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N° 2124

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 janvier 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à protéger les travailleurs de l’exposition aux températures extrêmes,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Hadrien CLOUET, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, M. Hendrik DAVI, M. Sébastien DELOGU, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Martine ETIENNE, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, Mme Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mme Raquel GARRIDO, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Mathilde HIGNET, Mme Rachel KEKE, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, Mme Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, Mme Pascale MARTIN, M. William MARTINET, M. Frédéric MATHIEU, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Adrien QUATENNENS, M. Jean-Hugues RATENON, M. Sébastien ROME, M. François RUFFIN, M. Aurélien SAINTOUL, M. Michel SALA, Mme Danielle SIMONNET, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, M. Léo WALTER,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Je travaille dans un atelier aéronautique dont les fenêtres sont en cartonpâte. Donc en ce mois de janvier, je passe mes mains sous l’eau chaude régulièrement pour retrouver un peu de sensibilité, car j’ai peur de me couper un doigt dans la machine… Et au mois d’août, ce n’est pas mieux : certains renoncent aux équipements de sécurité pour éviter la transpiration dans les yeux, d’autres parfois sont au bord de l’évanouissement. »

« Pour le transport en vélocargo, on souffre la moitié des saisons. Vu qu’on peut passer des heures et des heures dehors à pédaler, et bien on caille l’hiver et on a trop chaud l’été. C’est pas juste du confort : quand tu as trop froid et que tu es emballé comme un gigot, c’est compliqué d’avoir la visibilité optimale. Et quand tu pédales en canicule, l’attention n’est plus là. J’ai un collègue comme ça, qui a percuté une voiture en août ».

« Ce n’est pas normal de devoir nous adapter à des températures anormales. Pourquoi le Code du travail ne prévoit pas une température respectueuse de ceux qui bossent ? ».

 

Comme l’indiquent ces témoignages, le dérèglement climatique est aussi un dérèglement du travail. La succession de canicules meurtrières et de vagues de froid met à l’épreuve le corps des travailleuses et des travailleurs. Car le chaud comme le froid modifient le fonctionnement de l’organisme. Travailler dans une chaleur excessive est dangereux : nausées, crampes, déshydratation, malaises, évanouissements, arrêts cardiaques… Travailler dans un froid excessif est dangereux : engourdissement, inattention, membre insensible, blessures, troubles musculosquelettiques, hypothermie, coma… Or rien de cela n’est naturel ou irrémédiable. Les lieux et les conditions de travail sont des choix politiques.

Alors qu’une vague de froid déferle sur le pays, provoquant une chute brutale des températures, cette proposition de loi avance des mesures d’urgence visant à protéger le monde du travail. Elle constitue une étape dans l’adaptation du Code du travail français au dérèglement climatique, qui impose à la fois de décarboner la production et de repenser le travail. Nous devons agir maintenant, alors que l’élévation des températures globales et les événements climatiques extrêmes vont s’accentuer.

Car notre code du travail demeure malheureusement aveugle aux problématiques climatiques, contrairement à nombre de pays européens – Allemagne, Espagne, Chypre, Roumanie… Il évoque bien des obligations de l’employeur (protection de la santé, fourniture d’habillement spécifique, local de repos), il mentionne bien une « température convenable » à l’article R4223‑13, mais sans jamais les référer à une température précise. Cela plonge dans l’incertitude tant les salariés qui ignorent quand leurs droits entrent en vigueur que les employeurs qui ne peuvent prévoir aucune mesure prophylactique précise. La sécurité au travail dans les mêmes conditions varie donc d’une entreprise à l’autre. L’employeur qui accomplit l’effort de protection nécessaire consent une dépense financière que ses concurrents ne vont pas suivre, ce qui le met en situation de vulnérabilité dans la concurrence capitaliste : d’où l’importance d’un droit strict, clair et net.

Aussi cette proposition de loi intègre‑t‑elle les connaissances médicales et sanitaires au droit du travail. Nul ne doit travailler dans un froid ou dans une chaleur excessive. Les seuils retenus ici sont ceux du consensus médical : 14° C minimum et 33° C maximum dans un local intérieur, ainsi que des temps de pause obligatoires pour les températures extrêmes en extérieur et la reconnaissance d’une majoration salariale pour une partie du temps de travail. Bien entendu, cette réforme ne saurait résoudre l’ensemble des problématiques climatiques en entreprise, qui varient suivant l’aération ou l’humidité des locaux. Mais elle fournit une base de négociation mieux‑disante à toutes les usines, ateliers et bureaux du pays, par voie d’accord de branche ou d’entreprise.

L’article 1er établit des seuils de température pour la santé humaine au travail. Un local de travail intérieur doit prévoir une température oscillant entre 14° C et 33° C – sauf exceptions dûment listées par décret, concernant les professions qui exercent directement en espace réfrigéré ou auprès d’un four, par exemple. Mais sans aucune exception, qu’il s’agisse d’un lieu de travail intérieur ou extérieur, les températures extrêmes ouvrent droit à des pauses toutes les deux heures : vingt minutes si la température excède 30° C ou est inférieure à 16° C, dix minutes si la température excède 28° C ou est inférieure à 18° C. Les heures supérieures à la cinquième doivent, de plus, être rémunérée avec une majoration. Bien entendu, un décret précise les secteurs d’activité (milieu réfrigéré, four industriel…) où une telle régulation n’est pas possible.

L’article 2 autorise les agents de l’inspection du travail à imposer un arrêt temporaire d’activité sur un chantier du bâtiment ou de travaux publics lorsque les conditions atmosphériques et météorologiques mettent en danger la sécurité des travailleurs.

L’article 3 reconnaît que les températures extrêmes peuvent causer une interruption collective de travail dont les heures non‑travaillées sont susceptibles d’être récupérées.

L’article 4 ouvre le droit à indemnisation des salariés du bâtiment et des travaux publics à toute situation de température extrême.

 


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proposition de loi

Article 1er

Après le chapitre Ier du titre VI du livre IV de la quatrième partie du code du travail, il est inséré un chapitre Ier bis ainsi rédigé :

« Chapitre Ier bis

« Prévention des risques d’exposition aux températures extrêmes

« Art. L. 44621. – Les dispositions appropriées à la préservation de la santé des travailleurs sont prises par l’employeur pour garantir une température minimale de 14° C et maximale de 33° C dans les locaux de travail. Si les conditions de son exercice permettent de satisfaire à ces limites de température, l’employeur peut recourir au télétravail. À défaut, l’employeur accorde une autorisation d’absence sans perte de salaire.

« Art. L. 44622. – En cas d’un niveau départemental de vigilance météorologique égal ou supérieur au niveau 3, le temps de travail ne peut excéder six heures. Toute heure accomplie au delà de la cinquième heure est une heure supplémentaire qui ouvre droit à majoration salariale.

« L’employeur prend les mesures d’aménagement du poste ou du temps de travail nécessaires à la préservation de la santé des travailleurs, notamment par le recours au télétravail avec l’accord du travailleur concerné ou par l’arrêt temporaire de l’activité sans perte de salaire.

« Art. L. 44623 – Lorsque la température constatée sur le lieu de travail effectif est supérieure à 30° C ou inférieure à 16° C, le travailleur bénéficie d’un temps de pause supplémentaire d’une durée de vingt minutes consécutives toutes les deux heures sans perte de salaire. Toute heure accomplie au-delà de la cinquième heure dans de telles conditions est une heure supplémentaire qui ouvre droit à majoration salariale.

« Lorsque la température constatée sur le lieu de travail effectif est supérieure à 28° C ou inférieure à 18° C, le travailleur bénéficie d’un temps de pause supplémentaire d’une durée de dix minutes consécutives toutes les deux heures sans perte de salaire.

« Art. L. 44624. – Les modalités d’application du présent chapitre sont déterminées par décret en Conseil d’État pris en application de l’article L. 4111‑6. Celui‑ci détermine notamment les dérogations aux articles L. 4462‑1 et L. 4462‑3 rendues nécessaires par la nature même des activités économiques considérées. »

Article 2

L’article L. 4731‑1 du code du travail est complété par un 7° ainsi rédigé :

« 7° Soit de conditions atmosphériques ou de températures présentant des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs ou en cas de force majeure. »

Article 3

Après le 1° de l’article L. 3121‑50 du code du travail, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis De températures extrêmes au sens du chapitre I bis du titre VI du livre IV du présent code ; ».

Article 4

I. – Le chapitre IV du titre II du livre IV de la cinquième partie du code du travail est ainsi modifié :

1° L’intitulé de la section 2 est complété par les mots : « ou de températures extrêmes » ;

2° L’article L. 5424‑6 est complété par les mots : « ou les températures extrêmes au sens du chapitre I bis du titre VI du livre IV de la cinquième partie du présent code » ;

3° Au premier alinéa de l’article L. 5424‑9, à l’article L. 5424‑10, à l’article L. 5424‑11, au premier alinéa de l’article L. 5424‑12, au premier alinéa de l’article L. 5424‑13, au premier alinéa, à la fin du deuxième alinéa et au dernier alinéa de l’article L. 5424‑14, au premier alinéa de l’article L. 5424‑15 et aux premier et second alinéas de l’article L. 5424‑18, après le mot : « intempéries », sont insérés les mots : « ou températures extrêmes ».

II. – Le I s’applique pour une durée de trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.

Article 5

La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.