N° 2393

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 mars 2024.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

pour le renouvellement des élus par une limitation du cumul des mandats dans le temps,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-Claude RAUX, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Hendrik DAVI, Mme Christine PIRES BEAUNE, Mme Christine ARRIGHI, M. Mickaël BOULOUX, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Julie LAERNOES, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, Mme Sandra REGOL, Mme Claudia ROUAUX, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Eva SAS, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Léo WALTER,

députés et députées.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité instaurer la règle du noncumul des mandats dans le temps tant pour les parlementaires que pour certaines fonctions exécutives locales. C’est la condition de l’oxygénation de notre vie politique. »

Déclaration d’Emmanuel MACRON sur la Constitution de 1958 et sur la réforme constitutionnelle, à Paris le 4 octobre 2018.

 

« Professionnel·les de la politique ! » ; « Ils et elles n’ont jamais travaillé, comment peuvent‑ils et elles nous représenter ? » ; « Les politiques sont déconnecté·es » : Autant de critiques à l’égard de notre démocratie qu’il nous faut savoir entendre, auxquelles il nous faut savoir répondre. Accélérer le renouvellement et la diversification des profils des élu·es constitue une des solutions les plus efficaces et bénéfiques pour revitaliser notre démocratie, la rendre plus représentative et plus citoyenne. Dans une démocratie où le pouvoir appartient au peuple, comment accepter alors qu’il puisse rester aux mains de quelques‑uns par une stratégie d’accumulation de mandats ? Les situations de cumul sont telles, à la fois de manière simultanée entre des mandats de niveaux différents que consécutive, qu’une élite politique s’est constituée. Le pouvoir concentré, monopolisé et conservé par certain·es, c’est le pouvoir confisqué au plus grand nombre.

Fort de ce constat, le législateur est intervenu afin d’encadrer ces pratiques de cumul avec les lois organiques et ordinaires des 30 décembre 1985, 5 avril 2000, 17 mai 2013 et 14 février 2014. La dernière en la matière, soutenue largement dans l’opinion publique, est ambitieuse : elle interdit le cumul d’un mandat parlementaire avec toutes fonctions exécutives locales. Les effets observés à la suite des élections législatives de 2017 et de l’entrée en application de ces dispositions ont été salutaires : seul·es 140 député·es sortant·es ont été renouvelé·es. De nombreuses et nombreux député·es sortant·es avaient fait le choix de ne pas se représenter et d’autres ont décidé de se consacrer à leurs fonctions au sein d’un exécutif local. L’Assemblée nationale s’est également en partie rajeunie, fortement féminisée et davantage ouverte à différentes catégories sociales, sans pour autant atteindre une représentativité de la société française. Revitalisation de courte durée, car les élections législatives de 2022 ont signé le grand retour des « politiques » et la fin du renouvellement comme le démontre une note de l’Institut des politiques publiques.

Alors que le non‑cumul des mandats constitue une avancée certaine pour la démocratie, la voilà aujourd’hui menacée, remettant en cause une disposition plébiscitée par 80 % des Français·es selon des sondages de l’époque. Le prétexte du renforcement de « l’ancrage territorial » ne tient pas puisque rien n’indique que depuis sa mise en place les parlementaires se soient éloigné·es de leur territoire et des citoyen·nes de leur circonscription. Pire, revenir sur cet acquis pourrait entraîner le retour des baronnies locales et accroître la défiance des citoyen·nes envers les élu·es.

Justement, alors que le cumul des mandats est de nouveau mis en débat, il apparaît opportun de s’assurer que l’inverse soit la norme. Plusieurs consolidations sont possibles : l’une d’entre elles consiste à limiter le nombre de mandats consécutifs. Cette idée n’est pas neuve, elle a été maintes fois proposée parce qu’elle répond à divers objectifs vertueux. En plus du renouvellement des élu·es et de la diversification des profils, la limitation des mandats dans le temps concourt à la revitalisation du lien représentatif par la liberté de choix des électeur·trices, à la régulation de la professionnalisation de la vie politique ainsi qu’à la volonté de la population française de démocratisation des institutions. En juin 2017, 90 % des personnes sondées s’exprimaient favorablement à une limite du nombre de mandats des parlementaires.

Par ailleurs, une telle restriction du cumul de mandats existe d’ores et déjà dans le droit français en vigueur par l’article 14 de la loi organique n° 2013‑659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France qui limite à trois le nombre de mandats consécutifs des conseiller·es des Français·es de l’étranger et des conseiller·es à l’Assemblée des Français de l’étranger.

Néanmoins, la limitation du cumul des mandats dans le temps ne saurait s’accomplir sans un renforcement du statut de l’élu·e, par une attention accrue à la formation professionnelle, à la valorisation des compétences et à l’accompagnement vers le retour dans l’emploi afin de garantir une réinsertion durable après un mandat politique.

M. Claude Bartolone, alors président de l’Assemblée nationale, et M. Michel Winock, co‑présidents du groupe de travail sur l’avenir des institutions, avaient d’ailleurs fait du non‑cumul dans le temps une des propositions capitales du rapport « Refaire la démocratie » en 2015, le présentant comme un outil permettant « de renouveler les élus et diversifier leur profil (…) ». En 2017, la même proposition était formulée à l’occasion du premier rapport du groupe de travail « Le statut des députés et leurs moyens de travail » des « Rendez‑vous des réformes 2017‑2022 : pour une nouvelle Assemblée nationale » mis en place par M. François De Rugy en tant que président de la chambre basse.

Portée comme mesure phare du programme pour une démocratie rénovée du candidat Emmanuel Macron à l’élection présidentielle de 2017, le non‑cumul dans le temps a été formalisé par deux tentatives législatives successives dès les premières années du mandat présidentiel. Le 23 mai 2018 sont ainsi déposés les projets de loi organique (n° 977) et ordinaire (n° 976) pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Puis le 29 août 2019 les projets de loi organique (n° 2204) et ordinaire (n° 2205) pour un renouveau de la vie démocratique. Ces projets législatifs n’ont jamais fait l’objet d’une discussion à leur terme.

La présente proposition de loi organique, qui reprend les dispositions des projets de loi organiques ci‑avant, consiste à interdire au titulaire de trois mandats parlementaires ou à l’exercice par trois fois de fonctions exécutives locales consécutivement dans les collectivités de l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle‑Calédonie de se présenter à l’élection qui suit le terme de son troisième mandat ou de sa troisième fois dans ses fonctions exécutives. Les mandats incomplets entrent dans la prise en compte de l’application de cette règle tant que la durée pendant laquelle ils n’ont pas été exercés est inférieure à trois cent soixante‑cinq jours.

Ces dispositions sont rendues automatiquement applicables aux sénateurs par l’article LO 296 du code électoral et aux député·es élu·es par les Français·es établis hors de France par renvoi de l’article LO 328 du code électoral. Elles s’appliquent également aux député·es européen·nes conformément à l’article 5 de la loi n° 77‑729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen.

Une proposition de loi ordinaire déposée en parallèle de la présente proposition de loi organique applique la règle générale de limitation dans le temps pour les fonctions de chef de l’exécutif ou de président de l’assemblée délibérante d’une même collectivité territoriale ou d’un même établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre.

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L’article 1er applique une interdiction de cumul dans le temps aux mandats parlementaires à trois mandats consécutifs. Cette disposition est prise en application de l’article 25 de la Constitution qui dispose qu’ « une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leur indemnité, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités ».

L’article 2 opère la même limitation dans le temps aux fonctions exécutives locales ultra‑marines, régies par la loi organique : président du conseil territorial de Saint‑Barthélemy, Saint‑Martin, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, présidents du gouvernement et de l’assemblée de la Polynésie française, président de l’assemblée territoriale de Wallis‑et‑Futuna, président du congrès, du gouvernement, et d’une assemblée de province de la Nouvelle‑Calédonie.

Pour l’application de la limitation dans le temps, l’article 3 prévoit que soient pris en compte les mandats exercés antérieurement à la promulgation de la loi.

L’article 4 stipule que la présente proposition de loi s’applique sur l’ensemble du territoire de la République.

 

 


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proposition de loi ORGANIQUE

Article 1er

Après l’article L.O. 127 du code électoral, il est inséré un article L.O. 127‑1 ainsi rédigé :

« Art. L.O. 1271. – I. – Les personnes ayant exercé trois mandats consécutifs de député ne peuvent faire acte de candidature à l’élection organisée au terme du troisième mandat ni pendant la durée du mandat auquel elle pourvoit.

« II. – Pour l’application du I du présent article, les mandats incomplets, y compris lorsque le député est appelé à exercer des fonctions gouvernementales, sont pris en compte si la durée pendant laquelle ils n’ont pas été exercés est inférieure à trois cent soixante‑cinq jours. »

Article 2

I. – Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° À la section 1 du chapitre II du titre II du livre II de la sixième partie, il est ajouté une sous‑section 5 ainsi rédigée :

« Sous‑section 5

« Cumul des fonctions dans le temps

« Art. L.O. 622241. – Nul ne peut exercer plus de trois fois consécutivement les fonctions de président du conseil territorial de Saint‑Barthélemy.

« Pour l’application du présent article, l’exercice des fonctions est pris en compte une seule fois entre deux renouvellements généraux. La fonction n’est pas prise en compte si elle n’a pas été exercée pendant au moins trois cent soixante‑cinq jours au cours de la même période.

« Tout titulaire de la fonction mentionnée au premier alinéa élu en violation des dispositions du présent article est immédiatement déclaré démissionnaire d’office par le représentant de l’État dans la collectivité, sauf recours au Conseil d’État dans les dix jours suivant la notification de cette décision. ». 

2° À la section 1 du chapitre II du titre II du livre III de la sixième partie, il est ajouté une sous‑section 5 ainsi rédigée :

« Sous‑section 5

« Cumul des fonctions dans le temps

« Art. L.O. 632241. – Nul ne peut exercer plus de trois fois consécutivement les fonctions de président du conseil territorial de Saint‑Martin.

« Pour l’application du présent article, l’exercice des fonctions est pris en compte une seule fois entre deux renouvellements généraux. La fonction n’est pas prise en compte si elle n’a pas été exercée pendant au moins trois cent soixante‑cinq jours au cours de la même période.

« Tout titulaire de la fonction mentionnée au premier alinéa élu en violation des dispositions du présent article est immédiatement déclaré démissionnaire d’office par le représentant de l’État dans la collectivité, sauf recours au Conseil d’État dans les dix jours suivant la notification de cette décision. » .

3° À la section 1 du chapitre II du titre III du livre IV de la sixième partie, il est ajouté une sous‑section 5 ainsi rédigée :

« Sous‑section 5

« Cumul des fonctions dans le temps

« Art. L.O. 643242. – Nul ne peut exercer plus de trois fois consécutivement les fonctions de président du conseil territorial de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon.

« Pour l’application du présent article, l’exercice des fonctions est pris en compte une seule fois entre deux renouvellements généraux. La fonction n’est pas prise en compte si elle n’a pas été exercée pendant au moins trois cent soixante‑cinq jours au cours de la même période.

« Tout titulaire de la fonction mentionnée au premier alinéa élu en violation des dispositions du présent article est immédiatement déclaré démissionnaire d’office par le représentant de l’État dans la collectivité, sauf recours au Conseil d’État dans les dix jours suivant la notification de cette décision. ».

II. – La loi organique n° 2004‑192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française est ainsi modifiée :

1° Le dernier alinéa de l’article 74 est supprimé ;

2° Après l’article 74, il est inséré un article 74‑1 ainsi rédigé :

« Art. 741. – Nul ne peut exercer plus de trois fois consécutivement les fonctions de président de la Polynésie française.

« Pour l’application du présent article, l’exercice des fonctions est pris en compte une seule fois entre deux renouvellements généraux de l’assemblée de la Polynésie française. La fonction n’est pas prise en compte si elle n’a pas été exercée pendant au moins trois cent soixante‑cinq jours au cours de la même période.

« Tout titulaire de la fonction mentionnée au premier alinéa élu en violation des dispositions de ce même article est immédiatement déclaré démissionnaire d’office par le haut‑commissaire de la République, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours suivant la notification de cette décision et, le cas échéant, recours au Conseil d’État contre la décision du tribunal. ».

III. – Après l’article 13‑2 de la loi n° 61‑814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre‑mer, il est rétabli un article 13‑3 ainsi rédigé :

« Art. 133. – Nul ne peut exercer consécutivement les fonctions de président de l’assemblée territoriale pendant plus de trois mandats successifs de l’assemblée territoriale.

« Pour l’application du présent article, l’exercice des fonctions est pris en compte une seule fois entre deux renouvellements généraux. La fonction n’est pas prise en compte si elle n’a pas été exercée pendant au moins trois cent soixante‑cinq jours au cours de la même période.

« Tout titulaire de la fonction mentionnée au premier alinéa élu en violation des dispositions de ce même article est immédiatement déclaré démissionnaire d’office par l’administrateur supérieur, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours suivant la notification de cette décision et, le cas échéant, recours au Conseil d’État contre la décision du tribunal. ».

IV. – La loi organique n° 99‑209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle‑Calédonie est ainsi modifiée :

1° Après l’article 63, il est inséré un article 63‑1 ainsi rédigé :

« Art. 631. – Nul ne peut exercer consécutivement les fonctions de président pendant plus de trois mandats successifs du congrès.

« Pour l’application du présent article, l’exercice des fonctions est pris en compte une seule fois entre deux renouvellements généraux du congrès. La fonction n’est pas prise en compte si elle n’a pas été exercée pendant au moins trois cent soixante‑cinq jours au cours de la même période.

« Tout titulaire de la fonction mentionnée au premier alinéa élu en violation des dispositions de ce même article est immédiatement déclaré démissionnaire d’office par le haut‑commissaire de la République, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours suivant la notification de cette décision et, le cas échéant, recours au Conseil d’État contre la décision du tribunal. » ;

2° Après l’article 108, il est inséré un article 108‑1 ainsi rédigé :

« Art. 1081. – Nul ne peut exercer consécutivement les fonctions de président du gouvernement pendant plus de trois mandats successifs du congrès.

« Pour l’application du présent article, l’exercice des fonctions est pris en compte une seule fois entre deux renouvellements généraux du congrès. La fonction n’est pas prise en compte si elle n’a pas été exercée pendant au moins trois cent soixante‑cinq jours au cours de la même période.

« Tout titulaire de la fonction mentionnée au premier alinéa élu en violation des dispositions de ce même article est immédiatement déclaré démissionnaire d’office par le haut‑commissaire de la République, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours suivant la notification de cette décision et, le cas échéant, recours au Conseil d’État contre la décision du tribunal. » ;

3° Après l’article 161, il est inséré un article 161‑1 ainsi rédigé :

« Art. 1611. – Nul ne peut exercer plus de trois fois consécutivement les fonctions de président.

« Pour l’application du présent article, l’exercice des fonctions est pris en compte une seule fois entre deux renouvellements généraux de l’assemblée de province. La fonction n’est pas prise en compte si elle n’a pas été exercée pendant au moins trois cent soixante‑cinq jours au cours de la même période.

« Tout titulaire de la fonction mentionnée au premier alinéa élu en violation des dispositions de ce même article est immédiatement déclaré démissionnaire d’office par le haut‑commissaire de la République, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours suivant la notification de cette décision et, le cas échéant, recours au Conseil d’État contre la décision du tribunal. »

Article 3

I. – Les mandats et fonctions exercés antérieurement à la publication de la présente loi organique sont pris en compte pour l’application de l’article 1er et de l’article 2.

II. – Le premier alinéa de l’article L.O. 384‑1 du code électoral est ainsi rédigé :

« Les dispositions ayant valeur de loi organique du présent code, dans leur rédaction résultant de la loi organique n°     du      pour le renouvellement des élus par une limitation du cumul des mandats dans le temps, sont applicables en Nouvelle‑Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. Pour leur application, il y a lieu de lire : «

Article 4

La présente loi est applicable sur l’ensemble du territoire de la République.