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N° 2322
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 mars 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à l’instauration d’un revenu de remplacement pour les artistes-auteurs temporairement privés de ressources,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Pierre DHARRÉVILLE, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Paul CHRISTOPHE, Mme Martine FROGER, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Fatiha KELOUA HACHI, Mme Sarah LEGRAIN, M. Richard RAMOS, M. Benjamin SAINT-HUILE, M. Nicolas SANSU, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Stéphane VIRY, M. Jean-Félix ACQUAVIVA, M. Gabriel AMARD, M. Joël AVIRAGNET, M. Édouard BÉNARD, M. Christophe BEX, M. Manuel BOMPARD, M. Mickaël BOULOUX, M. Louis BOYARD, M. Jean-Victor CASTOR, M. Steve CHAILLOUX, M. André CHASSAIGNE, M. Florian CHAUCHE, Mme Karen ERODI, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Sylvie FERRER, Mme Caroline FIAT, M. Jérôme GUEDJ, Mme Clémence GUETTÉ, M. Sébastien JUMEL, Mme Emeline K/BIDI, M. Arnaud LE GALL, M. Tematai LE GAYIC, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Stéphane LENORMAND, M. Frédéric MAILLOT, Mme Pascale MARTIN, M. Frédéric MATHIEU, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, M. Paul MOLAC, M. Yannick MONNET, M. Marcellin NADEAU, Mme Mathilde PANOT, M. Stéphane PEU, M. Loïc PRUD’HOMME, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Fabien ROUSSEL, M. Michel SALA, M. Hervé SAULIGNAC, M. Matthias TAVEL, M. Jean-Marc TELLIER, M. Jiovanny WILLIAM, M. Erwan BALANANT, M. Jean-François COULOMME,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les artistes‑auteurs et les artistes autrices sont des acteurs et actrices essentiels à la vie culturelle, artistique, intellectuelle et littéraire de notre pays. Aucune création théâtrale, plastique, littéraire, cinématographique, audiovisuelle ou numérique ne verrait le jour sans avoir à son origine la production d’une œuvre par un artiste‑auteur.
Les signataires de cette proposition veulent reconnaître le travail que constitue ce geste de création et le protéger. Ils souhaitent ainsi ouvrir un débat et permettre que soient prises des décisions permettant d’assurer une meilleure protection sociale aux créateurs et créatrices dans notre pays.
Un mouvement est en train de grandir dans le monde de la culture et de la création, pour une meilleure reconnaissance de celles et ceux qui demeurent par trop invisibles.
La conscience de cet enjeu existe. Pour preuve, dès le début de la crise sanitaire, alors que les artistes‑auteurs étaient durement touchés, du fait de leur précarité. Les mesures alors mises en place ont permis à certains d’entre eux de se maintenir en activité malgré l’annulation de nombreux événements et la perte de revenus associée. Ces évènements, révélant de façon criante le besoin urgent d’un revenu de remplacement, appellent des suites.
Une protection sociale péniblement conquise
Une loi de 1949 étendit le système des assurances sociales aux « écrivains non‑salariés consacrant à leur profession leur principale activité ». Puis, à partir de 1964, les artistes plasticiens bénéficièrent du régime général de Sécurité sociale. Sa gestion fut confiée à l’association Maison des Artistes. Il fallut attendre 1977 pour que ce droit soit légalement reconnu à tous les autres artistes‑auteurs (écrivains, compositeurs, scénaristes, photographes…) avec la création de l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa), association professionnelle jouant pour ses ayant‑droit les mêmes fonctions que la Maison des artistes. Depuis lors, les deux organisations ont fusionné.
Ce n’est que depuis 2012, qu’ils bénéficient du droit à la formation permanente, financée par une modeste contribution de 0,1 % de ceux que les organismes sociaux nomment « diffuseurs », c’est‑à‑dire les producteurs, éditeurs, diffuseurs et autres donneurs d’ordres. Soit une « part‑diffuseurs » totale de 1,1 %, alors que la « part‑auteurs », à l’instar de celle des salariés, est de l’ordre de 18 %, à laquelle s’ajoutent les cotisations au titre de la retraite complémentaire.
Les artistes‑auteurs, au même titre que les salariés, bénéficient donc de la Sécurité sociale, régime général, pour leur couverture des risques retraite, assurance‑maladie, et famille. En revanche, leur protection sociale n’est pas complète, puisqu’ils ne bénéficient toujours pas de la couverture par la branche accidents du travail et maladies professionnelles et n’ont pas droit aux congés payés ni au chômage.
Depuis 2020, c’est l’URSSAF (Unions de Recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales) Limousin qui est chargée de percevoir les cotisations dues au titre des droits d’auteur auprès des diffuseurs et des artistes‑auteurs.
Ce transfert de gestion, s’il a donné lieu de de nombreux dysfonctionnements, a tout de même permis à l’URSSAF Limousin d’identifier plus précisément les artistes‑auteurs. Au premier janvier 2019, l’Agessa et la Maison des Artistes dénombraient 192 000 artistes‑auteurs. L’URSSAF Limousin en dénombrait 354 000 en 2020.
Des revenus par nature discontinus
Ces travailleurs et ces travailleuses ne sont pas principalement rémunérés pour leur travail en tant que tel, et ne tirent l’essentiel de leurs ressources que de l’exploitation de leurs œuvres par des « diffuseurs ». Le travail de création, qui est la phase antérieure à la diffusion, n’est généralement pas rémunéré. Les rémunérations, qui sont parfois forfaitaires, mais le plus souvent proportionnelles à la diffusion, sont pour beaucoup d’entre elles et d’entre eux le résultat d’un rapport de force défavorable aux artistes auteurs dans des secteurs très concurrentiels. Seule la gestion collective par des OGC (organismes de gestion collective communément appelés « sociétés d’auteurs ») parvient parfois à atténuer ce déséquilibre dans la négociation.
En cas d’absence d’activité rémunérée, l’artiste‑auteur ne reçoit donc aucune ressource autre que les minima sociaux. Ce qui le met dans une situation sociale plus dégradée encore que nombre de travailleurs et de travailleuses dans cette situation, puisqu’il doit cependant continuer à créer, avec tout ce que cela implique, outre la satisfaction de ses besoins élémentaires, en frais professionnels, en fournitures, en matériels, en documentation, en recherche de diffuseurs et le cas échéant d’atelier. Cela étant posé en mettant de côté les nouvelles obligations résultant de la loi de 2023 dite « France Travail ».
Une protection nécessaire
Il importe de corriger cette injustice, qui touche des dizaines de milliers de créateurs et de créatrices essentiels à la vie artistique, culturelle et intellectuelle de notre pays, et qui pèse sur son déploiement. À l’instar des artistes‑interprètes et des techniciens du spectacle en emploi discontinu, les « intermittents », la mise en place d’un revenu de remplacement pendant les périodes de privation de ressources est indispensable. Cette protection est nécessaire pour les personnes concernées au nom de leur travail. Elle l’est d’autant plus à l’heure où le recours à l’intelligence artificielle fait peser une menace sur des activités de création humaine qui méritent d’être préservées – et ce alors même que c’est en ingérant le patrimoine résultant du travail de création que la capacité de l’intelligence artificielle se construit. Nous avons besoin de la création vivante.
Un dispositif rattaché à l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unédic)
L’article premier de la présente proposition de loi prévoit d’instaurer une allocation de remplacement de revenus pour les artistes‑auteurs temporairement privés de ressources. Cette allocation, calculée sur la base des derniers revenus déclarés, serait proportionnelle et ouverte pour les artistes‑auteurs qui répondent à des conditions de durée minimale d’activité et de revenus antérieurs d’activité. Pour garantir aux bénéficiaires de ce nouveau droit des ressources minimales, le montant de l’allocation ne pourrait être inférieur à un plancher forfaitaire correspondant à 85 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC).
Notre système de protection sociale possède l’outil nécessaire à la mise en place d’un tel revenu de remplacement : l’assurance chômage, pilotée paritairement par l’UNEDIC et mise en œuvre au quotidien par les agents de France Travail. Elle est ainsi compétente pour collecter les cotisations, recueillir les apports de fiscalité (CSG) et d’éventuelles autres ressources, ainsi pour verser les allocations correspondantes dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle aux salariés privés d’emploi mais également aux travailleurs indépendants depuis 2019. Le dispositif proposé serait abondé par une cotisation des diffuseurs correspondant à la part de cotisation des employeurs du privé pour les cotisations chômage des travailleurs salariés.
Concrètement, ce revenu de remplacement pourra être mis en place de façon simple : l’artiste‑auteur en situation de perte de ressources, effectuera une déclaration auprès de France Travail, créant ainsi une « date anniversaire ». À cette date, il devra alors justifier d’un seuil minimum de revenus d’activité défini par un seuil de professionnalité établi à 300 heures de SMIC reçus au cours des douze mois précédents, ressources qu’il doit transformer en « heures » de travail suivant un barème simple à établir par la négociation collective. Dès que ce volume horaire dépasse ce seuil, ses droits sont ouverts, de la même façon que pour les salariés intermittents relevant des annexes 8 et 10 de l’UNEDIC.
L’urgence culturelle
À l’intersection du droit social, du droit du travail et du droit de la propriété intellectuelle, les droits des auteurs sont en perpétuel mouvement. Ils ont connu ces dernières décennies une évolution contrastée, qui s’est traduite par des progrès relatifs, mais aussi par des régressions sensibles. Néanmoins le statut des auteurs se construit, brique à brique, par apports successifs. L’instauration d’un véritable revenu de remplacement constituera l’une de ces briques, visant à la reconnaissance du travail de création artistique en tant que travail socialement indispensable, sans parler de son apport sous‑estimé à l’économie de la nation.
Tandis que l’essor récent des premières intelligences artificielles génératives fait peser de nouvelles menaces sur les moyens de subsistance des artistes‑auteurs et au moment où le Parlement Européen s’engage sur leur reconnaissance comme travailleurs, invitant à aligner leurs droits sociaux sur ceux des salariés et s’apprête à légiférer en ce sens, la France, dont la place des créateurs compte dans le concert mondial, a tout à gagner à créer ce nouveau droit, pour protéger nos capacités de création. Celles‑là même qui nous permettent de nous représenter, de nous rencontrer, de nous projeter, de nous interroger, de nous émouvoir… de faire humanité.
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proposition de loi
Article 1er
Le chapitre IV du titre II du livre IV de la cinquième partie du code du travail est complété par une section 5 ainsi rédigée :
« Section 5
« Allocation de remplacement des artistes‑auteurs
« Art. L. 5424‑30. – Pour l’application de la présente section, sont regardés comme artistes‑auteurs les personnes mentionnées à l’article L. 382‑1 du code de la sécurité sociale.
« Art. L. 5424‑31. – Ont droit à une allocation de remplacement les travailleurs qui étaient artistes‑auteurs au titre de leur dernière activité, qui satisfont à des conditions de ressources et à un niveau de revenus d’activité antérieur au moins égal à 300 heures rémunérées au salaire minimum de croissance sur les douze derniers mois. Cette allocation de remplacement est versée pour une durée de douze mois renouvelable à date anniversaire dès lors que l’artiste‑auteur satisfait aux conditions de ressources et de revenus d’activité prévues.
« Art. L. 5424‑32. – Les articles L. 5422‑4 et L. 5422‑5 sont applicables à l’allocation de remplacement des artistes‑auteurs.
« Art. L. 5424‑33. – Les mesures d’application de la présente section sont fixées par décret en Conseil d’État.
« Cette allocation est proportionnelle aux derniers revenus d’activité couplée à un plancher forfaitaire.
« Toutefois :
« 1° Le montant de l’allocation de remplacement, déterminé sur la base d’un taux de remplacement applicable aux derniers revenus d’activité, est fixé par décret. Afin de garantir des ressources minimales aux bénéficiaires, l’allocation ne peut être inférieure à 85 % du SMIC ;
« 2° Les mesures d’application relatives à la coordination de l’allocation de remplacement des artistes‑auteurs avec l’allocation d’assurance sont fixées par les accords mentionnés à l’article L. 5422‑20.
« Art. L. 5424‑34. – L’allocation de remplacement des artistes‑auteurs est financée par le régime d’assurance chômage des travailleurs privés d’emploi, abondé par une cotisation des diffuseurs. »
Article 2
I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.