N° 2481

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 avril 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à limiter la fuite des médecins vers la médecine esthétique,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Yannick NEUDER,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Aujourd’hui, force est de constater qu’un grand nombre de médecins se dirigent vers les interventions de médecine esthétique, qui sont à la fois plus rentables et moins contraignantes que les soins médicaux traditionnels. Cette tendance généralisée contribue à aggraver les déserts médicaux, où l’accès aux soins de santé de base devient de plus en plus difficile.

D’après le Conseil de l’ordre des médecins, aucun registre officiel des médecins spécialisés dans les interventions esthétiques n’existe actuellement. Cependant, selon les données disponibles, ce même Ordre estime à au moins 9 000 le nombre de médecins pratiquant cette spécialité en France. Toutefois, ce chiffre pourrait être largement sous‑estimé. Il est en effet à souligner que de plus en plus de médecins intègrent cette pratique dans leur activité, parfois sans se manifester, ce qui rend difficile une estimation précise du nombre réel de praticiens œuvrant dans ce domaine.

L’attractivité de la médecine esthétique s’explique tout particulièrement par son caractère extrêmement lucratif. Avec une injection qui avoisine les 300 euros, ce secteur médical est l’un des seuls où la taxe sur la valeur ajoutée est appliquée. Il est beaucoup plus rentable que le soin.

À titre de comparaison, une consultation de neurologie à l’hôpital est rémunérée une cinquantaine d’euros et le tarif d’une consultation de médecine générale est de 26,50 euros sur l’ensemble du territoire. Le soin ne paie donc pas suffisamment et est de surcroît bien plus contraignant. Les reconversions de médecins vers la médecine esthétique sont donc un réel problème, justifiée par une attractivité multifactorielle et sachant que la demande ne cesse de croitre, particulièrement dans les métropoles.

Par ailleurs, ce phénomène est accentué par une absence totale de régulation. Actuellement, tout médecin peut décider de se consacrer à des actes de médecine esthétique sans se manifester. N’étant pas une spécialité médicale, mais seulement un ensemble d’actes, il n’y a aucun quota, contrairement à la chirurgie esthétique par exemple. En conséquence, une majorité de médecins esthétiques seraient initialement médecins généralistes.

Une enquête publiée le 20 mars 2024 par l’Express indique que les exemples sont tout autant divers qu’inquiétants. Par exemple, sur Doctolib, une rhumatologue, en plus de soigner les articulations, propose aussi des injections purement esthétiques. D’autres médecins proposent du peeling, ce soin qui élimine les peaux mortes ou même de la radiofréquence vulvo‑vaginale, utilisée pour améliorer l’aspect de l’appareil génital, un segment de plus en plus tendance. Autre exemple, « une angiologue dans le Ve arrondissement de Paris, traite les imperfections du visage en plus des problèmes artériels pour lesquels elle a été formée à l’origine ».

Cette même enquête rapporte aussi « qu’il y a quelques mois, un chiffre a particulièrement inquiété l’Ordre. Le Conseil départemental de Paris avait estimé que 80 % des jeunes médecins qui s’installent dans la capitale après leurs études souhaitaient faire de l’esthétique ». 

Parallèlement à ce constat, 87 % du territoire national est un désert médical, situation qui touche autant les grandes agglomérations que les campagnes et que les délais pour obtenir certains rendezvous chez des spécialistes ont explosé ces dernières années. En effet, pour obtenir un rendezvous chez un médecin généraliste, il faut en moyenne 10 jours en 2024 contre 4 jours en 2019 ; en pédiatrie, 3 semaines et 3 jours en 2024 contre 2 semaines et 4 jours en 2019 ; pour les ORL, 2 mois en 2024 contre 1 mois et 1 semaine en 2019 ; chez un gynécologue, 2 mois en 2024 contre 1 mois et 3 semaines en 2019 ; chez un cardiologue : 2 mois et 2 semaines en 2024 contre 1 mois et 3 semaines en 2019.

Chaque médecin, généraliste ou spécialiste, qui se tourne vers la médecine esthétique, est donc un médecin en moins pour traiter les pathologies de nos concitoyens, renforçant ainsi le phénomène de désertification médicale, et ce, pour des raisons lucratives.

C’est pourquoi, l’article unique de la présente proposition de loi vise à encadrer la pratique de la médecine esthétique en France en la conditionnant à une autorisation de l’autorité administrative territorialement compétente et après avis conforme du conseil départemental de l’ordre des médecins.

Toutefois, s’il convient d’encadrer la pratique de la médecine esthétique, le Législateur doit engager une réflexion beaucoup plus large sur l’attractivité des métiers du soin en France alors même que plus de six millions de nos concitoyens n’ont pas de médecin traitant.

« Docteur Botox » ne doit pas être la seule perspective d’avenir pour nos futurs médecins.

La médecine mérite une autre ambition.

Un meilleur message doit lui être envoyé.

C’est l’équilibre même de notre système de soins qui est en jeu.

 


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proposition de loi

Article unique

Le chapitre II du titre II du livre III de la sixième partie du code de la santé publique est complété par un article L. 6322‑4 ainsi rédigé :

« Art. L. 63224. – Le médecin généraliste et le médecin spécialiste dont les missions sont respectivement définies aux articles L. 4130‑1 et L. 4130‑2 du présent code peuvent exercer une médecine à visée esthétique dont les actes, procédés, techniques, méthodes et interventions sont mentionnées aux articles L. 1151‑2 et L. 6322‑1 du même code sous réserve d’une autorisation de l’autorité administrative territorialement compétente, après avis conforme du conseil départemental de l’ordre des médecins. »