N° 2263

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 mars 2024.

PROPOSITION DE LOI

portant mesures de renforcement de la formation initiale et continue des enseignants du premier et du second degré,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Cécile RILHAC,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’éducation est l’un des grands chantiers de notre société. L’article L. 111‑1 du code de l’éducation dispose que « l’éducation est la première priorité nationale. » Notre école est le terreau de la promesse républicaine d’égalité des chances, à laquelle nous tenons toutes et tous.

Depuis 2017, des actions de grande ampleur ont été menées pour encourager la réussite scolaire de l’ensemble de nos élèves. Lutter contre les inégalités scolaires, élever le niveau de chaque élève, rendre notre école encore plus inclusive, valoriser l’ensemble des personnels éducatifs sont des défis prioritaires pour conserver une école de la réussite, au service de tous les élèves et de leurs familles, pour assurer l’avenir de notre pays conformément aux engagements du Président de la République.

La vitalité de notre système éducatif repose sur un grand nombre d’acteurs, parmi lesquels les enseignants occupent un rôle aussi déterminant que central. Ils ont ainsi la responsabilité, honorable et primordiale, d’accompagner chacun de nos élèves, en s’adaptant à leurs besoins et à leurs rythmes d’apprentissage, pour leur permettre de développer leur potentiel et de devenir des citoyens instruits et éclairés sur les enjeux d’aujourd’hui et de demain. En cela, nos enseignants doivent quotidiennement mobiliser des compétences pédagogiques, didactiques, scientifiques et relationnelles pour favoriser la réussite et l’épanouissement des élèves placés sous leur responsabilité.

L’investissement de nos enseignants est l’un des piliers de notre école. Tout au long de la période de la crise du covid‑19 et particulièrement pendant le confinement, ils ont été en première ligne pour assurer la continuité pédagogique et permettre à nos élèves de poursuivre leurs apprentissages, rivalisant parfois d’ingéniosité pour adapter, sur le terrain, leurs enseignements. Leur capacité d’innovation a bien souvent été précieuse pour surmonter les difficultés consécutives à cette période d’incertitude. En cela, il apparaît manifeste que le rôle de nos enseignants ne se limite pas à la transmission des savoirs. Dans une société en constante évolution, ils doivent savoir s’adapter à l’ensemble des évolutions économiques, sociétales, culturelles, sanitaires, environnementales, numériques qui refaçonnent, jour après jour, nos traditions et nos modes de vie ; tout comme ils doivent savoir les expliquer à leurs élèves.

Ainsi, la réussite scolaire des élèves doit beaucoup à la qualité des enseignements et de l’accompagnement assuré par leurs professeurs tout au long de leurs apprentissages. Le niveau comme la qualité de la formation des enseignants sont de facto cruciaux pour l’amélioration du service public de l’éducation dans notre pays. Aussi, afin de leur permettre d’appréhender et d’exercer au mieux leurs nombreuses missions et fonctions, il est primordial de travailler à l’amélioration de la formation initiale, continue et continuée de nos enseignants. Dans un contexte de baisse d’attractivité du métier d’enseignant et de difficultés de recrutement, ce défi semble aujourd’hui plus prioritaire qu’il ne l’a jamais été.

Force est de constater que cette priorité repose sur des besoins clairement identifiés et exprimés. D’après une note du Ministère de l’Éducation nationale, en 2018, seuls 25 % des enseignants français se sentaient bien ou très bien préparés pour « le suivi de l’apprentissage et de la progression des élèves » contre 56 % de leurs homologues anglais, 60 % des Suédois et 52 % des Espagnols. Cette tendance persiste : dans un rapport publié en 2022, l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche soulignait les lacunes de la formation initiale dans le premier degré, expliquant que « par exemple, pour la mise en pratique de leur enseignement dans toutes les matières, seuls 34 % des professeurs des écoles français se considèrent bien ou très bien prépares alors qu’ils sont entre 65 % et 85 % dans les autres pays. Ce sentiment de manque de préparation concerne aussi des gestes professionnels pédagogiques transversaux comme la gestion de l’hétérogénéité, pour lesquels seuls 17 % des enseignants français se disent bien préparés contre 30 % à 68 % dans les autres pays […] ». Conséquence directe, dans notre pays « 47 % des enseignants font part d’un besoin important de formation dans le domaine de l’enseignement aux élèves à besoins spécifiques d’éducation, quand ils ne sont qu’entre 5 % et 29 % dans les autres pays où l’enquête a été menée ». Ainsi, la formation initiale, parfois jugée insuffisante, se présente comme l’un des motifs de la baisse d’attractivité du métier d’enseignant. Avec la masterisation, la formation initiale de nos enseignants est pourtant devenue plus longue, mais pas forcément plus professionnalisante. La formation ne doit pas se contenter de dispenser des savoirs théoriques et académiques, elle doit aussi devenir plus professionnalisante et donner les moyens à nos futurs enseignants d’être formés à la posture et aux gestes professionnels qui leur permettront de se tenir devant une classe. En février 2023, le rapport « Devenir enseignant : la formation initiale et le recrutement des enseignants » publié par la Cour des Comptes disposait que « le recrutement et la formation initiale des futurs professeurs ont connu plusieurs réformes au cours des dernières décennies. Mais depuis 2010, ce nouveau cadre se révèle instable et ne garantit pas que la formation prépare de manière satisfaisante les étudiants à leur entrée dans le métier et à l’exercice de leurs futures fonctions. Une réflexion sur l’évolution du métier d’enseignant, sur la place reconnue aux professeurs dans la société et sur les conditions concrètes d’exercice de leurs fonctions doit être menée. » À l’aune de la rentrée scolaire 2022, le Président de la République déclarait : « La confiance que nous devons à nos enseignants passe par une amélioration de la formation initiale [qu’il faut] repenser ».

Au‑delà de la seule formation initiale, l’amélioration de la formation continue de nos enseignants revêt également un caractère décisif. La loi n° 2019‑791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance avait instauré l’obligation de formation continue pour chaque enseignant. La formation continue des enseignants – tout comme la formation initiale – est l’un des principaux leviers susceptibles d’améliorer à court et moyen termes les résultats des élèves français et le service public d’enseignement. Améliorer cette formation continue, de sorte qu’elle soit adaptée à la réalité et aux défis du XXIè siècle, est indispensable pour nos enseignants. La prise en charge des élèves à besoins particuliers, le numérique éducatif, la lutte contre le harcèlement et tant d’autres enjeux encore nécessitent que nos enseignants bénéficient d’une formation continue renforcée. Pourtant, certaines difficultés subsistent. Le temps de formation continue des enseignants français est inférieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. De surcroît, un certain nombre de nos enseignants estiment qu’il n’existe pas de formation appropriée aux besoins qui se manifestent au cours de leur carrière. Dans un rapport publié le 7 septembre 2023, intitulé « La formation continue des enseignants de l’enseignement public », la Cour des Comptes synthétisait ces difficultés selon les termes suivants : « En dépit de récentes améliorations, la formation continue des enseignants fait face à des problèmes récurrents. Elle apparaît toujours comme une mission de second rang des enseignants : le nombre de journées de formation demeure insuffisant, l’adéquation entre les outils disponibles et les attentes des enseignants n’est pas assurée et le problème du remplacement de l’enseignant absent pour cause de formation subsiste. En outre, les missions des formateurs, dont la formation est inégale en qualité, est peu attractive. Avec un coût estimé à plus de 1,1 milliard d’euros en 2021, la formation continue souffre également de présentations budgétaires peu claires, qui ne permettent pas de s’assurer de la priorité qu’elle mérite. » En juillet 2023, un rapport de la Commission des Finances du Sénat, intitulé « Réveiller la formation continue des enseignants », soulignait une limite supplémentaire liée au déficit de visibilité et de lisibilité, pour les enseignants, de l’offre de formation continue. En conséquence, l’offre de formation n’étant pas toujours pleinement utilisée, les crédits accordés à la formation continue sont structurellement sous‑exécutés. La formation continue semble donc d’autant plus indispensable qu’elle permet tout autant une remise à niveau sur certains aspects qu’un réel prolongement de la formation initiale.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il semble primordial d’améliorer la formation initiale et continue des enseignants, dans le premier comme dans le second degré. Des enseignants bien formés et surtout satisfaits de leur formation sont des enseignants épanouis qui progressent et montent en compétences, au bénéfice de la réussite des élèves qui leur sont confiés. Pour une école de la République qui veut continuer à tenir ses engagements envers les élèves, pour élever le niveau scolaire, pour réduire les inégalités de destin et pour préparer au mieux l’avenir de notre pays, il est temps de penser un parcours de formation des enseignants en adéquation avec leurs besoins. Tel est donc l’objet de la présente proposition de loi.

L’article 1er crée un nouveau cursus de premier cycle, au sein des universités, destiné à préparer spécifiquement à l’intégration du master « MEEF, premier degré ».

L’article 2 vise à déplacer le concours à bac +3, pour rendre le master MEEF plus professionnalisant dès le début du second cycle. Il acte la possibilité, pour les élèves‑professeurs, d’être titularisés à l’issue d’une année de stage à plein temps effectuée après la deuxième année de master.

L’article 3 permet d’acter l’installation des tuteurs auprès des élèves‑professeurs dans le premier degré et dans le second degré.

L’article 4 reprend l’une des propositions de la mission flash de 2022 sur le recrutement, l’affectation et la mobilité des enseignants du premier degré en prévoyant un accompagnement renforcé pour les enseignants récemment titularisés dans les établissements relevant de l’éducation prioritaire ou justifiant d’un indice de positionnement social faible.

L’article 5 vise à créer une plateforme numérique d’information, à destination des enseignants, qui recense l’ensemble des dispositifs, actions et offres de formation continue qu’ils peuvent solliciter tout au long de leur carrière. Cette plateforme permettrait de donner plus de visibilité à l’ensemble de ces offres de formation.

L’article 6 demande un rapport au Gouvernement sur l’amélioration de la formation continue des enseignants du premier et du second degré dans un délai de douze mois suivant l’entrée en vigueur de la présente loi.

L’article 7 gage cette proposition de loi.

 


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proposition de loi

Article 1er

I. – Au sein des établissements mentionnés à l’article L. 713‑1 du code de l’éducation, il est créé un premier cycle spécifiquement consacré à la préparation du master « MEEF, premier degré » tel que mentionné à l’article 1er de l’arrêté du 28 mai 2019 modifiant l’arrêté du 27 août 2013 fixant le cadre des formations dispensées au sein des masters « métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation ».

Ce premier cycle débouche sur l’obtention une licence ou d’un diplôme reconnu équivalent par l’État permettant l’accès aux formations du deuxième cycle, selon les termes de l’article L. 612‑6 du code de l’éducation.

II. – Le ministre chargé de l’éducation nationale et le ministre chargé de l’enseignement supérieur, en concertation avec les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation, la Conférence des présidents d’université visée à l’article D. 233‑1 du code de l’éducation et les acteurs mentionnés à l’article L. 111‑3 du même code, déterminent l’offre de formation de ce premier cycle.

III. – Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article.

Article 2

Après l’article L. 911‑2 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 911‑2‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 91121. – I. – Les corps enseignants font l’objet d’un pré‑recrutement par concours ouvert aux personnes titulaires d’une licence ou d’un diplôme reconnu équivalent par l’État.

« Au cours de la première année de master, les élèves‑professeurs effectuent un mois de stage à temps plein en responsabilité devant au moins une classe.

« Au cours de la seconde année de master, les élèves‑professeurs sont en responsabilité à temps partiel devant au moins une classe.

« Après deux ans de formation au sein des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation définis à l’article L. 721‑1, l’obtention du master et une année de stage à temps plein, les élèves‑professeurs peuvent être titularisés. Les conditions de titularisation d’un élève‑professeur sont déterminées par un décret du ministre chargé de l’éducation nationale.

« II. – Les élèves‑professeurs sont soumis à l’obligation d’exercer au sein de l’éducation nationale pendant cinq ans.

« III. – Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret. »

Article 3

I. – Après le 6° de l’article L. 721‑2 du code de l’éducation, il est inséré un 7° ainsi rédigé :

« 7° Ils organisent le tutorat des élèves‑professeurs dans les établissements scolaires du premier degré et du second degré. »

II. – Dans les établissements scolaires du premier et du second degré, les enseignants qui le souhaitent peuvent exercer des missions complémentaires de tutorat auprès des élèves‑professeurs, sous réserve de l’accord de l’inspecteur de circonscription dans le premier degré et du chef d’établissement dans le second degré.

La rémunération de ces missions complémentaires est fixée sur la base des indemnités pour mission particulière, selon les modalités fixées par le décret n° 2015‑475 du 27 avril 2015 et l’arrêté du 27 avril 2015.

Article 4

Dans les établissements scolaires du premier degré et du second degré, incluant les lycées, relevant de l’éducation prioritaire ou justifiant d’un indice de positionnement social faible et inscrits sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l’éducation nationale, les enseignants titularisés depuis moins de deux ans bénéficient du soutien de formateurs durant au moins une année scolaire, afin de les accompagner dans leur entrée dans le métier.

Article 5

Après l’article L. 912‑1‑3 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 912‑1‑4 ainsi rédigé :

« Art. L. 91214. – L’État met à la disposition des enseignants du premier degré et du second degré une plateforme numérique d’information listant l’ensemble des dispositifs, actions et offres de formation continue qu’ils peuvent solliciter tout au long de leur carrière. »

Article 6

Dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement sur l’amélioration de la formation continue des enseignants du premier degré et du second degré.

Ce rapport étudie notamment la possibilité de réévaluer les dix‑huit heures prévues pour des actions de formation continue et d’animation pédagogique prévues dans le premier degré ; ainsi que la possibilité de rendre obligatoires les plans académiques de formation pour les enseignants du second degré.

Ce rapport se penche également sur la possibilité de prendre en compte les actions de formation dans l’évaluation des enseignants dans les parcours professionnels, carrières et rémunérations des enseignants.

Article 7

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.