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N° 2172

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 février 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à interdire la production et la vente de viandes de synthèse,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Caroline COLOMBIER, M. Franck ALLISIO, Mme Bénédicte AUZANOT, M. Philippe BALLARD, M. José BEAURAIN, M. Pierrick BERTELOOT, M. Bruno BILDE, M. Emmanuel BLAIRY, Mme Sophie BLANC, M. Frédéric BOCCALETTI, Mme Pascale BORDES, M. Jorys BOVET, M. Frédéric CABROLIER, M. Sébastien CHENU, M. Roger CHUDEAU, Mme Annick COUSIN, Mme Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, M. Jocelyn DESSIGNY, Mme Sandrine DOGOR-SUCH, M. Frédéric FALCON, M. Grégoire DE FOURNAS, M. Thibaut FRANÇOIS, M. Thierry FRAPPÉ, M. Frank GILETTI, M. Yoann GILLET, M. Christian GIRARD, M. José GONZALEZ, Mme Florence GOULET, Mme Géraldine GRANGIER, M. Daniel GRENON, M. Michel GUINIOT, Mme Marine HAMELET, M. Laurent JACOBELLI, Mme Catherine JAOUEN, M. Alexis JOLLY, Mme Hélène LAPORTE, Mme Laure LAVALETTE, Mme Julie LECHANTEUX, Mme Gisèle LELOUIS, M. Hervé DE LÉPINAU, Mme Katiana LEVAVASSEUR, Mme Christine LOIR, Mme Marie-France LORHO, M. Philippe LOTTIAUX, M. Alexandre LOUBET, M. Matthieu MARCHIO, Mme Michèle MARTINEZ, Mme Alexandra MASSON, M. Bryan MASSON, M. Nicolas MEIZONNET, Mme Joëlle MÉLIN, Mme Yaël MENACHE, M. Pierre MEURIN, M. Serge MULLER, M. Julien ODOUL, Mme Mathilde PARIS, Mme Lisette POLLET, M. Stéphane RAMBAUD, Mme Angélique RANC, M. Julien RANCOULE, Mme Laurence ROBERT-DEHAULT, Mme Anaïs SABATINI, M. Emeric SALMON, M. Jean-Philippe TANGUY, M. Michaël TAVERNE, M. Antoine VILLEDIEU, M. Christophe BARTHÈS, M. Victor CATTEAU,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis quelques années déjà, le développement et l’acceptation progressive de la viande génétiquement modifiée se sont introduits dans nos sociétés. Communément appelés « viandes de synthèse », ces produits de substitution se sont progressivement développés afin d’apporter une réponse à la surconsommation de produits carnés.

De manière générale, la viande de synthèse est définie comme un produit alimentaire fabriqué à partir de cellules souches prélevées sur un animal vivant pour « être cultivées » en laboratoire. Ces cellules souches sont multipliées pour former un nouveau tissu musculaire : cette « viande in vitro », ou « viande cellulaire » ou « viande synthétique » n’est donc pas, par définition, issue des circuits de production de viande traditionnelle.

Depuis la première présentation d’un steak de synthèse en 2013, Singapour puis les États‑Unis ont autorisé, en juin 2023, la vente de viande cellulaire, délivrant ainsi à des entreprises et à de jeunes start‑up de production un marché économique de grande ampleur. En Europe, la viande de synthèse s’est déjà introduite par le biais des croquettes animales.

Les défenseurs de cette nouvelle nourriture génétiquement modifiée mettent en avant qu’elle serait une alternative bénéfique pour l’environnement, répondant aux attentes des consommateurs et trouvant parfaitement sa place dans la lutte contre la souffrance animale. 

Toutefois, ce développement et l’émergence séduisante de ce type de produits pose un certain nombre de questions et de problématiques qui, au‑delà de l’apparente bonne intention écologique et économique, se révèlent désastreuses, tant pour notre modèle social et alimentaire, que pour la santé publique et la préservation de la planète.

Tout d’abord, la création de tissus musculaires en laboratoire est un processus de production énergivore, totalement néfaste pour l’environnement. Le procédé de production passe nécessairement par la purification des tissus nouvellement créés, une étape qui nécessite des bioréacteurs énergivores qui produisent du méthane, plus polluant que le CO2. Certes les protecteurs du secteur défendent une production émettant jusqu’à 92 % de CO2 par rapport à un élevage conventionnel, mais ils omettent de préciser leurs propres émissions d’un gaz plus nocif pour l’environnement. Une équipe de chercheurs de l’université californienne de Davis, estime que sur le long terme, la production de viande cellulaire se révélera 4 à 25 fois plus nocive pour le climat. En continuant à utiliser des milieux de culture hautement raffinés, les chercheurs estiment que chaque kilogramme de viande dite artificielle produira de 246 à 1508 kilogrammes d’émissions de dioxyde de carbone. 

Par ailleurs, alors que la législation européenne interdit depuis 1996 l’utilisation d’hormones dans les élevages conventionnels, le milieu de culture de la viande de synthèse propice à la multiplication des cellules nécessite la présence d’hormones en grande quantité. Dans le procédé commercialisé à Singapour, ces hormones sont obtenues via l’utilisation de sérum de veau fœtal, obtenu par l’abattage de vaches gestantes et de leurs fœtus, participant massivement, de fait, à l’abattage d’animaux et à la pérennisation de la souffrance animale. 

Mais, en février 2023, c’est bien sur les problématiques liées à la santé publique qu’une soixantaine de scientifiques alertent dans une tribune publiée dans le journal Le Monde. Ils mettent en garde contre l’essor de la viande artificielle qui repose sur des évaluations sanitaire, environnementales ou nutritionnelles quasi inexistantes. Ils soulèvent l’opacité des méthodes des entreprises du secteur de la viande artificielle, soulignant ainsi que rien n’indique que la consommation des produits issus de la production de viande artificielle n’aura aucun effet néfaste sur la santé du consommateur. Cette incertitude ne peut qu’amener à respecter le principe de précaution afin de prévenir les potentiels dommages sur la santé humaine. 

De plus, la montée en puissance des multinationales privées, ayant le monopole de cette production, constitue une menace pour le marché de la viande traditionnelle en France. Subir la production de viande artificielle par une entreprise privée reviendrait à promouvoir ou tolérer un des représentants d’intérêts fort peu sensibilisés aux enjeux de la santé publique.

Enfin, la production de viande synthétique symbolise une nouvelle rupture avec la nature et avec nos traditions agro‑alimentaires. Alors que l’homme est au plus proche de l’élevage et des cultures agricoles depuis le Néolithique, les viandes artificielles constituent, à n’en pas douter, une nouvelle menace sur les exploitations agricoles françaises qui subissent, depuis des années déjà, de graves crises : fermeture de fermes, arrêt d’activité, explosion des coûts de l’énergie et des matières premières, crise des vocations, suicides intolérables d’agriculteurs et d’éleveurs, poids écrasant des normes européennes, concurrence déloyales… Alors qu’il ne restait plus que 145 000 exploitations d’élevage en 2020, combien en restera‑t‑il si la commercialisation de la viande de synthèse est autorisée sur le marché français ? Cela détruirait encore davantage la filière, portant un coup fatal à notre souveraineté économique et agricole, poussant un grand nombre d’éleveurs à mettre la clé sous la porte… En 2016, l’industrie de la viande réalise un quart du chiffre d’affaires des industries alimentaires en France, soit 33 milliards d’euros.

Une prise de conscience, tant nationale qu’européenne, est nécessaire au regard des dangers réels que représente cette nourriture de substitution. À ce titre, l’Italie montre la voie car en devenant, le 16 novembre 2023, le premier pays de l’Union européenne à interdire légalement la production et la vente de viande de synthèse au nom des intérêts des éleveurs et des enjeux sanitaires soulevés. 

Il est évident que des améliorations doivent être faites dans le mode de consommation, dans l’usage de la viande et pour le bien‑être animal. Toutefois, la priorité n’est pas d’autoriser une nourriture de substitution qui viole toutes les normes de santé, d’hygiène, de souffrance animale, de transparence par rapport au consommateur, qui n’aura pas suivi un cycle naturel de maturation.

Aussi, il est nécessaire que le législateur se saisisse de ces problématiques. L’objet de la présente proposition de loi vise donc à interdire la production, l’importation, l’exportation, la commercialisation ou encore la mise sur le marché, d’aliments et de viandes synthétiques.

 


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proposition de loi

Article unique

Après le chapitre II bis du titre II du livre III de la première partie du code de la santé publique, il est inséré un chapitre II ter ainsi rédigé :

« Chapitre II ter

« Interdiction des aliments de synthèse

« Art. L. 132215. – I. – La production, l’importation, l’exportation, la commercialisation ou la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux d’aliments et de viandes dits de synthèse, c’est‑à‑dire de produits alimentaires issus notamment de cellules animales cultivées in vitro pour reproduire des tissus musculaires ou autres composantes spécifiques de la viande conventionnelle, est interdite. Est interdite dans les mêmes conditions l’utilisation faite par les exploitants du secteur alimentaire et par les exploitants du secteur alimentaire animal dans la préparation de denrées alimentaires, de boissons et d’aliments pour animaux.

« II. – Toute violation du présent article est punie d’une amende d’un montant minimum de 20 000 euros, ou de 10 % du chiffre d’affaires annuel total réalisé au cours du dernier exercice précédant la constatation de l’infraction, lorsque ce montant dépasse 60 000 euros. 

« III. – Le représentant de l’État dans le département ordonne la confiscation et à la destruction des produits mentionnés au présent article, ainsi que l’application des sanctions administratives de l’interdiction d’accès aux contributions, prêts ou subventions ou autres déboursements de même nature, quelle que soit leur dénomination, accordés ou déboursés par l’État, par d’autres organismes publics ou par l’Union européenne pour l’exercice d’activités commerciales, pour une période minimale d’un an et maximale de trois ans, ainsi que la fermeture du lieu de production, pour une période minimale d’un an et maximale de trois ans. »