N° 2268

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 mars 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à démoder la mode éphémère grâce à un système de bonus-malus,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Antoine VERMOREL-MARQUES,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La fast fashion, secteur de l’industrie textile caractérisé par une production et une consommation de vêtements à grande échelle et à renouvellement rapide, soulève de profondes préoccupations tant éthiques qu’environnementales. Ce mode de consommation connaît aujourd’hui une popularité croissante, comme en témoigne les 100 % de croissance de la marque Shein entre 2021 et 2022. Pour différentes raisons, il apparaît important de démoder la fast fashion, et ainsi de contribuer à une transition d’une mode jetable vers une mode durable. C’est l’objectif que se fixe cette proposition de loi.

Il s’agit tout d’abord d’un enjeu de lutte contre la concurrence déloyale faite aux entreprises qui font le choix d’une production textile plus durable, respectueuse de l’humain et de l’environnement. Nos territoires en sont emplis et lutter contre la fast fashion c’est aussi les aider à se développer.

Le Roannais, par exemple, terre historique de l’industrie textile, connaît aujourd’hui un réel essor de production textile écologique, se donnant pour objectif de mettre la transition écologique au cœur d’un des secteurs de production les plus polluants au monde. Aujourd’hui, le Roannais, alors même qu’il connaît une vraie croissance économique, est engagé dans une dynamique de décarbonation qui n’avait été égalée que dans les années 1980, aux grandes heures de la délocalisation.

Or, pour permettre cette réindustrialisation corrélée à la transition écologique et soutenir les entreprises qui portent cette ambition, il est nécessaire d’encourager des modes de consommation plus durable. Le rapport d’information de la commission des affaires européennes sur l’économie circulaire le rappelait d’ailleurs en juillet 2023 : « Les consommateurs doivent être plus sensibilisés à leur comportement d’achat et de consommation. Le modèle économique dominant de la fast fashion contrevient fortement aux objectifs de l’économie circulaire, alors que le textile est la deuxième industrie la plus polluante au monde. Cela résulte, d’une part, des méthodes de production courantes qui utilisent intensivement des ressources non‑renouvelables et, d’autre part, d’une forte augmentation du volume de production. »

De plus, lutter contre la fast fashion apparaît aussi comme un enjeu de santé publique. Des études réalisées sur des produits de la marque Shein ont décelé la présence de produits toxiques sur certains vêtements : teneurs trop élevées en phtalates, substance toxique pour la reproduction considérée comme un perturbateur endocrinien, dans des chaussures, ou en formaldéhyde, potentiellement cancérogène, dans une robe pour enfant. Environ 15 % des produits de la marque contiendrait des produits chimiques dangereux (rapport Greenpeace).

Car la fast fashion entrave aussi notre souveraineté vestimentaire. Par sa capacité à casser les prix, elle encourage les délocalisations et vient concurrencer les industriels français du textile, soumis quant à eux à d’importantes normes sociales et environnementales. Instaurer un principe de bonus‑malus efficace, c’est mettre en place un passeport textile qui soutiendra nos entreprises et pénalisera la concurrence étrangère trop souvent irrespectueuse des droits du travail, du respect de notre environnement et de la santé de ses clients.

Finalement, en luttant contre la fast fashion, cette proposition de loi vise à promouvoir une écologie du bien‑être. Tout en participant à la préservation de notre environnement, elle va dans le sens de modes de consommation plus durables, qui respectent notre planète tout en permettant aux Français de vivre mieux : plus sainement, en allant dans le sens d’une amélioration de la santé publique, et plus sereinement, en encourageant les entreprises françaises qui créent de l’emploi et font vivre nos territoires.

Le Gouvernement ciblait lui‑même l’industrie de la fast fashion, par la voix du ministre de la transition écologique, M. Christophe Béchu, le 14 novembre 2023 : « Il nous faut combattre des récits très puissants, qui sont totalement contraires au modèle de société durable que nous devons construire. […] Je pense par exemple au récit de la fast fashion, qui propose une vision de la mode qui a des impacts absolument désastreux, et je pèse mes mots, sur le climat, la biodiversité et les océans. »

La loi AGEC, dont certains articles concernaient l’industrie textile, apparaît d’ores et déjà dépassée : un malus de 20 % sur un article coûtant 4 euros ne saurait avoir un impact réel sur la vente. Pour « combattre ce récit », il faut donc faire sauter ce verrou, ce que propose la présente proposition de loi.

Enfin, il semble utile de rappeler que plusieurs entreprises de l’industrie textile sont demandeuses de ce type de mesure, comme en témoigne l’association En Mode Climat. Cette dernière regroupe des usines, marques et acteurs économiques de la mode, engagés pour la transition de leur secteur d’activité et ayant à plusieurs reprises demandé à l’État plus de contraintes pour l’industrie textile.

Lutter contre la fast fashion va donc dans l’intérêt du consommateur français mais aussi des producteurs économiques nationaux du secteur et semble faire l’objet d’un consensus global.

La présente proposition de loi vise donc à instaurer un cadre législatif pour réguler les pratiques commerciales des collections vestimentaires et d’accessoires à renouvellement très rapide, afin de réduire leur impact environnemental et de promouvoir une consommation plus durable. Elle s’inscrit dans une démarche globale de transition écologique par l’instauration d’un système de bonus‑malus sur les produits de mode. Fondé sur un principe de neutralité fiscale, l’instauration d’un malus sur la fast fashion permettra de financer un bonus sur le textile fabriqué en France.

L’article unique de la présente proposition de loi introduit une modification législative au code de l’environnement, spécifiant que les contributions financières obligatoires versées par les producteurs de produits soumis au principe de responsabilité élargie du producteur (REP) seront désormais ajustées en fonction du nombre de nouveaux modèles de produits qu’ils mettent sur le marché chaque jour. De manière précise, si un producteur dépasse le seuil de mille nouveaux modèles par jour, ses contributions financières seront modulées en conséquence.

Il apporte également une exception à la règle précédemment établie qui limitait la prime ou la pénalité à 20 % du prix de vente hors taxe d’un produit relevant du REP. Dans le cas où la prime ou la pénalité est calculée sur la base du nombre de nouveaux modèles introduits quotidiennement par le producteur, cette limitation de 20 % n’est plus applicable.

En outre, l’article instaure une pénalité de 5 euros par produit pour les producteurs qui mettent sur le marché plus de mille nouveaux modèles par jour. Cette mesure vise à inciter les producteurs à réduire la prolifération de nouveaux modèles, dans le but de minimiser leur impact environnemental.

 


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proposition de loi

Article unique

Après l’article L. 541‑10‑3 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 541‑10‑3‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 5411031. – Les contributions financières versées par les producteurs pour les produits soumis au principe de responsabilité élargie du producteur en application du 11° de l’article L. 541‑10‑1 sont modulées selon que les producteurs mettent ou non sur le marché plus de mille nouveaux modèles par jour.

« Par dérogation au troisième alinéa du même article L. 541‑10‑3, l’éco‑organisme n’est pas tenu de limiter le montant de la prime ou de la pénalité à 20 % du prix de vente hors taxe d’un produit soumis au principe de responsabilité élargie du producteur en application du 11° de l’article L. 541‑10‑1 lorsque cette prime ou cette pénalité est fondée sur le nombre de nouveaux modèles mis sur le marché par jour par le producteur. Est instaurée une pénalité maximale d’un montant de cinq euros par produit lorsque le producteur met sur le marché plus de mille nouveaux modèles par jour. »