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N° 2060

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 janvier 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à abroger les mesures de préférence nationale de la loi Immigration,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Anna PIC, M. Boris VALLAUD, Mme Marietta KARAMANLI, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Roger VICOT, M. Joël AVIRAGNET, M. Elie CALIFER, M. Arthur DELAPORTE, M. Jérôme GUEDJ, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Alain DAVID, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, M. Johnny HAJJAR, Mme Chantal JOURDAN, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Philippe NAILLET, M. Bertrand PETIT, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Valérie RABAULT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, Mme Mélanie THOMIN, les membres du groupe Socialistes et apparentés [(1)],

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 19 décembre 2023, le Parlement a adopté la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration dont le contenu méconnaît gravement la lettre et l’esprit de notre Constitution et en particulier l’alinéa 1er du Préambule de la Constitution de 1946. Celui‑ci dispose que « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. »

Les député·es du groupe Socialistes et apparentés, frontalement opposé·es à ce texte dans son ensemble, proposent d’en supprimer les dispositions les plus attentatoires aux droits fondamentaux ([1]) : celle qui instaure la préférence nationale et celles qui suppriment l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence.

La préférence nationale figure à l’article 19, qui introduit des conditions de durée de résidence pour l’accès à différentes prestations sociales.

Plus précisément, cet article prévoit que pour l’accès aux prestations familiales (la prestation d’accueil du jeune enfant, les allocations familiales, le complément familial ; l’allocation de logement, l’allocation de soutien familial, l’allocation de rentrée scolaire, l’allocation journalière de présence parentale), l’accès au logement social et l’allocation personnalisée d’autonomie, l’étranger devra justifier de trente mois d’activité professionnelle ou cinq ans de résidence.

Pour les allocations personnalisées au logement, l’étranger devra disposer d’un visa étudiant, ou justifier de trois mois d’activité professionnelle, ou à défaut de cinq ans de résidence.

Au regard de leur objet, ces différentes prestations sociales sont actuellement ouvertes aux étrangers résidant de manière régulière sur le territoire de la République. Elles garantissent en effet la dignité de la personne humaine, le droit à un logement décent, le droit de disposer de « moyens convenables d’existence » pour reprendre les termes de l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946.

Aussi, l’instauration d’une durée de résidence ou d’une activité professionnelle confine à la consécration d’une préférence nationale, qui est contraire à nos valeurs républicaines et le principe d’égalité tout particulièrement.

Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler les mots de M. Jean‑Marie Le Pen interrogé par M. Paul Amar le 16 mars 1988 sur le plateau du journal de 20 heures d’Antenne 2 présentant sa proposition phare pour l’élection présidentielle de 1988 : « Je coupe la pompe à finances, c’estàdire que j’établis le principe de préférence nationale, dans le travail, dans les services sociaux, dans l’attribution des HLM, dans la politique familiale ». 

Trente-cinq ans plus tard, après l’adoption de cette disposition, et plus largement du texte ici contesté, sa fille et l’ensemble de ses héritiers politiques – en l’espèce les députés du Rassemblement national – ne pouvaient que justement constater leur « victoire idéologique ».

Aussi, l’article 1er de la présente proposition de loi vise à abroger purement et simplement cet article 19.

Si l’abrogation de cet article est un impératif moral pour les raisons évoquées supra, elle est aussi nécessaire tant ses conséquences sur la vie des étrangers seraient dramatiques. Cet article est en effet une bombe sociale.

S’il en venait à être appliqué, des milliers de familles ne pourront plus payer leurs loyers et factures. Elles se retrouveront à la rue, sans solutions, avec leurs enfants. Concrètement, c’est à la mère isolée étrangère qui vit en France depuis quatre ans avec plusieurs enfants de nationalité française que le texte supprime les allocations familiales. Il supprime également le droit à un logement social ou aux aides personnalisées au logement (APL) à l’infirmière de nationalité étrangère, alors qu’elle contribue tous les jours à faire tenir notre hôpital public. À ces étrangers qui paient des impôts et cotisent en France, le texte voté ne leur promet qu’une misère encore plus forte.

Ce texte consacre surtout le renoncement à un principe fondateur, celui de l’universalité de notre Sécurité sociale, au nom duquel quiconque dans le besoin a droit aux prestations sociales dites “non contributives” (versées sans préalables), qu’il travaille ou non.

À celles et ceux qui prétendent qu’une telle condition existe déjà pour le revenu de solidarité active (RSA), il faut rappeler que le Conseil d’État l’avait jugé “proportionnée” dans la seule mesure où d’autres prestations garantissaient un reste à vivre suffisant aux étrangers visés. Tel ne sera plus le cas avec le texte voté le 19 décembre dernier.

Par ailleurs, la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration prévoit en ces articles 67 et 69 de priver d’hébergement d’urgence les étrangers qui seraient soumis à une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ainsi que ceux dont la demande d’asile a été définitivement rejetée.

Il apparaît que de telles dispositions conduiraient à priver de logement de manière systématique un grand nombre d’étrangers sans alternative pour s’abriter. En ce sens, elles sont totalement contraires au droit pour chaque personne de disposer d’un logement décent.

Pire, de telles dispositions seront à l’origine d’une multiplication des habitats indignes, des campements sauvages et des situations d’exploitation de personnes de nationalité étrangère par des marchands de sommeil ; phénomènes contre lesquels l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence était un bouclier utile.

Aussi l’article 2 de cette proposition de loi visent‑ils à abroger les articles 67 et 69 de ladite loi.

C’est l’honneur de la République et de ses traditions d’accueil dans le respect de la dignité humaine qui se trouvent gravement remis en cause par la loi du 19 décembre 2023. Cette proposition de loi vient ici en supprimer les horreurs les plus contraires à nos principes.

 


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proposition de loi

Article 1er

I. – Le code de la construction et de l’habitation, dans sa rédaction résultant de l’article 19 de la loi n°     du      pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa de l’article L. 300‑1 est supprimé ;

2° Au 2° du I de l’article L. 822, le mot : « quatre » est remplacé par le mot : « deux ».

II. – L’article L. 512‑2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de l’article 19 de la loi n°     du       pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, est ainsi modifié :

1° Après le mot : « suisse, », la fin du deuxième alinéa est ainsi rédigée : « titulaires d’un titre exigé d’eux en vertu soit de dispositions législatives ou réglementaires, soit de traités ou accords internationaux pour résider régulièrement en France. »

2° Les troisième et quatrième alinéas sont supprimés.

III. – Le dernier alinéa de l’article L. 232‑1 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de l’article 19 de la loi n°     du       pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, est supprimé.

IV. – Le IV de l’article 19 de la loi n°     du       pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration est abrogé.

Article 2

I. – Le dernier alinéa de l’article L. 345‑2‑2 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de l’article 67 de la loi n°     du      pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, est supprimé.

II. – Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’article 69 de la loi n°     du      pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, est ainsi modifié :

1° L’article L. 551‑12 est ainsi modifié :

a) Après le mot : « subsidiaire », sont insérés les mots : « et les personnes ayant fait l’objet d’une décision de rejet définitive » ;

b) La seconde phrase est supprimée.

2° Les trois premiers alinéas de l’article L. 552‑15 sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsqu’il est mis fin à l’hébergement dans les conditions prévues aux articles L. 551‑11 à L. 551‑14, l’autorité administrative compétente ou le gestionnaire du lieu d’hébergement peut demander en justice, après mise en demeure restée infructueuse, qu’il soit enjoint à cet occupant sans titre d’évacuer ce lieu.

« Le premier alinéa n’est pas applicable aux personnes qui se sont vues reconnaître la qualité de réfugié ou qui ont obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire. Il est en revanche applicable aux personnes qui ont un comportement violent ou commettent des manquements graves au règlement du lieu d’hébergement. »

Article 3

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) Les député·e·s du même groupe ont par ailleurs saisi le Conseil constitutionnel sur de nombreuses dispositions du texte, afin qu’elles soient déclarées contraires à la Constitution.


[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, M. Jérôme GUEDJ, M. Johnny HAJJAR, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Philippe NAILLET, M. Bertrand PETIT, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Valérie RABAULT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Mélanie THOMIN, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT.