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N° 2500

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 avril 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à contrôler l’achat de terres agricoles par des investisseurs étrangers,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Géraldine GRANGIER, M. Franck ALLISIO, Mme Bénédicte AUZANOT, M. Philippe BALLARD, M. Romain BAUBRY, M. José BEAURAIN, M. Pierrick BERTELOOT, M. Bruno BILDE, M. Emmanuel BLAIRY, M. Frédéric BOCCALETTI, Mme Pascale BORDES, M. Jorys BOVET, M. Jérôme BUISSON, M. Victor CATTEAU, M. Sébastien CHENU, M. Roger CHUDEAU, Mme Caroline COLOMBIER, Mme Annick COUSIN, Mme Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, Mme Edwige DIAZ, Mme Sandrine DOGOR-SUCH, M. Nicolas DRAGON, Mme Christine ENGRAND, M. Frédéric FALCON, M. Thibaut FRANÇOIS, M. Thierry FRAPPÉ, M. Frank GILETTI, M. Christian GIRARD, M. José GONZALEZ, Mme Florence GOULET, M. Daniel GRENON, M. Michel GUINIOT, M. Jordan GUITTON, Mme Marine HAMELET, Mme Catherine JAOUEN, M. Alexis JOLLY, Mme Laure LAVALETTE, Mme Julie LECHANTEUX, Mme Gisèle LELOUIS, M. Hervé DE LÉPINAU, Mme Katiana LEVAVASSEUR, Mme Christine LOIR, M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI, Mme Marie-France LORHO, M. Philippe LOTTIAUX, M. Alexandre LOUBET, M. Matthieu MARCHIO, Mme Michèle MARTINEZ, M. Bryan MASSON, M. Kévin MAUVIEUX, M. Nicolas MEIZONNET, Mme Joëlle MÉLIN, M. Pierre MEURIN, M. Serge MULLER, M. Julien ODOUL, Mme Mathilde PARIS, Mme Caroline PARMENTIER, M. Kévin PFEFFER, Mme Lisette POLLET, M. Stéphane RAMBAUD, Mme Angélique RANC, M. Julien RANCOULE, Mme Laurence ROBERT-DEHAULT, M. Alexandre SABATOU, M. Emeric SALMON, M. Emmanuel TACHÉ DE LA PAGERIE, M. Jean-Philippe TANGUY, M. Michaël TAVERNE, M. Lionel TIVOLI, M. Antoine VILLEDIEU,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’agriculture est le cœur battant de la France, elle est une part inestimable de notre identité nationale. Les générations de paysans qui se sont succédées ont assuré notre parfaite autonomie alimentaire mais aussi façonné nos paysages, les hameaux et les villages. Pour cela, chacun a pu accéder aux terres agricoles en devenant tour à tour ouvrier de ferme, locataire puis souvent propriétaire des parcelles cultivées.

Aujourd’hui, l’accès au foncier agricole est devenu un enjeu tant la financiarisation des surfaces agricoles se généralise et menace jusqu’à notre souveraineté alimentaire.

Alors qu’une profonde et légitime révolte paysanne continue de traverser la France, l’accaparement des terres agricoles par des investisseurs étrangers interroge et devient un problème majeur auquel il convient de s’attaquer pour permettre l’installation prioritaire des jeunes agriculteurs français.

« Je veux faire de tous les citoyens français des privilégiés dans leur propre pays » déclarait Mme Marine Le Pen en avril 2022. Au risque de disparaître, la profession d’agriculteur nécessite plus que jamais d’être privilégiée sur ses propres terres. A cette fin, le principe même de priorité nationale doit s’appliquer dans le domaine de l’achat du foncier agricole, à travers le contrôle des investissements réalisés en la matière.

Il est opportun ici d’affirmer que les terres agricoles représentent une ressource unique et limitée. Leur préservation est indispensable et conditionne l’avenir de l’agriculture et des agriculteurs dont l’effectif a été divisé par quatre en quarante ans ([1]) et dont le nombre d’exploitations a été divisé par cinq entre 1955 et 2013 ([2]).

Sur la même période, la France a perdu, du fait de l’artificialisation des sols, six millions d’hectares de terres agricoles, soit l’équivalent de la surface totale de la région Grand Est. L’accaparement du foncier agricole par des sociétés s’est en outre accéléré : alors qu’il représentait une proportion quasi nulle il y a une dizaine d’années, il a atteint un taux de près de 20 % en 2016 ([3]). À cet égard, les données disponibles sur les années 2016 à 2018 font apparaître que les acquisitions de parts sociales réalisées par des étrangers représentent 14,4 % du montant des acquisitions observées au cours de cette même période ([4]).

Sans protection législative efficace, les campagnes françaises et nos terres agricoles ont été captées facilement par des multinationales étrangères, notamment asiatiques. On peut rappeler que le conglomérat chinois Reward Group a acheté près 3 000 hectares pour y cultiver du blé et qu’un autre groupe chinois, spécialisé dans la fabrication et la commercialisation d’équipements pour les stations‑service et l’industrie pétrolière a également acquis 1 700 hectares de terres agricoles. L’ensemble des productions sur ces terres est voué uniquement à l’exportation en Chine.

À ces opérations d’acquisitions massives d’investisseurs étrangers, il faut aussi ajouter dans les zones frontalières comme le Doubs, la captation de foncier par des agriculteurs suisses, ainsi qu’en témoigne le président départemental de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) : « Dans certains coins frontaliers du Doubs, on voit des Suisses acheter des terres pour l’exploitation agricole, notamment les foins. Ils n’ont pas les mêmes contraintes que les éleveurs français »[5]. Propos complétés par un éleveur franc‑comtois : « Rien que sur le canton d’Hérimoncourt, on a perdu plus de 1000 hectares. On n’a rien contre les Suisses, mais quand un jeune veut s’installer ou conforter sa ferme pour assurer ses stocks fourragers, il faut lui accorder une priorité dans l’achat de terres par rapport à la concurrence helvète. Ce qui est parti en Suisse ne reviendra pas » ([6]).

Avec ces acquisitions, c’est aussi la part grandissante de la sous‑location à des agriculteurs étrangers qui doit nous inquiéter car elle aggrave les difficultés d’installation des jeunes agriculteurs. Interdite, la sous‑location des terres agricoles concernerait pourtant des dizaines de milliers d’hectares au total et se généralise dans le Doubs mais aussi dans d’autres départements tels que le Nord, le Pas‑de‑Calais, aux abords de la frontière belge, mais également dans la Somme, l’Oise et l’Aisne.

Lors des cessions, ce mécanisme pervers et illégal pèse à la hausse et lourdement sur le prix des transactions dont seuls des investisseurs étrangers peuvent s’acquitter.

L’accaparement des propriétés foncières agricoles par des investisseurs étrangers soulève en définitive plusieurs problèmes :

– la spéculation et des prix d’achat souvent quatre à cinq fois supérieurs aux prix du marché entravent voire interdisent l’installation de jeunes agriculteurs français, et impactent défavorablement notre modèle d’agriculture traditionnelle et sa pérennité ;

– l’indépendance alimentaire de la France est à terme aussi menacée puisque les productions concernées sont tournées exclusivement vers l’export comme dans nos exemples vers la Chine ou vers la Suisse ;

– la disparition progressive de la diversité de production et le développement exclusif de monocultures conduisent à la raréfaction des productions locales et font obstacle à la sécurisation de l’approvisionnement alimentaire de la population française, nous rendant tributaire des exportations ;

– la trop grande concentration des terres aboutit à des systèmes de production à moindre valeur ajoutée à l’hectare et économes d’emplois. Elle provoque ainsi la diminution du nombre d’agriculteurs et accélère la désertification des campagnes ;

 l’utilisation par des exploitants étrangers de produits phytosanitaires interdits en France mais autorisés dans leur pays d’origine, entraîne un risque évident de pollution des sols et des effets néfastes sur la santé, l’emploi de ces traitements introduits illégalement et sans autorisation de mise sur le marché (AMM) ne faisant évidemment l’objet d’aucun suivi.

Face à l’ampleur du phénomène et ses conséquences désastreuses en termes de souveraineté alimentaire et d’aménagement du territoire, les dispositifs législatifs même actualisés par la loi n° 2021‑1756 du 23 décembre 2021 portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, dite loi Sempastous, qui doit être évaluée fin 2024, demeurent des outils insuffisants pour limiter et contrôler réellement les investissements étrangers notamment en cas de cession partielle de parts ou d’actions d’une société dont l’objet principal est la propriété agricole.

Malgré la promesse du Président de la République en juillet 2018 qui déclarait : « On ne peut pas laisser des centaines d’hectares être rachetées par des puissances étrangères sans qu’on sache la finalité de ces rachats », et estimait alors que les terres agricoles étaient : « un investissement stratégique dont dépend notre souveraineté » ([7]), la terre de France reste l’une des moins protégées d’Europe.

La présente proposition de loi a pour objectif de permettre un contrôle de l’achat de terres agricoles par des investisseurs étrangers et d’affirmer le principe de préservation de la souveraineté du foncier agricole.

L’article 1er investit le Gouvernement, au titre de la politique d’installation des exploitations agricoles, d’une faculté de contrôle et d’encadrement des investissements étrangers en France ayant pour objet l’achat de biens immobiliers à usage ou à vocation agricole, aux fins de préservation de la souveraineté du foncier agricole.

L’article 2 érige en axe de la politique d’aménagement rural la protection du foncier agricole de l’accaparement par des sociétés étrangères.

L’article 3 ajoute dans les missions confiées aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) celle de concourir à la protection du foncier agricole contre l’accaparement par des sociétés étrangères.

Les agriculteurs français doivent demeurer les premiers exploitants du foncier agricole en France. Il importe qu’ils soient, avant tous autres, prioritaires pour l’achat des terres indispensables à leur activité. Pour garantir la souveraineté du foncier agricole, les terres agricoles françaises doivent être protégées d’un accaparement systématique par les investisseurs étrangers.

C’est l’objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.

 


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proposition de loi

Article 1er

Après le chapitre II du titre III du livre III du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un chapitre II bis ainsi rédigé :

« Chapitre II bis

« Préservation de la souveraineté du foncier agricole

« Art. L. 33211. – Le Gouvernement peut, pour assurer la souveraineté du foncier agricole et par décret pris sur le rapport du ministre chargé de l’agriculture, soumettre à déclaration, autorisation préalable ou contrôle, les investissements étrangers en France ayant pour objet l’achat de biens immobiliers à usage ou à vocation agricole, au sens de l’article L. 143‑1. »

Article 2

Après le 1° de l’article L. 111‑2 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis Protéger le foncier agricole de l’accaparement par des sociétés étrangères ; »

Article 3

Après le 2° du I de l’article L. 141‑1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :

« 2° bis Elles concourent à l’objectif de protection du foncier agricole contre l’accaparement par des sociétés étrangères, défini à l’article L. 111‑2 ; »

 

 

 


([1])  Insee, les agriculteurs : de moins en moins nombreux et de plus en plus d'hommes. Publié le 23 octobre 2020. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4806717#titre-bloc-1

([2])  Banque des territoires, Accaparement des terres : "La vitalité des territoires ruraux est en péril". Publié le 31 mai 2018. https://www.banquedesterritoires.fr/accaparement-des-terres-la-vitalite-des-territoires-ruraux-est-en-peril

([3])  France Agricole, Foncier : Des investisseurs chinois s’emparent de 900 hectares dans l’Allier. Publié le 22 novembre 2017

https://www.lafranceagricole.fr/actualites-gestion/article/802651/des-investisseurs-chinois-s-emparent-de-900-hectares-dans-l-allier

([4])  Question écrite de M. Jacques Marilossian. Publiée le 16 juin 2020
https://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-30301QE.htm

([5])  Est républicain, l’accès au foncier, un problème pour les paysans du Doubs. Publié le 28 janvier 2024.
https://www.estrepublicain.fr/economie/2024/01/28/l-acces-au-foncier-un-probleme-pour-les-paysans-du-doubs

([6])  France Bleu, des agriculteurs franc-comtois dénoncent la captation des terres agricoles par leurs voisins suisses. Publié le 11 août 2023.
https://www.francebleu.fr/infos/agriculture-peche/des-agriculteurs-franc-comtois-denoncent-la-captation-des-terres-agricoles-par-leurs-voisins-suisses-6025926

([7])  Discours du Président de la République, Emmanuel Macron, à la nouvelle génération agricole. Publié le 22 février 2018. https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/02/22/discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-a-la-nouvelle-generation-agricole