N° 2282

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 mars 2024.

PROPOSITION DE LOI

relative au revenu agricole et au partage de la valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Dominique POTIER, M. Boris VALLAUD, M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, M. Jérôme GUEDJ, M. Johnny HAJJAR, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Philippe NAILLET, M. Bertrand PETIT, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, Mme Valérie RABAULT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Mélanie THOMIN, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Roger VICOT,

députés et députées.


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La colère des agriculteurs en France et plus largement à travers l’Union européenne est avant tout l’expression d’une crise du revenu agricole. La critique des normes environnementales esquive le sujet central de la déformation de la valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire qui nécessite des réponses structurelles sur notre modèle économique et un rééquilibrage des rapports de force entre les producteurs, les transformateurs et la grande distribution.

Les agricultrices et agriculteurs exercent leur métier bien souvent par vocation et par passion. Ils sont prêts à travailler d’arrache‑pied, ne comptent pas leurs heures pour produire notre alimentation Les paroles recueillies sur les différents points de blocages partout en France révèlent les mêmes difficultés : une concurrence déloyale avec des produits importés qui ne respectent pas le même niveau d’exigence, des revenus faibles et un manque de reconnaissance.

Le rapport n° 21040 sur l’évolution du revenu agricole en France depuis 30 ans, facteurs d’évolution d’ici 2030 et leçons à en tirer pour les politiques mises en œuvre par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation souligne qu’« en 30 ans, , le revenu net de la branche agricole a baissé de près de 40 % en France en euros constants ».

Dans le même temps, le prix de l’alimentaire en France a augmenté de 70 % depuis 2000.

Ces chiffres sont le résultat d’une captation continue de la valeur par la grande distribution et les industriels.

Entre le premier trimestre 2021 et le premier trimestre 2023, le taux de marge des industries agroalimentaire est passé de 28 % à 48 %, ce qui correspond à une augmentation de plus de 70 %. Au cours de cette même période les profits bruts de l’industrie agroalimentaire sont passés de 3,1 milliards d’euros à 7 milliards. Sur 100 euros de valeur ajoutée, il reste 48 euros à l’entreprise une fois les salaires et les impôts de production payés.

La grande distribution n’est pas en reste. D’après l’observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, les marges de la grande distribution se tassent sur le premier trimestre 2023 mais restent en hausse, principalement tirées par une augmentation du prix des produits alimentaires et de première nécessité. Ces données mériteraient d’ailleurs d’être consolidées au regard des pratiques massives d’optimisation fiscale qui permettent notamment la dissociation entre les sociétés propriétaires des biens immobiliers et celles qui portent sur l’activité commerciale.

L’ensemble des syndicats représentatifs – la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), les Jeunes agriculteurs, la Coordination rurale et la Confédération Paysanne – se retrouvent autour de la nécessité de garantir un meilleur revenu aux paysans. Le législateur doit s’emparer de cette question et mieux encadrer les relations commerciales avec les acteurs de l’agro business en protégeant en priorité le prix des matières premières agricoles et en sécurisant les marges des agriculteurs. Il ne suffit pas de dire qu’il faut faire appliquer les deux lois Egalim votées entre 2018 et 2021 pour rendre du revenu aux agriculteurs mais repartir de la philosophie initiale des états généraux de l’alimentation de 2017 : permettre aux agriculteurs de vivre d’un prix juste.

L’article 1er vise à orienter les négociations commerciales vers un commerce équitable et à mobiliser les conventions interprofessionnelles alimentaires territoriales afin d’assurer la durabilité sociale et écologique des filières agroalimentaires. La chaîne d’approvisionnement agro‑alimentaire est caractérisée par une très forte concentration de la grande distribution face à une grande fragmentation du secteur économique de la production. Le commerce équitable a montré depuis plus de 40 ans qu’il était possible de structurer des filières garantissant la juste rémunération tout au long de la chaîne d’approvisionnement et permettant à tous les acteurs de vivre dignement de leur travail. De la même manière, les conventions tripartites dont l’expérimentation a été permise dans par la loi de la loi n° 2018‑938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, (dite « loi EGALIM ») puis pérennisés par la loi n° 2023‑221 du 30 mars 2023 « tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs » Ces amendement, proposés par le groupe socialiste, doivent devenir les outils de référence dans le cadre des négociations commerciales.

L’article 2 vise à flécher les 800 millions d’euros générés chaque année par le dispositif de seuil de revente à perte, prolongé jusqu’au 15 avril 2025 par la loi n° 2023‑221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. Le seuil de revente à perte, dispositif qui contraint la grande distribution à réaliser une marge minimale de 10 % sur les produits alimentaires en rayon était censé ruisseler jusqu’aux producteurs. Dans la pratique, nous sommes loin du compte. C’est un chèque en blanc pour la grande distribution qui capte les 800 millions d’euros annuels générés par ce dispositif. Cet argent doit pour l’essentiel revenir aux agriculteurs, en tant que premiers créateurs de valeur.

L’article 3 vise à interdire la vente d’un produit agricole en dessous de son prix de revient. Aucun fournisseur ne doit pouvoir acheter un produit agricole en dessous d’un prix couvrant les coûts de production et la rémunération du travail des agriculteurs.

L’article 4 rend obligatoire au sein des contrats industriels‑grande distribution l’inscription des modalités de révision des prix qui devront obligatoirement prendre en compte plusieurs indicateurs reflétant l’évolution des consommations intermédiaires.

L’article 5 vise à rendre obligatoire la transparence des prix pratiqués pour l’achat de matières premières agricoles dans les conditions générales de vente. Le producteur et son premier acheteur devront convenir de bornes minimales et maximales à l’intérieur desquelles pourra varier le prix convenu. Ce mécanisme permet au producteur de connaitre, à l’avance, le prix minimal qui est susceptible d’être appliqué pour l’achat de ses produits.

L’article 6 vise à expérimenter un score relatif au partage de la valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire. Le « rémunérascore » tel qu’il a été adopté en juin 2021 n’est pas opérationnel et ne permet pas aux consommateurs d’avoir connaissance du partage de la valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire. Il apparaît donc nécessaire de travailler rapidement sur de nouvelles méthodes pour faire avancer le sujet de la transparence.

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

Après le I de l’article L. 631‑24 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un I bis ainsi rédigé :

« I bis. – Les parties doivent avoir recours aux systèmes de garantie et au label de commerce équitable définis à l’article 60 de la loi n° 2005 882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises pour favoriser des pratiques commerciales équitables et lutter contre certaines pratiques commerciales déloyales et s’inscrire dans le cadre d’une convention interprofessionnelle alimentaire territoriale telle que définie par l’article 13 de la loi n° 2018 938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

« Le non‑respect des dispositions du présent I bis est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 4 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits. »

Article 2

Le I de l’article 125 de la loi n° 2020‑1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Pour les produits agricoles, négociés dans le cadre d’un contrat de vente tel que défini par l’article L. 631‑24 du code rural et de la pêche maritime, qui entrent dans la composition des denrées alimentaires revendues au consommateur, la fraction de chiffre d’affaires correspondant à la majoration de prix résultant de l’application du coefficient précité fait l’objet d’une identification distincte dans les comptes de l’acheteur afin de contrôler la part effectivement reversée au producteur.

« Le non‑respect des dispositions du présent I est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 4 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits. »

Article 3

Après le premier alinéa du I de l’article L. 631‑24 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le fait, pour tout acheteur, de négocier un produit agricole en dessous de son prix de revient est puni d’une amende de 750 000 €. Ce montant peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés des pratiques en cause, à 5 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits. »

Article 4

Le IV de l’article L. 441‑3 du code de commerce est ainsi modifié :

1° Au début de l’avant dernière phrase, les mots : « Lorsqu’elle est conclue pour une durée de deux ou de trois ans » sont supprimés ;

2° À la dernière phrase, les mots : « peuvent prévoir la prise en compte d’un ou de » sont remplacés par les mots : « prennent en compte » ;

3° À la fin, est ajouté un alinéa ainsi rédigé : 

« Les indicateurs sont diffusés par les organisations interprofessionnelles. À défaut, l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ou l’établissement mentionné à l’article L. 621‑1 proposent ou valident des indicateurs. Ces indicateurs reflètent la diversité des conditions et des systèmes de production. »

Article 5

L’article L. 441‑3 du code de commerce est complété par un VI ainsi rédigé :

« VI. − Les conditions générales de vente présentent les bornes minimale et maximale entre lesquelles le prix de la matière première agricole a été fixé. »

Article 6

I. – Pour une durée de trois ans à compter d’une date fixée par décret et au plus tard le 1er janvier 2025, une expérimentation est menée, dans certains secteurs dont la liste est définie par décret, afin d’évaluer différentes méthodologies et modalités d’affichage au consommateur d’un score relatif au partage de la valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire.

II. – Au plus tard douze mois avant le terme de l’expérimentation, un comité scientifique en réalise l’évaluation afin de déterminer les suites qu’il convient de lui donner. Ce comité comprend notamment des représentants du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, des représentants des producteurs, des représentants des industries agroalimentaires et de la grande distribution ainsi que des personnalités qualifiées dont la compétence est reconnue en matière de négociations commerciales. Sa composition est fixée par arrêté du ministre chargé de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Ce comité ne perçoit pas de financement public.

Cette évaluation s’attache notamment à définir les effets de l’expérimentation en matière de transparence des prix et d’habitude de consommation. Elle détermine, le cas échéant, les conditions dans lesquelles l’expérimentation peut être prolongée, élargie ou pérennisée, en identifiant les caractéristiques des territoires et des publics pour lesquels elle est susceptible de constituer une solution adaptée à la transparence des prix et au meilleure partage de la valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire.

IV. – Les modalités de mise en œuvre de l’expérimentation prévue au I sont définies par décret. La liste des territoires participant à l’expérimentation est fixée par un arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie, du ministre chargé de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, du ministre chargé des relations avec les collectivités territoriales et du ministre chargé de l’insertion.