatement par l’exclusion de la musique enregistrée du champ du Centre national de la musique. L’idée du CNM est que les acteurs importants financent les projets émergeants et les plus petits acteurs, dans un esprit de solidarité et de mutualisation des risques, et qu’il serait dès lors incompréhensible que les grosses structures, souvent installées en dehors du territoire nationale, touchent des aides du CNM et ne contribuent jamais à son fonctionnement.

Créé le 1er janvier 2020 au terme de près de dix ans de travaux et de préfiguration forte de la filière musicale, le Centre national de la musique a très rapidement su montrer sa pertinence. Il est désormais vu comme la « maison commune » de la musique. La pandémie lui a donné l’occasion de démontrer son importance en soutenant et en accompagnant des secteurs fortement impactés par la crise sanitaire. Il s’est ainsi imposé comme un rouage essentiel de la politique publique dirigée vers le secteur de la musique et des variétés. Ces premières années d’existence sont sans équivoque. Ainsi, pour soutenir la création dans toute sa diversité, le schéma initial du Centre national de la musique doit être pérennisé et renforcé.

En effet, la sensibilité de la taxe sur les billetteries de spectacles aux éléments exogènes (crise sanitaire, aléas climatiques, inflation…), dont la nouvelle contribution serait l’extension, appelle à un rééquilibrage de ses financements entre les différents secteurs (spectacle vivant d’une part, musique enregistrée d’autre part). De plus, la contribution attendue de la part des organisations en gestion collective (OGC) a été fortement fragilisée par les conséquences de l’arrêt RAPP (Recorded Artists Actors Performers Ltd) du 18 septembre 2020 de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a réduit par ailleurs de 25 millions d’euros par an les aides internes à la filière et renforce d’autant les besoins du secteur en matière de soutien financier. En effet, par cet arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne est venue rappeler que « le droit de l’Union européenne s’oppose à ce qu’un État membre exclue les artistes interprètes ou exécutants qui sont ressortissants d’État tiers à l’Espace économique européen du droit à une rémunération équitable et unique pour la diffusion de musique enregistrée ».

La mise en place d’une contribution des services de diffusion de musique en ligne, gratuits et payants permettrait de rééquilibrer les contributions des différents secteurs au financement des missions de l’établissement, et de lui affecter une ressource complémentaire, dynamique et pérenne, selon un mécanisme de solidarité interne à la filière qui a démontré sa pertinence dans d’autres secteurs. (Centre national du Cinéma, Centre national du livre…).

L’article 1er, conformément à la préconisation du rapport, propose d’appliquer un taux marginal (1,75 %) à une assiette élargie (chiffre d’affaires publicitaire et généré les abonnements). S’agissant de l’imposition du chiffre d’affaires des services d’accès par abonnement, il est en outre proposé d’introduire des mécanismes de progressivité pour préserver les équilibres économiques de la filière :

– un barème d’imposition progressif par seuils de chiffre d’affaires afin de ne pas fragiliser les acteurs les plus émergents, et d’accompagner la montée en puissance du streaming par abonnement ;

– une montée en puissance graduelle sur trois ans de la charge fiscale pour ne pas déséquilibrer le modèle économique des redevables et atténuer l’entrée dans le champ de cette nouvelle contribution.

L’article 2 dispose que le Centre national de la musique peut recevoir de l’administration des impôts tous les renseignements relatifs au montant de la contribution définie à l’article 1er.

L’article 3 définit l’entrée en vigueur du dispositif de la présente loi au 1er janvier 2024.

 


proposition de loi

Article 1er

Après la section II bis du chapitre I bis du titre III de la deuxième partie du livre premier du code général des impôts, est insérée une section II ter ainsi rédigée :

« Section II ter. – Taxe sur la diffusion en ligne d’enregistrements phonographiques musicaux ou de vidéomusiques

« Art. 1609 sexdecies C. – I. – Il est institué une taxe sur la diffusion en ligne d’enregistrements phonographiques musicaux ou de vidéomusiques.

« Est soumis à la taxe :

« 1°Le service permettant l’accès à des enregistrements phonographiques musicaux ou des vidéomusiques, sur demande individuelle formulée par voie de communications électroniques dans le cadre des diffusions en flux et mis à disposition à titre onéreux à des personnes, autres que des entreprises, qui sont établies, ont leur domicile ou ont leur résidence habituelle sur le territoire de la métropole ou des territoires d’outre-mer ;

« 2° Le service de diffusion de messages publicitaires et de parrainage sur un service permettant l’accès à des enregistrements phonographiques musicaux ou des vidéomusiques, sur demande individuelle formulée par voie de communications électroniques et destiné à des personnes, autres que des entreprises, qui sont établies, ont leur domicile ou ont leur résidence habituelle sur le territoire de la métropole ou des territoires d’outre‑mer.

« II. – Le service mentionné au 2° du I est taxable lorsqu’il répond aux conditions cumulatives suivantes :

« 1° L’accès aux enregistrements phonographiques musicaux ou vidéomusiques ne présente pas un caractère accessoire ;

« 2° Son objet principal n’est :

« – ni l’information du public ;

« – ni la promotion auprès du public d’œuvres musicales, ni la fourniture d’informations relatives à ces œuvres.

« III. – Le fait générateur de la taxe est constitué à la date à laquelle une personne a encaissé une ou plusieurs contreparties d’un service taxable mentionné au I.

« IV. – Le montant de la taxe est égal à la somme des termes suivants :

« 1° Pour les services mentionnés au 1° du I, le produit des facteurs suivants :

« a) La somme des contreparties des services taxables au sens du V encaissées au cours de l’année civile ;

« b) Le taux d’imposition appliqué aux fractions des sommes des montants des contreparties encaissées du présent a suivants :

« i) 0 % pour la fraction inférieure à 20 millions d’euros ;

« ii) 1,25 % pour la fraction comprise entre 20 millions d’euros et 400 millions d’euros ;

« iii) 1,75 % pour la fraction supérieure à 400 millions d’euros ;

« 2° Pour les services mentionnés au 2° du I, le produit des facteurs suivants :

« a) La somme des contreparties des services taxables au sens du V encaissées au cours de l’année civile, cette somme étant préalablement minorée dans les conditions prévues au VI ;

« b) Le taux de 1,75 %.

« V. – Sont réputés constituer la contrepartie des services mentionnés au I :

« 1° Les prix perçus par les redevables concernés en contrepartie de l’accès aux services mentionnés au 1° du même I ;

« 2° Les sommes versées par les annonceurs et les parrains, pour la diffusion de leurs messages publicitaires et de parrainage sur les services mentionnés au 2° dudit I, aux redevables concernés.

« Pour chaque opération, sont, le cas échéant, déduits de ces prix les montants acquittés au titre des impositions de toutes natures mises en place dans un autre État membre de l’Union européenne et portant spécifiquement sur ces services.

« VI. – S’agissant spécifiquement d’un service fourni à titre gratuit et dont l’objet principal est de donner accès à des contenus créés par des utilisateurs privés à des fins de partage et d’échanges au sein de communautés d’intérêt, les sommes mentionnées au 2° du V sont comptabilisées à hauteur de 34 % de leur valeur.

« VII. – La taxe devient exigible à chaque encaissement d’une contrepartie mentionnée au V.

« VIII. – Est redevable la personne mentionnée au III, qu’elle soit établie en France ou hors de France.

« À cette fin, les contreparties encaissées par une personne autre que le fournisseur qui sont reversées sont réputées être encaissées par le bénéficiaire de ce reversement.

« IX. – Lorsque plusieurs personnes sont redevables au titre d’un même service mentionné au I, le montant de la taxe est établi séparément pour chacune d’elles à partir des seules contreparties qu’elle a encaissées, compte tenu du dernier alinéa du VIII.

« X. – La taxe est constatée, liquidée, recouvrée et contrôlée selon les mêmes sanctions garanties, sûretés et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les mêmes règles applicables à cette même taxe.

« XI. – Le produit de la taxe est affecté au Centre national de la musique.

« XII. – Par dérogation au ii du b du 1° du IV, pour les entreprises concernées dont le montant des sommes encaissées en contrepartie de ces même services fournis au niveau mondial l’année civile précédente est inférieur à 750 millions d’euros, le taux est de :

« 1° 0,5 % pour l’imposition établie au titre de 2024 ;

« 2° 1 % pour l’imposition établie au titre de 2025.

« Par dérogation au iii du b du 1° du IV, pour les entreprises concernées dont le montant des sommes encaissées en contrepartie de ces même services fournis au niveau mondial l’année civile précédente est inférieur à 750 millions d’euros, le taux est de :

« 1° 1 % pour l’imposition établie au titre de 2024 ;

« 2° 1,5 % pour l’imposition établie au titre de 2025. »

Article 2

Le 1° du VII de la section II du chapitre III du titre II de la première partie du livre des procédures fiscales est complété par un article L. 163 bis ainsi rédigé :

« Art. L. 163 bis. – Le Centre national de la musique peut recevoir de l’administration des impôts tous les renseignements relatifs au montant de la taxe mentionnée à l’article 1609 sexdecies C du code général des impôts. ».

Article 3

Les articles 1er et 2 entrent en vigueur au 1er janvier 2024.