N° 2228

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 février 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à instaurer de nouveaux objectifs de programmation énergétique pour répondre concrètement à l’urgence climatique,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Julie LAERNOES, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Charles FOURNIER, Mme Christine ARRIGHI, M. Julien BAYOU, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Jérémie IORDANOFF, M. Benjamin LUCAS, Mme Francesca PASQUINI, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Aurélien TACHÉ, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Nicolas THIERRY,

députées et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’urgence climatique est là. Le changement climatique, dont le constat scientifique est étayé et documenté depuis des décennies, est à l’œuvre, et ses conséquences, bien tangibles, s’accentuent à un rythme inouï et affectent déjà le monde entier.

L’année 2023 a été de loin l’année la plus chaude jamais enregistrée, après l’année 2022, déjà étouffante ! Et le premier mois de cette nouvelle année 2024 détient d’ores et déjà un triste record : celui du mois de janvier le plus chaud jamais enregistré à l’échelle du monde, selon le dernier bulletin climatique du programme européen Copernicus rendu public le 8 février 2024.

Canicules, sécheresses, incendies, fortes pluies, inondations, glissements de terrain… Les phénomènes climatiques, qui frappent de plein fouet toutes nos sociétés, se multiplient à mesure que les émissions de gaz à effet de serre induites par les activités humaines s’additionnent année après année. Des phénomènes de plus en plus extrêmes, y compris en France et en Europe, qui ne feront que s’intensifier si nous n’agissons pas plus fortement pour limiter le réchauffement global, comme le rappellent de très nombreuses études scientifiques.

Afin de limiter le réchauffement global de la planète à 1,5° C par rapport à la période préindustrielle, seuil à partir duquel les effets du climat seront de plus en plus néfastes pour les populations et pour la planète entière selon le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), il est impératif de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre.

Face à cette impérative nécessité d’agir, sur laquelle alertent les rapports successifs des experts scientifiques du GIEC, les pays signataires de la Convention‑cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) se sont donnés pour objectif, lors de la Conférence des Parties de 2015 à Paris (COP21), de maintenir l’augmentation de la température mondiale « nettement en dessous » de 2° C d’ici à 2100 par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre les efforts en vue de limiter cette augmentation à 1,5° C. Pour ce faire, l’Accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015, prévoit ainsi de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 45 % d’ici à 2030 par rapport à 2010, et d’atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050, c’est‑à‑dire la neutralité carbone.

Or les engagements pris jusqu’ici par les États signataires sont loin d’être suffisants pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Selon le GIEC, sans changement de braquet, les politiques actuellement mises en œuvre laissent le monde sur la voie d’un réchauffement global entre 2,8° C et 3,2° C en 2100, soit un monde invivable dans de nombreuses régions. Un constat également partagé par l’Agence internationale de l’énergie (IEA) qui a récemment rappelé que les engagements pris jusqu’à aujourd’hui ne suffisaient pas, et qu’il fallait les renforcer au cours des prochaines années. Cette nécessité de réaliser l’essentiel des efforts dans les années à venir est également confirmée par le Conseil scientifique de l’Union européenne sur le changement climatique, qui indique que l’Union européenne doit réduire ses émissions de 90 % à 95 % d’ici à 2040, si elle veut atteindre son objectif de neutralité carbone en 2050. S’agissant de la France, les données du centre de recherche Climate Analytics révèlent que plus de 80 % des baisses d’émissions doivent être réalisées d’ici à 2035 pour atteindre la neutralité carbone au niveau national. Dans son cinquième rapport annuel publié en juin 2023, le Haut Conseil pour le Climat, organisme indépendant chargé d’évaluer l’action publique française en matière de climat, indique également que la baisse des émissions de gaz à effet de serre en France est encore insuffisante et que le rythme de baisse actuel doit « presque doubler » d’ici à 2030.

Ainsi, seule une réduction rapide, forte et soutenue des émissions de gaz à effet de serre au cours de la prochaine décennie limiterait le réchauffement proche de 1,5° C ou sous 2° C. Autrement dit, le climat, c’est le défi de la décennie ! Nous n’avons plus que quelques années pour opérer un changement réel de direction afin de gagner la bataille climatique ! Et l’enjeu de l’énergie constitue la pierre angulaire de cette indispensable transition qu’il nous faut rapidement opérer pour sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, premières responsables des émissions de gaz à effet de serre. Cela suppose une action forte sur trois piliers complémentaires : réduire fortement les besoins et les consommations d’énergie, améliorer la performance et l’efficacité énergétique pour réduire la demande et déployer massivement les énergies renouvelables.

C’est en ce sens que l’Union européenne a récemment adopté le paquet législatif, connu sous le nom de « fit for 55 », établissant de nouvelles règles en matière d’énergie et fixant un nouvel objectif plus contraignant de 55 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.

La France, en tant que pays organisateur de la COP21 qui a abouti à l’historique Accord de Paris, et en tant que pays influent, à la fois au sein de l’Union européenne et dans la diplomatie internationale, a un devoir d’exemplarité en matière d’action climatique. En effet, nous avons une responsabilité majeure pour accélérer la transition énergétique et agir contre le changement climatique.

C’est pourquoi, il est indispensable que notre pays se munisse de dispositions législatives relatives à la politique énergétique et climatique qui soient ambitieuses et qui formalisent nos engagements européens et internationaux, tels que ceux pris dans le cadre du paquet européen « Fit for 55 », ou ceux actés lors de la dernière COP à Dubaï comme le triplement des capacités d’énergies renouvelables d’ici six ans pour se libérer des énergies fossiles dans nos systèmes énergétiques.

Dans cette logique, en 2019, à l’occasion de la loi relative à l’énergie et au climat, notre Parlement décidait qu’avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi devait être présentée pour « déterminer les objectifs et fixer les priorités d’action de la politique énergétique nationale pour répondre à l’urgence écologique et climatique ».

Or, cette loi, censée déterminer de nouveaux objectifs énergétiques, et permettant de décliner par la suite les mesures opérationnelles pour les atteindre, notre pays n’en dispose toujours pas. Plusieurs fois annoncée, puis décalée, puis présentée, et maintenant finalement retirée… Après plus d’un an de zig‑zags gouvernementaux, cette loi, qui aurait dû légalement être examinée il y a plus de six mois, n’a toujours pas été déposée devant le Parlement. La question de la trajectoire climatique que la France devrait se fixer, et des objectifs énergétiques qui en découlent, n’a donc toujours pas été débattue ni tranchée dans la société, et notamment par la représentation nationale. Et ce malgré de nombreuses concertations et consultations publiques, la publication de divers scénarios prospectives permettant d’atteindre la neutralité carbone et de multiples travaux parlementaires extrêmement étayés ; malgré aussi l’installation du Secrétariat général à la planification écologique, chargé de coordonner l’élaboration des stratégies nationales en matière de climat en s’assurant du respect des engagements européens et internationaux de la France.

L’État français poursuit ainsi une trajectoire climatique sur la base d’objectifs énergétiques fixés en 2015. Or depuis 2015, la situation a dramatiquement changé et la fenêtre de tir pour répondre au changement climatique se referme de plus en plus vite. En septembre 2023, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a lui‑même exhorté les pays les plus développés à passer à la vitesse supérieure et à avancer nos objectifs.

Quelle réponse de la France face à cette nouvelle donne ? Aujourd’hui, celle‑ci se fait toujours attendre… Une situation incompréhensible devant le défi majeur qui est devant nous et qui concerne la vie de tous les Français et des générations futures. Le climat, lui, n’attend pas que le gouvernement français finisse de tergiverser !

Si notre pays a pour ambition « d’être le premier grand pays du monde à sortir des énergies fossiles », alors il est impératif de rehausser nos objectifs et de graver dans le marbre législatif les engagements pris en matière de baisse des émissions de gaz à effet de serre, de réduction de la consommation d’énergie, de sortie des énergies fossiles et de développement massif des énergies renouvelables comme alternatives, ou encore de performance énergétique des bâtiments. Ce sont les seuls leviers pour sortir des énergies fossiles et inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre dans les plus brefs délais, tout en garantissant à court et moyen terme une sécurité d’approvisionnement énergétique.

Tel est l’objet de cette proposition de loi, qui vise à instaurer de nouveaux objectifs de programmation énergétique plus ambitieux et cohérents avec nos engagements internationaux, afin d’accélérer concrètement la lutte contre le changement climatique et garantir l’atteinte de la neutralité carbone d’ici à 2050.

L’article 1er vise à rehausser les objectifs de la politique énergétique nationale afin, notamment, de les rendre compatibles avec les objectifs introduits au niveau européen par la directive 2023/1791 du 13 septembre 2023 relative à l’efficacité énergétique, issue du paquet « fit for 55 », qui vise à réduire nos émissions nettes de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 par rapport à la référence 1990. Ainsi, il fixe l’objectif de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, brutes comme nettes, d’au moins 55 % d’ici à 2030. Il vise également à accélérer le rythme de baisse de la consommation d’énergie finale et de sortie des énergies fossiles, en prévoyant de baisser de 30 % notre consommation énergétique finale et de 50 % notre consommation énergétique primaire issue des sources fossiles à l’horizon 2030. De plus, en cohérence avec la directive européenne n° 2023/2413 du 18 octobre 2023 relative à la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, dite aussi « RED III », l’article rehausse nos objectifs en matière de développement des énergies renouvelables pour rattraper notre retard en la matière et accélérer la transition des énergies fossiles vers ces sources d’énergie à faible émission de carbone. Enfin, l’article définit une trajectoire annuelle de rénovation énergétique des logements pour permettre d’atteindre l’objectif d’un parc immobilier « zéro émission » en 2050.

L’article 2 prévoit, suite à des engagements maintes fois repoussés et face à un risque de nouveau report, de graver dans la loi la fin de la production d’électricité à partir de charbon en 2027.

L’article 3 supprime les exceptions prévues par la loi de 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures, dite aussi loi « Hulot », pour cesser au plus vite les forages pétro‑gaziers sur notre territoire, conformément aux promesses gouvernementales.

L’article 4 prévoit les dispositions relatives à la compensation de la charge pour l’État.

 

 


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proposition de loi

Article 1er

Le titre préliminaire du livre Ier du code de l’énergie est ainsi modifié :

1° L’article L. 100‑1 est complété par un 8° ainsi rédigé :

« 8° Garantit une réduction des émissions de gaz à effet de serre compatibles avec l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 afin de limiter l’élévation de la température à 1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels. » ;

2° Le I de l’article L. 100‑4 est ainsi modifié :

a) À la première phrase du 1°, les mots : « de 40 % » sont remplacés par les mots : « d’au moins 55 %, en excluant les émissions et absorptions associées à l’usage des terres et à la foresterie, entre 1990 et 2030, de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre de 55 % » ;

b) À la première phrase du 2°, les mots : « de 20 % » sont remplacés par les mots : « d’au moins 30 % » ;

c) Le 3° est ainsi modifié :

– à la première phrase, les mots : « de 40 % » sont remplacés par les mots : « d’au moins 50 % » ;

– après la première phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « La trajectoire de réduction pour chaque énergie fossile est précisée par la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141‑1. » ;

d) Le 4° est ainsi modifié :

– la première phrase est ainsi modifiée :

– le taux : « 33 % » est remplacé par le taux : « 44 % » ;

– le taux : « 40 % » est remplacé par le taux : « 45 % » ;

– le taux : « 38 % » est remplacé par le taux : « 45 % » ;

– le taux : « 10 % » est remplacé par le taux : « 15 % » ;

– à la fin de la seconde phrase les mots : « , et de gaz bas‑carbone, au sens de l’article L. 447‑1 » sont supprimés ;

e) À la fin du 4° ter, les mots : « progressivement le rythme d’attribution des capacités installées de production à l’issue de procédures de mise en concurrence à au moins 1 gigawatt par an d’ici à 2024 » sont remplacés par les mots : « le volume total d’attribution des capacités installées de production à l’issue de procédures de mise en concurrence à au moins 20 gigawatts d’ici à 2030, afin d’atteindre une capacité installée d’au moins 18 gigawatts mise en service en 2035 » ;

f) Le 7° est complété par une phrase ainsi rédigée : « À cette date, pour parvenir à cet objectif, le rythme annuel de rénovation thermique des logements doit atteindre 370 000 rénovations énergétiques performantes, au sens de l’article L. 111‑1 du code de la construction et de l’habitation, sur la période 2024‑2030, puis 900 000 sur la période 2030‑2050 ; ».

Article 2

I. – Après l’article L. 311‑5‑3 du code de l’énergie, il est inséré un article L. 311‑5‑3‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 311531. – À compter du 1er janvier 2027, l’exploitation d’une installation de production d’électricité à partir de charbon située sur le territoire de France hexagonale est interdite. ».

II. – L’ordonnance n° 2020‑921 du 29 juillet 2020 portant diverses mesures d’accompagnement des salariés dans le cadre de la fermeture des centrales à charbon est ainsi modifiée :

1° À l’article 1er, après la référence : « L. 311‑5‑3 », sont insérés les mots : « et de l’article L. 311‑5‑3‑1 » ;

2° À l’article 22, après la référence : « L. 311‑5‑3 », sont insérés les mots : « et de l’article L. 311‑5‑3‑1 » ;

3° À l’article 39, après la référence : « L. 311‑5‑3 », sont insérés les mots : « et de l’article L. 311‑5‑3‑1 ».

Article 3

Le code minier est ainsi modifié :

1° L’article L. 111‑9 est ainsi modifié :

a) Au 2°, le mot : « sauf » est remplacé par les mots : « y compris » ;

b) À la fin du 3°, les mots : « pour une durée dont l’échéance excède le 1er janvier 2040 » sont supprimés ;

c) Le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« 4° Prolongation d’un permis exclusif de recherches portant sur ces mêmes substances, par dérogation à l’article L. 142‑1. ».

2° L’article L. 111‑12 est ainsi modifié :

a) À la fin de la première phrase les mots : « 2040, sauf lorsque le titulaire du permis exclusif de recherches démontre à l’autorité administrative que la limitation de la durée de la concession induite par cette échéance ne permet pas de couvrir ses coûts de recherche et d’exploitation, en vue d’atteindre l’équilibre économique, par l’exploitation du gisement découvert à l’intérieur du périmètre de ce permis pendant la validité de celui‑ci » sont remplacés par l’année : « 2027 » ;

b) La seconde phrase est supprimée ;

3° Au début de l’article L. 132‑6, les mots : « Sans préjudice de l’article L. 142‑2, » sont supprimés ;

4° L’article L. 142‑1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les prolongations mentionnées au premier alinéa ne s’appliquent pas aux permis exclusifs de recherches portant sur une ou des substances mentionnées au premier alinéa de l’article L. 111‑6. » ;

5° L’article L. 142‑2 est abrogé.

Article 4

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.