N° 2510

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 avril 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre la désertification médicale en autorisant à titre expérimental l’ouverture du secteur 2 aux médecins s’installant ou exerçant dans les zones déficitaires d’Île-de-France,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-Louis THIÉRIOT,

député.


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La désertification médicale gagne de plus en plus de territoires, ruraux bien sûr mais aussi urbains. Ce sont désormais plus de 87 % du pays qui peuvent être qualifiés de « déserts médicaux », des zones où il devient impossible de trouver un médecin traitant, des zones où les délais d’attente pour obtenir un rendez‑vous chez un spécialiste sont par endroits devenus si insupportables que les chances de guérison des malades en sont impactées.

La conséquence est qu’aujourd’hui en France, il existe une médecine à deux vitesses : la médecine de ceux qui doivent patienter plusieurs mois pour obtenir un rendez‑vous et la médecine de ceux qui peuvent s’appuyer sur un réseau de relations pour remonter la file d’attente.

Causes et chiffres de la « désertification médicale »

Les causes de la désertification médicale en médecine de ville sont connues : tout d’abord un manque structurel de médecins dû à la pyramide des âges et à la suppression trop tardive du numerus clausus qui ne produira ses effets que dans plusieurs années de sorte que nombre de médecins libéraux ne trouvent pas de repreneurs lorsqu’ils partent à la retraite.

Mais aussi une rémunération trop basse en raison des tarifs conventionnés en secteur 1, déconnectés du coût de la pratique, qui pousse les jeunes médecins à préférer un poste salarié aux horaires restreints, en hôpital ou centre médical, ou à s’installer dans des territoires où les loyers sont moins onéreux. Le coût généré par la location ou l’acquisition d’un cabinet médical est en effet difficilement supportable dans les zones à forte pression immobilière.

Cela est particulièrement vrai en Île‑de‑France qui, d’après le dernier zonage publié par l’agence régionale de santé (ARS) en 2022, constitue le premier désert médical de France métropolitaine pour l’accès au médecin généraliste : 97 % du territoire francilien est ainsi classé déficitaire. Fortement touchée par le phénomène de désertification médicale, la Seine‑et‑Marne à titre d’exemple compte en moyenne seulement 6 médecins généralistes pour 10 000 habitants.

Le phénomène de sous‑dotation en « médecine de ville » de certaines zones constitue un cercle vicieux : la surcharge d’heures de travail et la pression d’une patientèle qui peine à trouver des rendez‑vous sont en effet des facteurs supplémentaires considérables de démotivation pour l’installation de jeunes médecins mais aussi des facteurs de départ anticipés des médecins souffrant d’un syndrome d’épuisement professionnel.

Depuis 2010, 7 800 postes d’internes en médecine générale ont été ouverts dans les facultés franciliennes ; sur ce chiffre plus de la moitié de ces étudiants sont déjà diplômés mais retardent leur installation face au manque de visibilité et d’attractivité de la carrière libérale.   

La situation de la démographie médicale francilienne continue donc de se dégrader. Entre mai 2022 et mai 2023, l’Île‑de‑France a encore perdu 354 médecins libéraux dont 244 médecins généralistes. Le pire est encore devant nous puisque 46 % des médecins libéraux franciliens ont plus de 60 ans et prévoient d’arrêter leurs activités dans les 2 à 5 ans, ce qui causera un déficit de 9 600 médecins supplémentaires, dont 4 000 médecins généralistes d’ici 2028 en Île-de-France sur les 21 000 actuellement en exercice.

Au regard de cette dramatique évolution, il y a urgence à prendre des mesures concrètes qui produisent un effet aussi rapide que pérenne, des mesures qui bénéficient aussi bien aux patients qu’aux médecins. 

On ne fera pas revenir les médecins libéraux dans les déserts médicaux en multipliant les contraintes ; bien au contraire, c’est une baisse des vocations pour les études de médecine et l’exercice de la médecine libérale que de telles mesures punitives sont en train de provoquer, et dont on payera le tribut plus cher encore dans quelques années.

L’ouverture au secteur 2 : une mesure pour relancer l’attractivité de l’installation en médecine libérale dans les déserts médicaux

Dans une économie de pénurie, c’est par une politique de l’offre qu’il est possible de relancer l’attractivité de l’installation en libéral.

Le principal moyen susceptible de compenser l’ensemble des inconvénients à exercer dans ces déserts médicaux, et ainsi d’inciter les médecins à s’y installer de façon pérenne, est de leur procurer un avantage financier durable qui dépasse le seul moment de leur installation et qui leur permette de se projeter dans une carrière professionnelle épanouissante.

La possibilité d’exercer en secteur 2 dans les déserts médicaux constitue un tel avantage puisqu’en offrant au médecin la possibilité de moduler son tarif, il lui permet d’adapter sa rémunération aux coûts financiers qu’impliquent le prix des loyers et le besoin d’un secrétariat médical nécessaire pour diminuer le temps consacré aux tâches administratives, augmenter le temps consacré à la patientèle et trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Or, l’accès au secteur à honoraires différents est aujourd’hui réservé aux médecins titulaires d’un clinicat ou assistanat acquis en France dans un établissement de santé public ou ancien praticien hospitalier. Or, le nombre de postes de clinicat ou d’assistanat ouverts est très faible (postes qui devraient en outre plutôt être réservés aux médecins ayant la vocation de poursuivre une carrière hospitalo‑universitaire). Ainsi, 97 % des médecins généralistes diplômés en France ne disposent pas des titres pour pratiquer des honoraires différents.

L’ouverture du secteur 2 est aujourd’hui la seule mesure de nature à encourager l’installation et le maintien des médecins dans les déserts médicaux. Cette mesure est très largement plébiscitée par les médecins.

L’ouverture au secteur 2 : une mesure favorable aux finances de la sécurité sociale qui ne pénalise pas les patients les moins aisés

Ce dispositif n’entraine pas de coût supplémentaire pour les finances de la sécurité sociale. Au contraire, il vient même diminuer le montant des compensations de cotisations sociales prises en charge par l’assurance maladie pour les médecins de secteur 1.

Le coût moyen annuel de la prise en charge partielle par l’assurance maladie des cotisations d’un médecin de secteur 1 est estimé à près de 12 000 euros par an en 2022.

En matière d’accès aux soins, l’exercice en secteur 2 n’exclut pas qu’une partie de l’activité du médecin soit réalisée à tarifs opposables (tarifs du secteur 1) et remboursés de façon identique par l’assurance maladie au patient.

Aujourd’hui en Île-de-France, les médecins qui exercent en secteur 2 réalisent 43.3 % de leurs actes à tarifs opposables. Les praticiens fidèles au serment d’Hippocrate, fixent ainsi leurs tarifs « avec tact et mesure » en les adaptant à la situation sociale de leurs patients.

En ouvrant le secteur 2 tout en garantissant une prise en charge partielle par l’assurance maladie des cotisations pour la part des actes réalisés en secteur 1 (estimé à 40 % du volume d’acte d’un médecin secteur 2), la charge pour les finances sociales est donc diminuée de 60 % par an soit 7 132 euros par an et par médecin.

Dans l’hypothèse où 50 % des médecins généralistes installés en zone déficitaire en Île-de-France (8500 médecins en exercice en 2024 en Île-de-France) choisissaient d’accéder au secteur 2, soit 4 250 médecins et que 2 000 nouveaux médecins généralistes décidaient de s’installer en zone déficitaire dans ce dispositif (sachant qu’actuellement 1 500 médecins généraliste sont formés chaque année en Île-de-France), ces 6 250 médecins représenteraient une économie pour les finances publiques de 45 000 000 euros par an pour la seule Région Île-de-France.

En conclusion, la possibilité offerte d’accéder au secteur 2 aux médecins installés ou désireux de s’installer dans les zones sous‑dotées en médecine libérale est une mesure concrète qui permet de stopper à brève échéance l’hémorragie de généralistes et de spécialistes dans les déserts médicaux.

C’est également une mesure d’avenir : en permettant aux médecins de se rémunérer à hauteur de leur engagement tant en années d’études qu’en heures hebdomadaires consacrées au soin des patients, et qu’en termes de responsabilité médicale, cette mesure valorise l’exercice de la médecine libérale et lutte contre le recul croissant de son attractivité auprès des étudiants en médecine et des médecins en exercice.

C’est en tous les cas une mesure d’urgence vitale : les délais d’attente pour obtenir des rendez‑vous médicaux constituent en effet une perte de chance de guérison pour de nombreux malades.

Objet de la proposition de loi : un dispositif expérimental de trois ans en Île-de-France d’ouverture du secteur 2 aux médecins libéraux dans les zones déficitaires

L’article 1er de la présente proposition de loi prévoit, via une expérimentation de trois années en Île-de-France, d’ouvrir la possibilité d’accéder au secteur 2 aux médecins qui s’installent ou exercent en libéral en zone déficitaire.

L’expérimentation a pour but de démontrer l’intérêt de la mesure en vue d’en généraliser le dispositif à l’ensemble du territoire français.

Le choix du nombre de trois années d’expérimentation permet d’avoir un retour rapide et de juger de l’efficacité de cette mesure.

Le choix de l’Île-de-France comme terrain d’expérimentation a été naturellement dicté par le statut de premier désert médical de France de cette région avec 97 % de son territoire classé en zone déficitaire par l’ARS. La diversité de son habitat urbain/rural et de sa sociologie en font également un objet de d’étude très intéressant.

L’article 2 précise que les actes pratiqués aux tarifs opposables continuent d’être remboursés aux patients par l’assurance sociale dans les mêmes conditions que les actes pratiqués par un praticien de secteur 1.

Le succès du dispositif d’expérimentation repose sur la nécessité d’instaurer un droit acquis à exercer en secteur 2.

L’article 3 de la présente proposition de loi prévoit donc que les médecins qui décideront de rentrer dans cette expérimentation garderont à l’issue de celle‑ci un droit acquis à exercer en secteur 2, à condition qu’ils poursuivent leur activité dans une zone déficitaire sur le territoire national ou, en cas de modification par l’ARS du zonage du territoire initialement déficitaire sur lequel ils se sont installés, qu’ils y maintiennent leur activité.

L’article 4 confie conjointement l’évaluation du dispositif expérimental à l’Autorité régionale de santé d’Île-de-France, à l’Assurance maladie et à l’Union régionale des professionnels de santé médecins libéraux Île-de-France.

L’article 5 renvoie à un décret le soin de préciser les modalités d’application de la présente proposition de loi.

 

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

À titre expérimental, pour trois ans, en Île-de-France, sont autorisés à pratiquer des honoraires différents les médecins qui s’installent ou exercent en libéral dans les zones d’intervention prioritaires ou complémentaires caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins telles que définies au 1° de l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique.

Article 2

Les médecins qui s’engagent dans le dispositif expérimental visé à l’article 1er de la présente loi continuent de bénéficier, pour leur part d’activité en secteur 1, de la prise en charge partielle de leurs cotisations sociales par l’assurance maladie telle que prévue dans le régime des praticiens et auxiliaires médicaux.

Article 3

Les médecins qui optent pour le secteur 2 dans le cadre du dispositif expérimental visé à l’article 1er bénéficient à l’issue de l’expérimentation d’un droit acquis à exercer en secteur 2, à condition qu’ils poursuivent leur activité dans une zone d’intervention prioritaire ou complémentaire caractérisée par une offre de soins insuffisante sur le territoire national ou, en cas de modification du zonage par l’Autorité régionale de santé, qu’ils y maintiennent leur activité sur le territoire initialement déficitaire sur lequel ils se sont installés.

Article 4

L’évaluation de ce dispositif est confiée conjointement à l’Autorité régionale de santé d’Île-de-France, l’Assurance Maladie et l’Union régionale des professionnels de santé médecins libéraux Ile-de-France.

Article 5

Un décret précise les modalités d’application de la présente loi.

Article 6

La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.