N° 2369

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 mars 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à améliorer le fonctionnement de la commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers dans les départements et régions d’outre-mer,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Karine LEBON, Mme Emeline K/BIDI, M. Frédéric MAILLOT, M. Jiovanny WILLIAM, M. Davy RIMANE, M. Philippe NAILLET, M. Perceval GAILLARD, M. Jean-Hugues RATENON, Mme Nathalie BASSIRE, M. Elie CALIFER, M. Olivier SERVA,

députées et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La lutte contre l’artificialisation des terres agricoles en France suppose parfois des décisions politiques difficiles. Arbitrer entre besoin de développement du territoire et préservation de la surface agricole utile et de l’environnement peut relever d’une gageure.

La création de la Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) tentait alors de répondre légitimement à ce besoin d’arbitrage. En rassemblant autour d’une même table des acteurs aux objectifs divergents, ces derniers doivent s’accorder sur l’opportunité d’un projet d’aménagement, avec pour seule boussole l’intérêt général.

Créée par la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’agroalimentaire et la forêt du 13 octobre 2014, la CDPENAF peut ainsi être consultée pour toute question relative à la réduction des surfaces naturelles, forestières et à vocation ou à usage agricole et sur les moyens de contribuer à la limitation de la consommation de ces espaces. Elle a le pouvoir d’émettre un avis, au regard de l’objectif de préservation des terres naturelles, agricoles ou forestières, sur l’opportunité de certaines procédures d’urbanisme.

Alors que son rôle est consultatif et qu’elle rend un avis simple dans l’Hexagone, la CDPENAF est un réel organe décisionnaire dans les départements d’outre‑mer. Le code rural et de la pêche maritime dispose en effet dans son article L. 181‑12 que tout projet d’élaboration ou de révision d’un document d’aménagement ou d’urbanisme ayant pour conséquence d’entraîner le déclassement de terres classées agricoles, ainsi que tout projet d’opération d’aménagement et d’urbanisme ayant pour conséquence la réduction des surfaces naturelles, des surfaces agricoles et des surfaces forestières dans les communes disposant d’un document d’urbanisme, ou entraînant la réduction des espaces non encore urbanisés dans une commune soumise au règlement national d’urbanisme, doit faire l’objet d’un avis favorable de la commission.

Malgré la complexité de mener à bien un certain nombre de projets, l’avis conforme de la CDPENAF doit être maintenu dans les départements d’outre‑mer en raison de la baisse drastique de la surface agricole utile que ces derniers ont enregistrée. Ce ne sont pas moins de 4 000 hectares de surface agricole utile qui ont par exemple été rayés de la carte dans le département de La Réunion en dix ans, aussi bien en raison de l’emprise urbaine que de l’abandon de certaines terres agricoles. Le foncier agricole a régressé de 15 000 hectares en un peu plus de 30 ans. Il reste aujourd’hui 38 306 hectares de surface agricole utile à La Réunion. Si les pertes liées à l’étalement urbain ont diminué ces dernières années, l’érosion de la sole agricole continue. La préservation et la reconquête du foncier sont donc plus que jamais essentielles au maintien d’une agriculture performante et à l’atteinte des objectifs d’autosuffisance alimentaire à l’horizon 2030. Avec moins de 450 mètres carrés de surface agricole utile par habitant, La Réunion dispose de la plus petite surface des départements ultramarins. En comparaison, cette surface est dix fois plus élevée dans l’Hexagone.

La CDPENAF de La Réunion a vu le jour le 1er décembre 2016 et a connu depuis quelques soubresauts qu’il nous faut dépasser. Les services préfectoraux estiment que depuis la création de la commission, la surface productive préservée grâce à ce travail sur les documents et autorisations d’urbanisme peut être estimée à 550 hectares, soit l’équivalent 90 exploitations agricoles. La commission assure de manière collégiale une expertise approfondie de la pertinence des projets, tout en rappelant le principe d’inconstructibilité de l’espace naturel, agricole et forestier. Pour rappel, seules peuvent y déroger les constructions nécessaires à l’activité agricole ou les projets d’intérêt public ayant fait la démonstration du respect du principe ERC. L’utilité de la CDPENAF n’est donc plus à démontrer.

Toutefois, nonobstant le besoin de préserver cet avis conforme, l’organisation de la CDPENAF doit nécessairement évoluer afin de rendre plus optimal son fonctionnement.

Tout d’abord, alors que la CDPENAF a été pensée comme un espace de concertation et de négociation, elle adopte parfois des airs de chambre d’enregistrement. Tous les membres de la commission, et non plus seulement les services de l’État, doivent avoir accès à l’ensemble des dossiers avant la séance plénière afin de les étudier et de se forger un avis, et non pas découvrir les projets en examen le jour‑même. Il est donc important que la CDPENAF redevienne ce lieu d’échange et de partage qui permette de prendre réellement les décisions de manière collégiale. Cette idée va dans le sens de la proposition n° 2 du rapport de la Délégation sénatoriale aux outre‑mer sur le foncier agricole dans les outre‑mer du 28 juin 2023 dans lequel les co‑rapporteurs estiment qu’il est nécessaire de “maintenir l’avis conforme des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers mais en instituant une phase obligatoire (pré‑CDPENAF) de concertation, pour éviter les décisions couperets.” Des décisions couperets aggravées par le délai intenable d’un mois accordé à la CDPENAF pour se prononcer sur les dossiers qui lui sont soumis et qu’il est nécessaire d’allonger de l’avis général.

Cette impression ressentie par certains membres de la CDPENAF est exacerbée par la voix prépondérante de l’État lors des délibérations en raison de la voix du préfet qui préside la commission et qui peut se prononcer afin de trancher lors d’une délibération non‑conclusive. Cette voix supplémentaire pour les services de l’État laisse en effet moins de marge de manœuvre aux autres membres qui se sentent dépossédés, notamment les élus locaux et les professionnels agricoles.

De plus, le déficit d’accompagnement des pétitionnaires est pour l’heure particulièrement regrettable. Sur 296 projets présentés comme agricoles à La Réunion en 2022, 39 % ont été rejetés, dans la moitié des cas en raison de dossiers incomplets. Les projets surdimensionnés ou sans lien avec l’activité agricole sont également des critères de rejet fréquemment avancés par la commission. Les dossiers faisant l’objet d’un avis défavorable en raison d’un manque d’informations peuvent être représentés et sont généralement acceptés à l’issue d’une deuxième délibération. Le manque d’accompagnement et de lisibilité fait perdre en efficacité et affaiblit le fonctionnement de la CDPENAF, déjà peu lisible pour les porteurs de projet.

Enfin, si les collèges qui composent la CDPENAF ont fait l’objet d’une inscription dans la loi, la composition exacte de cette instance a été précisée pour les départements d’outre‑mer par voie réglementaire, notamment via le décret n° 2015‑1488 du 16 novembre 2015 relatif à la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion et à Mayotte. L’article D 181‑1 du code rural et de la pêche maritime fixe ainsi la liste exhaustive des membres de la commission. Or cette composition fait aujourd’hui débat et se confronte aux réticences de la majorité des membres des CDPENAF dans les départements ultramarins. Il est urgent, pour le bon fonctionnement de la commission et la qualité des décisions qui y sont prises, qu’une actualisation puisse être effectuée dans les plus brefs délais.

L’objet de cette proposition de loi est ainsi d’améliorer le fonctionnement de la CDPENAF dans les outre‑mer en apportant une réponse précise aux freins et défaillances existants dans l’organisation de cette instance, en la rendant à la fois plus démocratique, plus lisible et plus efficace.

L’article 1er modifie la composition de la CDPENAF dans les départements d’outre‑mer en créant un nouveau collège, libérant une place supplémentaire pour les professions agricoles et en mettant en place une réelle proportionnalité par la suppression de la place prépondérante du président.

L’article 2 propose d’accorder, comme c’est le cas pour les projets comportant majoritairement du logement social, des dérogations à l’avis conforme pour les projets financés intégralement par des fonds publics, si la preuve est apportée qu’aucune autre terre non agricole ne peut être utilisée.

L’article 3 répond au manque de lisibilité des critères fondant les avis de la CDPENAF. Afin d’avoir une lecture homogénéisée dans le traitement des demandes, il est inséré l’obligation de voir apparaître dans le règlement intérieur de la CDPENAF les critères précis à respecter pour chaque type de projet présenté.

Afin de rendre le montage des dossiers plus accessible aux porteurs de projets, l’article 4 propose qu’un service spécifique d’accompagnement soit mis en place de manière gratuite. Cela permettrait de faire en sorte qu’une grande partie des demandes ne soit pas refusée par manque de documents et d’informations comme c’est le cas actuellement, ou d’éviter que seuls ceux qui ont les moyens de financer une prestation de conseil privée puissent être accompagnés.

L’article 5 met en place une concertation pré‑CDPENAF qui permettrait à tous les membres de prendre connaissance des dossiers et d’en discuter collégialement avant la séance plénière de délibération.

Enfin, l’article 6 répond à une attente consensuelle d’allongement du délai de traitement des dossiers par la CDPENAF en demandant un rapport au gouvernement sur la question.

 

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article L. 181‑10 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Au deuxième alinéa, les mots : « , outre le préfet qui la préside, » sont supprimés ;

2° Le 1° est complété par les mots : « , dont le préfet qui préside la commission » ;

3° À la fin du 3°, les mots : « et d’au moins un propriétaire foncier » sont supprimés ;

4° À la fin de l’article, sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« 5° des notaires, de la fédération départementale des chasseurs et d’au moins un propriétaire foncier.

« La liste des membres de la commission est précisée par décret. »

Article 2

Après la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 181‑12 du code rural et de la pêche maritime, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Les dispositions du premier alinéa du présent article ne s’appliquent pas non plus si l’intégralité du projet est financée par des fonds publics et que preuve a été apportée qu’aucun autre terrain non‑agricole ne peut être utilisé. »

Article 3

L’article L. 181‑12 du code rural et de la pêche maritime est complété par un 5° ainsi rédigé :

« 5° Les critères objectifs, mesurables et quantifiables définis pour chaque type de projet par le règlement intérieur de la commission. »

Article 4

Après l’article L. 181‑12 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 181‑12‑1 ainsi rédigé :

« Art. L.181121. – Les pétitionnaires souhaitant déposer une demande auprès de la commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers peuvent bénéficier d’une assistance gratuite mise à disposition par un service de l’État spécifique ne faisant pas partie des représentants de ladite commission. »

Article 5

L’article L. 181‑12 du code rural et de la pêche maritime est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Dans la limite d’une semaine au moins avant leur réunion de délibération, une phase de discussion rassemblant les représentants de la commission doit être organisée, durant laquelle leur sera présenté l’ensemble des projets en examen. »

Article 6

Dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au parlement un rapport jugeant de l’opportunité d’étendre à deux mois le délai de dépôt de l’avis de la commission mentionnée à l’article L. 112‑1‑1 du code rural et de la pêche maritime dans les départements d’outre‑mer par dérogation à l’article R. 423‑59 du code de l’urbanisme.

Article 7

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.