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N° 2022

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 décembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à rétablir le droit du sol sur l’ensemble du territoire national,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Andrée TAURINYA, Mme Danièle OBONO, M. Thomas PORTES, Mme Élisa MARTIN, M. Andy KERBRAT, les membres du groupe La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale [(1)],

députées et députés.

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis […] est admis à l’exercice des droits de citoyen français ». Originalité révolutionnaire, principe fondateur faisant partie intégrante de notre héritage républicain, l’article 4 de la Constitution montagnarde du 24 juin 1793 permettait l’exercice des droits liés à la citoyenneté à condition d’être né et domicilié en France. La nationalité, ce lien d’appartenance tant spirituel que matériel existant entre les membres d’une communauté, n’avait pas encore été conceptualisée. Dans le prolongement de l’idée d’État‑nation, le code civil consacrera le lien de filiation comme condition d’attribution de la qualité de Français. Partant, le lien tissé pendant la Révolution entre l’appartenance au peuple et la participation à l’organisation politique fut rompu. La nationalité devint vite perçue et conçue comme attribut de la personne humaine inscrite dans sa chair. La possibilité était toujours offerte pour l’étranger né en France de réclamer la qualité de Français à sa majorité, une situation qui demeure marginale : en effet, le droit offrant aux étrangers un statut civil quasi identique à celui des nationaux, les sujétions relatives au service militaire attachées à ce statut avaient de lourds effets dissuasifs. Ces conceptions biologisantes de la nationalité – très vite confondue avec la citoyenneté – furent abandonnées pour revenir à une conception territoriale. À côté de l’acquisition de la nationalité par filiation, tout individu né en France d’un étranger lui‑même né en France pouvait devenir français. La consécration de ce « double droit du sol » permit de soumettre les hommes résidents sur le territoire aux obligations militaires. Cette vision moderne de la nationalité sera consacrée à la fin du 19e siècle dans un contexte de revanche vis‑à‑vis de l’Allemagne. La nationalité moderne en tant que qualité attachée à la personne par l’État se figeait progressivement. Au même moment émergeait la production d’un droit spécial propre aux étrangers pour réglementer leur présence sur le territoire national, les migrations répondant à des besoins de main‑d’œuvre. Le renforcement de cette identité nationale se fit de manière concomitante avec la deuxième vague de colonisation qui permit de distinguer le statut des colons vis‑à‑vis des peuples autochtones en asseyant la domination des premiers sur les seconds par la création de l’indigénat.

Les règles de l’acquisition de la nationalité par le sang et le sol restent relativement claires. Un individu naît français si l’un de ses parents est lui‑même français, ou bien si son parent étranger est né sur le territoire national. Depuis 1945, l’étranger qui naît en France peut acquérir la nationalité à sa majorité s’il réside sur le territoire et qu’il justifie d’une durée de résidence suffisante. Cependant, depuis le milieu des années 80 et la fin actée de l’immigration de travail, le droit de la nationalité est mis à contribution pour « rétrécir l’accès à la communauté nationale [et] éviter que l’étranger indésirable ne s’implante » (Karine. PARROT, Carte Blanche, l’État contre les étrangers, La fabrique, 2019).

Ainsi, une tendance législative générale s’observe depuis plusieurs décennies.

D’une part, la politique migratoire mise en œuvre conduit à aggraver les différences de traitements majeurs existants entre un ressortissant français et un étranger, qu’il dispose d’un titre de séjour ou bien qu’il se trouve en situation irrégulière. L’étranger demeure soumis à un droit d’exception intrusif, particulièrement restrictif en ce qui concerne l’accès à la santé, au logement, sa liberté d’aller et venir, sa liberté individuelle. Cette inégalité consacrée juridiquement se fait parfois au mépris de la dignité de la personne humaine, un absolu censé contraindre au respect des droits fondamentaux reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. En effet, dans sa décision n° 93‑325 DC du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel consacrait ces libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle parmi lesquels la liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d’aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale, le droit à bénéficier de la protection sociale, et du droit à un recours effectif leur permettant de garantir le respect de ces droits fondamentaux.

D’autre part, les gouvernements successifs ont continuellement alourdi les conditions permettant d’acquérir la nationalité française.

La véritable psychose autour des unions mixtes suspectées d’être des « mariages blancs » illustre parfaitement cette tendance dès le début des années 80. Les lois de lutte contre la fraude du 7 mai 1984 et du 22 juillet 1993 détaillent les conditions de recevabilité de la déclaration acquisitive de nationalité en raison du mariage (vérification systématique du contrôle de la durée de communauté de vie, introduction d’un délai de forclusion quant au dépôt de la déclaration, empêchements pour certaines condamnations pénales, facilitation du système d’opposition confié au ministère public). Les lois du 26 novembre 2003 et du 24 juillet 2006 sont venues durcir les conditions de déclaration de nationalité tout en contrôlant particulièrement les mariages célébrés à l’étranger (augmentation du délai d’attente à deux ans pour formuler une déclaration, suppression de la dispense de délai en cas de naissance d’un enfant, condition de maîtrise suffisante de la langue française, création d’une audition commune préalable au mariage et d’une infraction pénale spécifique de conclusion ou d’organisation de mariage de complaisance).

Le durcissement récent des conditions de la naturalisation confirme cette tendance visant à restreindre l’accès à la nationalité française. La loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et l’intégration suppriment des cas de dispense de durée de résidence dite « durée de stage » concernant l’enfant mineur, le conjoint et l’enfant majeur d’une personne ayant acquis la nationalité française et les étrangers ressortissants des anciens pays sous contrôle de la France. Une loi du 16 juin 2011 intervient à la suite d’un débat nauséabond sur l’identité nationale en promouvant « l’adhésion aux principes et valeurs essentiels de la République », signifiants dont l’absence de définition ouvre la porte à l’arbitraire et à l’instrumentalisation à des fins de persécution raciste. Au nom de ces valeurs abstraites, les gouvernements successifs tentent de légaliser la possibilité de retirer un titre de séjour pluriannuel octroyant une relative stabilité de vie à l’étranger qui en est le titulaire. Cette politique assimilationniste impliquait un durcissement du contrôle de la maîtrise de la langue française, l’exigence de la connaissance de l’histoire, de la culture et de la société française pour le candidat à la naturalisation. Ces conditions restrictives s’éloignent de notre héritage révolutionnaire reposant sur la domiciliation et la volonté de participer à la vie sociale d’une communauté politique. Elles génèrent des situations ubuesques. Il faut citer le cas illustratif rapporté par un article du Figaro publié le 2 septembre 2023 de ce jeune homme albanais de 25 ans, résidant en France depuis douze ans. Il s’était vu refuser la naturalisation en raison d’un manque de culture dite « générale » au motif qu’il ignorait que Madame Edith Cresson fut une Première ministre éphémère de la Ve République.

La remise en cause du droit du sol constitue alors la troisième pièce de ce vaisseau identitaire. Ce mode d’acquisition de la nationalité est conçu comme un cheval de Troie dans la rhétorique raciste du « grand remplacement », pseudo-théorie qui voit dans des mouvements naturels de population le péril d’une disparition civilisationnelle provoquée par « submersion migratoire ». Mayotte illustre à ce propos un véritable renversement de l’histoire et des mots qui permettent de la décrire. Les fantasmes de l'extrême droite à son sujet nient les conditions de son rattachement définitif à la République française, pleinement responsable du sabotage de la décolonisation aux Comores. Le non-respect du référendum d’autodétermination organisé à cette occasion – dont les résultats ont été pris en compte île par île – est pourtant au fondement des contradictions qui bouleversent cet archipel. Le corps des femmes comoriennes y est décrit comme instrument d’une colonisation de peuplement par les tenants d’une politique xénophobe. Pour contrer ce qui est présenté fallacieusement comme un remplacement de population par une autre, ceux‑ci appellent à la fin pure et simple du droit du sol. Ces propositions reçoivent le soutien médiatique de l’extrême droite la plus rance qui en profite pour avancer son agenda politique. Elles masquent mal des réalités qu’une certaine élite locale préfèrerait ignorer : « une nouvelle génération née à Mayotte, française dans sa majorité, ne fera peutêtre pas le choix de la docilité consentie par leurs parents pour tenter de préserver le peu qu’ils ont sur le territoire », comme le résume M. Grégoire Mérot dans un article publié le 21 avril 2023 pour Blast, sur l’explosion sociale couverte par l’opération Wuambushu. 

Ce rétrécissement de l’accès à la nationalité se produit sur la base d’un fantasme : celui de l’homme extra européen, oisif et fraudeur, inassimilable par essence : un homo economicus migrant en France par pur opportunisme. La multiplication de ce « corps étranger » menacerait l’unité d’une nation organique blanche, de « culture » chrétienne, ethniquement homogène. Une première concession extrêmement dangereuse a été actée par la loi de 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Le gouvernement d’Edouard Philippe engageait une rupture historique en aménageant le droit du sol. Le statut à part de Mayotte était confirmé, ce 101e département français maintenu juridiquement hors de la République. 

Le code civil dispose en son article 21‑7 que : « Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans ». Son nouvel article 2493 précisait que : « Pour un enfant né à Mayotte, le premier alinéa de l’article 217 et l’article 2111 ne sont applicables que si, à la date de sa naissance, l’un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière, sous couvert d’un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois. »

Le bénéfice du droit du sol pour l’enfant né sur le territoire de la République était dès lors conditionné à une durée de régularité du séjour de son parent étranger. Cette rupture fut minimisée par la majorité présidentielle pour masquer son caractère inouï. La députée Elise Fajgeles, rapporteure du texte pour la commission des lois affirmait que : "Le Conseil d’État, qui avait été saisi d’une proposition de loi comprenant la disposition reprise sous forme d’amendement par le Sénat, n’a pas jugé qu’elle présentait un risque d’inconstitutionnalité. Elle porte exclusivement sur Mayotte, dont la situation est reconnue comme spécifique.". Loin d’être une « réponse proportionnée » et « circonscrite au territoire mahorais », ce régime d’exception a été durci et étendu par amendement dans le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration adopté en première lecture par le Sénat le 14 novembre 2023, puis confirmé par une majorité de députés lors du passage du texte en commission à l’Assemblée nationale. En effet, la condition de durée de régularité du séjour était portée à un an, les deux parents devant désormais satisfaire cette condition au jour de la naissance de leur enfant. Ce modèle était étendu à d’autres territoires de la République avec une durée variable (neuf mois pour la Guyane, trois mois pour Saint‑Martin). Le Sénat allait plus loin en permettant à l’autorité publique de s’opposer à l’acquisition de la nationalité par l’effet du droit du sol si l’enfant né en France de parents étrangers ne paraissait « manifestement pas assimilé à la communauté française ». De même, l’enfant né en France de parents étrangers ne pourrait plus bénéficier du droit du sol en cas de condamnation à une peine de prison supérieure ou égale à six mois. Enfin, la fin de l’automaticité de cette acquisition de la nationalité était actée, la manifestation explicite de volonté pour bénéficier du droit du sol devenant nécessaire.

Ces offensives sont symptomatiques d’un désir de suppression intégrale du droit du sol au profit d’une conception quasi biologique de la nationalité. La France Insoumise refuse de céder aux sirènes du suprémacisme blanc. Contre la pente mortifère empruntée par les gouvernements successifs depuis plusieurs décennies, l’article unique de cette proposition de loi vise à rétablir le droit du sol sur l’ensemble du territoire national en abrogeant l’exception mahoraise introduite par la loi n° 2018‑778 du 10 septembre 2018 (articles 2493 et 2494 du code civil). L’article 2495 avait été inséré dans le code civil en vue d’organiser la publicité de la naissance de l’enfant né à Mayotte d’un parent étranger en situation régulière depuis au moins trois mois. Il permettait au parent de demander à ce que cette situation de régularité figure sur l’acte de naissance en prévoyant une voie de recours en cas de refus opposé par l’officier d’état civil. Cette disposition n’étant plus nécessaire avec la disparition des articles 2493 et 2494 du code civil, elle doit elle aussi faire l’objet d’une abrogation. 

 


proposition de loi

Article unique

Les articles 2493, 2494 et 2495 du code civil sont abrogés.

 

 


[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, M. Hendrik DAVI, M. Sébastien DELOGU, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Martine ETIENNE, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, Mme Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mme Raquel GARRIDO, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Mathilde HIGNET, Mme Rachel KEKE, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, Mme Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, Mme Pascale MARTIN, M. William MARTINET, M. Frédéric MATHIEU, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Adrien QUATENNENS, M. Jean-Hugues RATENON, M. Sébastien ROME, M. François RUFFIN, M. Aurélien SAINTOUL, M. Michel SALA, Mme Danielle SIMONNET, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, M. Léo WALTER.