N° 1973

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 décembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à adapter la procédure des référés aux enjeux environnementaux,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Naïma MOUTCHOU, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Jérémie IORDANOFF,

députées et député.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le changement climatique est l’un des grands défis auxquels nous devons faire face. Le dernier rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en mars 2023 dresse un état des lieux des conséquences parfois irrémédiables du réchauffement climatique que nous cherchons à atténuer : phénomènes naturels extrêmes, extinction de 20 à 30 % des espèces, crises alimentaires, zoonoses, acidification des océans et migrations massives…

Mais la protection de l’environnement ne se limite pas au climat. En France, la pollution de l’air est responsable, à elle seule, de 40 000 décès chaque année, tout comme se multiplient les alertes sur la pollution de l’eau, des sols et sur l’exploitation intensive des ressources naturelles.

Ce n’est pas tout. La criminalité environnementale (enfouissement de déchets dangereux, trafic d’espèces protégées, pêches illégales…) est elle‑même devenue l’une des activités criminelles les plus lucratives. Les dernières analyses d’Interpol révèlent que 38 % des ressources illicites des groupes armés de criminalité organisée et des terroristes sont liées à de telles activités, qui restent insuffisamment incriminées dans les législations nationales. De ce fait, elles sont jugées peu risquées par les criminels.

Dans l’intérêt des générations futures, nous avons la responsabilité de lutter contre les atteintes graves faites à l’environnement et d’accompagner les changements de pratiques pour une croissance plus durable. C’est aussi l’affaire de la Justice. La procédure des référés, en particulier, a toute sa place pour permettre au juge de devenir acteur de la protection de l’environnement et de garantir, à chacun, le droit de vivre « dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », liberté fondamentale consacrée par la Charte de l’environnement de 2005 et par la décision n° 451129 du 20 septembre 2022 du Conseil d’État.

Aussi cette proposition de loi entend‑elle améliorer cette procédure, dans le prolongement de la mission d’information menée sur le sujet par les députées Naïma Moutchou et Cécile Untermaier et dont les conclusions ont été présentées le 10 mars 2021.

 

L’article 1er porte l’ambition de mieux intégrer les enjeux environnementaux dans les procédures de référé administratif.

Premièrement, il vise à assouplir la condition d’urgence pour la procédure de référé‑suspension prévue par l’article L. 521‑1 du code de justice administrative, qui est aujourd’hui le plus usitée dans le domaine environnemental ([1]). Les auditions conduites dans le cadre de la mission sur le référé environnemental ont en effet montré que, dans ce domaine, l’urgence était souvent interprétée de manière trop restrictive, notamment en ce qu’elle peine à prendre en compte des dommages environnementaux qui peuvent être de long terme. Afin de mieux lutter contre les atteintes à l’environnement, il est indispensable de mieux prendre en compte la gravité et le caractère souvent durable, voire irréversible, des dommages qui peuvent être causés et qui sont en eux‑mêmes constitutifs d’une situation d’urgence, condition de recours à cette procédure du référé‑suspension. Cet article spécifie donc qu’en matière environnementale, l’urgence peut être présumée d’après le caractère grave ou durable du dommage ou du risque de dommage.

Deuxièmement, il prévoit, dans le cadre du référé‑suspension, une procédure spécifique permettant une action plus rapide du juge administratif en cas de dommage ou de risque de dommage particulièrement grave ou irréversible à l’environnement ([2]). Il fournit pour cela au juge des référés un nouvel outil pour prévenir tout dommage à l’environnement tout en conservant le temps d’étudier les cas complexes pour prendre sa décision de référé, en autorisant le juge des référés à ordonner la suspension immédiate de la décision, dès réception de la demande, s’il estime que la gravité ou le caractère durable du dommage ou du risque de dommage le justifie.

Troisièmement, il intègre de façon formelle le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que consacré par l’article 1er de la charte de l’environnement, dans le champ du référé liberté prévu par l’article L. 521‑2 du code de justice administrative, afin de renforcer la protection des droits et libertés fondamentaux liées à l’environnement ([3]). Entérinant ainsi la décision du juge administratif du 20 septembre 2022 selon laquelle ce droit à l’environnement est une liberté fondamentale au sens de cet article L. 521‑2 du code de justice administrative, il clarifie ainsi la possibilité de recourir à cette procédure du référé liberté en matière environnemental.

L’article 2 modifie certaines des modalités des référés prévus par le code de l’environnement, afin de faciliter le recours à ces procédures et, ainsi, de mieux prévenir les dommages.

Premièrement, il vise à élargir le champ d’application du « référé étude d’impact » prévu à l’article L. 122‑2 du code de l’environnement en y intégrant la possibilité de suspendre une décision administrative ayant fait l’objet d’une étude d’impact insuffisante ([4]). Créé en 1976, au début du développement des études d’impact, quand leur usage n’était pas encore courant, ce référé doit aujourd’hui être modernisé pour s’adapter aux nouveaux enjeux dans ce domaine et aux nouvelles exigences de protection judiciaire de l’environnement.

Deuxièmement, cet article vise à élargir le champ d’application du « référé pénal spécial » prévu à l’article L. 216‑13 du code de l’environnement en y intégrant l’ensemble des dispositions prévues dans le code de l’environnement, le code forestier, ainsi qu’à certains articles du code rural et de la pêche maritime, du code minier et de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ([5]). Pour le moment, le champ de ce référé spécial est en effet trop limité malgré un léger élargissement voté au cours de la discussion en séance de la loi « Climat et résilience ». L’élargissement de son champ d’application est aujourd’hui une nécessité pour mieux prévenir les dommages à l’environnement. Dans un souci de plus grande prévention des atteintes à l’environnement, l’élargissement de ce référé permettrait ainsi d’englober l’ensemble des délits à caractère environnemental, tels qu’ils ont été délimités par le champ de compétence des nouveaux pôles juridictionnels environnementaux institués par l’article 15 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée ([6]).

L’article 3 vise quant à lui à préciser le référé‑conservatoire prévu par l’article 835 du code de procédure civile ([7]). Sans condition d’urgence, ce référé permet au juge de prendre des mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Les auditions conduites par les députées Naïma Moutchou et Cécile Untermaier nous ont montré que, dans le domaine environnemental, la notion d’imminence du dommage était souvent inadéquate, notamment en ce qu’elle peine à prendre en compte la temporalité parfois spécifique de certains dommages environnementaux qui peuvent être de long terme. Cet article complète donc le référé prévu par l’article 835 du code de procédure civile afin qu’il puisse également concerner les cas où les dommages seraient graves ou durables.

 


proposition de loi

Article 1er

Le chapitre Ier du titre II du livre V du code de justice administrative est ainsi modifié :

1° L’article L. 521‑1 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « En matière environnementale, l’urgence peut résulter du caractère manifestement grave ou durable du dommage ou du risque de dommage. » ;

b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« En matière environnementale, le juge des référés peut ordonner la suspension immédiate de la décision, dès réception de la demande, s’il estime que la gravité ou le caractère durable du dommage ou du risque de dommage le justifie. La suspension peut ensuite être prorogée lors du prononcé du référé selon la procédure prévue au premier alinéa. » ;

2° L’article L. 521‑2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé tel que consacré par l’article premier de la Charte de l’environnement présente le caractère d’une liberté fondamentale. » 

Article 2

Le code de l’environnement est ainsi modifié :

1° L’article L. 122‑2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque que cette requête est fondée sur une insuffisance manifeste de l’étude d’impact, le juge des référés peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision ou de certains de ses effets. » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 216‑13, les mots : « imposées au titre des articles L. 181‑12, L. 211‑2, L. 211‑3 et L. 214‑1 à L. 214‑6 ou des mesures édictées en application de l’article L. 171‑7 du présent code ou de l’article L. 111‑13 du code minier, » sont remplacés par les mots : « par le code de l’environnement, le code forestier, le titre V du livre II du code rural et de la pêche maritime, par les 1° et 2° du I de l’article L. 512‑1 et les articles L. 111‑13 et L. 512‑2 du code minier ainsi que par l’article 76 de la loi n° 2014‑1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, ».

Article 3

Au premier alinéa de l’article 835 du code de procédure civile, après le mot : « imminent », sont insérés les mots : « , grave ou durable ».

 

 


([1]) Recommandation n° 5 de la communication précitée de Mmes Naïma Moutchou et Cécile Untermaier.

([2]) Recommandation n° 7 de la communication précitée de Mmes Naïma Moutchou et Cécile Untermaier.

([3]) Recommandation n° 8 de la communication précitée de Mmes Naïma Moutchou et Cécile Untermaier.

([4]) Recommandation n° 1 de la communication précitée de Mmes Naïma Moutchou et Cécile Untermaier.

([5]) Recommandation n° 3 de la communication précitée de Mmes Naïma Moutchou et Cécile Untermaier.

([6]) Article 706-2-3 du code de procédure pénale.

([7]) Recommandation n° 6 de la communication précitée de Mmes Naïma Moutchou et Cécile Untermaier.