N° 2091

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 janvier 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à compléter les dispositions applicables au Haut Conseil de stabilité financière,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Lionel CAUSSE, Mme Marjolaine MEYNIER-MILLEFERT, M. Romain DAUBIÉ, Mme Jacqueline MAQUET, M. Christophe MARION, Mme Laurence HEYDEL GRILLERE, Mme Pascale BOYER, M. Yannick HAURY, Mme Cécile RILHAC, M. Hadrien GHOMI, Mme Marie-Agnès POUSSIER-WINSBACK, M. Damien ABAD, M. Paul CHRISTOPHE, M. Lionel VUIBERT, Mme Violette SPILLEBOUT, M. Benoît BORDAT, M. Stéphane TRAVERT,

députés et députées.


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cette proposition de loi cherche à compléter deux dispositions applicables au Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), afin d’en limiter certaines insuffisances constatées.

Créé par la loi n° 2013‑672 du 26 juillet 2013 ([1]), le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) a remplacé l’ancien Conseil de régulation financière et du risque systémique (Corefris), lui‑même créé par la loi n° 2010‑1249 du 22 octobre 2010 ([2]). Le HCSF est l’autorité macroprudentielle française chargée d’exercer la surveillance du système financier dans son ensemble, dans le but d’en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique. Les dispositions législatives relatives au Haut Conseil de stabilité financière figurent aux articles L. 631‑2 et suivants du Code monétaire et financier ([3]).

Autorité administrative dépourvue de personnalité morale, le HCSF est composé de huit membres, aussi bien institutionnels que professionnels. Il est ainsi présidé par le ministre chargé de l’Économie et comprend le gouverneur de la Banque de France, le vice‑président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), le président de l’Autorité des marchés financier (AMF), le président de l’Autorité des normes comptables, et trois personnalités qualifiées désignées en raison de leurs compétences dans les domaines monétaire, financier ou économique ([4]). Ces personnalités qualifiées sont désignées, pour une durée de 5 ans, par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat et le ministre chargé de l’Économie[5].

L’article L. 141‑5‑1 du code monétaire et financier précise le rôle général reconnu au HCSF : veiller à la stabilité du système financier. Pour y parvenir, le législateur a confié diverses missions à ce HCSF ([6]), et notamment celles d’analyser les situations à risque, d’émettre des avis ou des recommandations, ou encore d’adopter des mesures dans son champ d’action.

Concernant ce dernier pouvoir, le HCSF peut, sur proposition du gouverneur de la Banque de France, « en vue de prévenir l’apparition de mouvements de hausses excessives sur le prix des actifs de toute nature ou d’un endettement excessif des agents économiques » ([7]), fixer des conditions d’octroi de crédit par les entités soumises au contrôle de l’ACPR ou de l’AMF et ayant reçu l’autorisation d’exercer cette activité ([8]). Il doit s’agir ici de prêts à des agents économiques situés sur le territoire français ou destinés au financement d’actifs localisés sur le territoire français.

Ces dernières années, le HCSF a publié deux recommandations cherchant à éviter une « surchauffe » sur le marché du crédit immobilier à une période où les taux d’intérêts étaient bas (Recomm. n° R‑HCSF‑2019‑1 du 20 décembre 2019. – Recomm. n° R‑HCSF‑2021‑1 du 27 janv. 2021).

Ainsi, depuis la seconde recommandation, il est demandé aux prêteurs, en matière de crédits immobiliers, de respecter un taux d’effort de 35 % (contre 33 % en 2019), avec la possibilité cependant de s’en écarter dans 20 % des dossiers tous les 3 mois. Le HCSF prohibe également les crédits dont la durée de remboursement dépasse 25 ans (sauf projet de construction ou d’achat sur plan, avec un prêt pouvant aller sur 27 ans pour couvrir la période de travaux).

Par la suite, le Haut Conseil de stabilité financière a décidé de reprendre ces mêmes exigences dans une décision juridiquement contraignante, adoptée sur le fondement du 5° de l’article L. 631‑2‑1 du Code monétaire et financier (Décis. n° D‑HCSF‑2021‑7 du 29 septembre 2021 relative aux conditions d’octroi de crédits immobiliers) ([9]). En procédant de la sorte, le HCSF a chargé l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de contrôler (et éventuellement de sanctionner) la bonne mise en œuvre de cette décision et des exigences qu’elle comprend. Les règles en question sont ainsi devenues des normes juridiquement contraignantes pour les établissements prêteurs.

Si, depuis ce dernier texte, quelques légers ajustements ont été opérés (HCSF, déc. n° D‑HCSF‑2023‑2, 29 juin 2023 ([10]). – HCSF, communiqué, 4 décembre 2023), force est de constater que les exigences dégagées par le Haut Conseil de Stabilité financière font régulièrement l’objet de critiques, et plus particulièrement la limite du taux d’effort à 35 %. Il est vrai que si ces règles s’appuient sur des indicateurs, des analyses et des études approfondies de la situation financière française, elles paraissent relever de son seul jugement discrétionnaire.

Or, ce qui pouvait paraitre admissible en période de « taux bas », l’est nettement moins en période de « taux élevés », et plus particulièrement en période d’inflation. Ainsi, aujourd’hui, cet encadrement s’inscrit dans le contexte d’une crise du logement sans précédent : crise de l’offre, de la demande et de l’investissement immobilier.

La règle des 35 %, plus précisément, participe à la chute massive de la production des crédits à l’habitat hors renégociations (9,2 milliards d’euros de prêts en octobre), en empêchant l’accession à la propriété de potentiels emprunteurs parfaitement solvables.

De plus, son pouvoir discrétionnaire relevé précédemment, a pour effet de soustraire à tout débat public les évolutions décidées par le HCSF, et ce alors mêmes que l’accès au crédit immobilier intéresse plusieurs millions de Français.

Il est alors proposé, face à cet effondrement de la production de crédits immobiliers, de modifier certaines règles intéressant le Haut Conseil de stabilité financière.

L’article 1er de cette proposition de loi vise à modifier la composition du Haut Conseil de stabilité financière, afin d’y faire entrer un député et un sénateur, respectivement désignés par la Présidente ou le Président de leur chambre.

Certes, le nombre restreint de membres siégeant au HCSF est de nature à faciliter sa prise de décision. Cependant, dans la mesure où, depuis le 1er janvier 2022, les décisions du Haut Conseil de stabilité financière sont devenues contraignantes, elles constituent à ce titre de véritables normes macroprudentielles. Il parait donc nécessaire d’y intégrer des élus de la représentation nationale.

En effet, et même si les décisions concernées peuvent faire l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’État[11], la présence d’un député et d’un sénateur au sein même du HCSF permettrait de renforcer les discussions autour des mesures à privilégier et, partant, l’aspect démocratique du processus d’adoption de ces dernières.

Cette modification irait d’ailleurs dans le sens d’une évolution légale préexistante. En effet, il convient de rappeler que la loi n° 2018‑699 du 3 août 2018 ([12]) a cherché, justement, à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement. Dans le domaine bancaire, ce texte a eu des répercussions sur la composition du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) ([13]), du Comité consultatif de la législation et de la règlementation financière (CCLRF) ([14]) ou encore de l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement ([15]).

L’article 2 vise à encadrer le pouvoir normes macroprudentielles du Haut Conseil de stabilité financière. En effet, depuis 2019, le HCSF met en avant une doctrine de l’endettement excessif particulièrement stricte, qui a pour effet d’exclure de l’accession à la propriété certains emprunteurs parfaitement solvables. Pour cela, cet article propose de faciliter l’accès au crédit aux personnes ne présentant pas un risque d’endettement excessif.

La limite du taux d’effort à 35 % n’est, en effet, plus utile en période de re‑augmentation des taux. Rappelons que l’octroi du crédit immobilier fait l’objet d’un encadrement légal strict ([16]), et notamment l’analyse de la solvabilité du demandeur de crédit ([17]). Or, il n’est pas crédible qu’une banque consente un crédit immobilier à une personne alors que la situation financière de cette dernière est de nature à faire craindre une absence de remboursement. La banque s’appuiera alors sur divers « outils » pour déterminer la capacité financière de l’intéressé : le taux d’endettement (ou taux d’effort) en est un, mais le « reste à vivre » aussi. Il peut alors paraître maladroit de privilégier aveuglément le premier, alors que le second est tout aussi utile pour déterminer les chances de remboursement du crédit par l’emprunteur. Il en va d’autant plus ainsi que les juges du fond visent, régulièrement, ce reste à vivre dans leurs décisions ([18]).

Il nous semble dès lors important de permettre aux établissements prêteurs de s’affranchir de la règle du taux d’effort lorsqu’ils sont en mesure de démontrer que les concours concernés ne présentent pas de risque d’endettement excessif.

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

L’article L. 631‑2 du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, le mot : « huit » est remplacé par le mot : « dix » ;

2° Après le 5°, il est ajouté un 6° ainsi rédigé :

« 6° Un député et un sénateur, désignés respectivement par le Président de l’Assemblée Nationale et le Président du Sénat ».

Article 2

Avant le dernier alinéa de l’article L. 631‑2‑1 du code monétaire et financier, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les décisions prises sur le fondement du 5° en matière de taux d’effort peuvent être écartées par les établissements de crédit ou les sociétés de financement si ceux‑ci parviennent à démontrer que le concours proposé ne présente pas de risque d’endettement excessif ».

 


([1]) Loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de separation et de regulation des activites bancaires : JO, 27 juill. 20)13, texte n° 1.

([2])  Loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de regulation bancaire et financiere : jo, 23 oct. 2010, texte n° 1.

([3])  Pour une presentation detaillee, j. lasserre capdeville, retour sur un acteur de la surveillance bancaire et financiere meconnu : le haut conseil de stabilite financiere : revue droit des affaires, business and law review, 2020, p. 206 et s.

([4])  C. mon. fin., art. l. 631-2, 1° a 5°.

([5])  C. mon. fin., art. l. 631-2, 5°.

([6]) C. mon. fin., art. L. 631-2-1.

([7])  C. mon. fin., art. L. 631-2-1.

([8])  C. mon. fin., art. L. 631-2-1, 5°.

([9])  J. Lasserre Capdeville, HCSF : des règles plus contraignantes en matière d'octroi de crédits immobiliers : JCP E 2021, n° 39, 658.

([10])  J. Lasserre Capdeville, Ajustements des exigences du HCSF en matière de crédit immobilier : JCP E 2023, n° 27, 596.

([11])  C. mon. fin., art. L. 631-2-1.

([12])  Loi n° 2018-699 du 3 aout 2018 visant a garantir la presence des parlementaires dans certains organismes exterieurs au parlement et a simplifier les modalites de leur nomination : jo, 5 aout 2018, texte  3.

([13])  C. mon. fin., art. L. 614-1.

([14])  C. mon. fin., art. L. 614-2.

([15])  C. mon. fin., art. L. 141-4.

([16])  C. consom., art. L. 313-1 et s. - On ajoutera que la jurisprudence est à l’origine de devoirs devant être scrupuleusement respectés par le banquier dispensateur de crédit. Le devoir de mise en garde en est un bon exemple. – Sur ce devoir, J. Lasserre Capdeville, M. Storck, M. Mignot, J.-Ph. Kovar et N. Éréséo, Droit bancaire : éd. Dalloz, coll. Précis, 2021, 3ème éd., n° 2048 et s.

([17])  C. consom., art. L. 313-16.

([18])  V., par ex., CA Rennes, 16 sept. 2022, n° 19/04542. - CA Douai, 19 janv. 2023, n° 20/04919. – CA Aix-en-Provence, 4 oct. 2023, n° 22/06832. - V. également, Cass. civ. 1ère, 12 juill. 2023, n° 22-11.321.