N° 2542

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 avril 2024.

PROPOSITION DE LOI

portant actualisation de la loi 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Nathalie BASSIRE, M. Jean-Louis BRICOUT, Mme Béatrice DESCAMPS, M. Stéphane LENORMAND, M. Bertrand PANCHER, M. Benjamin SAINT-HUILE, M. David TAUPIAC, Mme Estelle YOUSSOUFFA, M. Christophe NAEGELEN, Mme Martine FROGER, M. Guy BRICOUT, M. Charles DE COURSON, M. Laurent PANIFOUS, M. Pierre MOREL-À-L’HUISSIER,

députées et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane sont devenus départements français par la loi n° 46‑451 du 19 mars 1946.

Comme le rappelle le professeur des universités M. Yvan Combeau, historien et politologue (Les mots de la départementalisation Mars 1946), ce texte est la concrétisation de plusieurs propositions de loi déposées successivement, puis collectivement, par des députés martiniquais, guadeloupéens, guyanais et réunionnais entre octobre 1945 et mars 1946 : il marque la volonté partagée de devenir département des représentants élus de ces quatre « vieilles colonies », majoritairement progressistes, et donc de leurs populations, dans un contexte d’après seconde guerre mondiale.

Cet acte politique de départementalisation, l’aboutissement normal d’un processus historique d’assimilation commencé au lendemain de la Révolution française de 1789 et concrétisé par la loi du 19 mars 1946, est un moment politique fondateur dans l’histoire de ces quatre territoires d’outre‑mer.

La première proposition pour le changement de statut d’une des « vieilles colonies » en département est datée du 17 janvier 1946 et est portée par les députés communistes de la Martinique, Aimé Césaire et Léopold Bissol.

Ce document (proposition de loi numérotée 295), qui concerne les Antilles, est présenté par le député‑maire de Fort-de-France, Aimé Césaire :

« Îles françaises depuis plus de trois cents ans, associées depuis plus de trois siècles au sort de la métropole dans la défaite comme dans la victoire, ces colonies considèrent que leur intégration dans la patrie française doit résoudre les nombreux problèmes auxquelles elles ont à faire face… ».

Un mois après, le 12 février, comme le député radical‑socialiste Gaston Monnerville pour la Guyane française (proposition de loi numérotée 409), ce sont les députés communistes de La Réunion, Raymond Vergès et Léon de Lepervanche qui proposent le classement de leur île comme département (proposition de loi numérotée 412).

Comme le rappelle le professeur des universités André Oraison, juriste et politologue (Radioscopie critique de la loi de départementalisation du 19 mars 1946, Revue Juridique de l’Océan Indien (RJOI), 2022), « l’examen de ces propositions de loi par la commission des Territoires d’outre‑mer dont le rapporteur est Aimé Césaire, débute le 26 février 1946.

Ses travaux débouchent sur une synthèse des trois initiatives parlementaires qui conduit à une proposition de loi unique accompagnée d’un nouveau rapport rédigé par Aimé Césaire et aussitôt remis aux ministères des Finances, de l’intérieur et de l’outre‑mer.

À la suite des critiques émanant de ces trois ministères, la commission des territoires d’outre‑mer se réunit de nouveau le 6 mars 1946. Cette commission élabore un ultime rapport qui élude la plupart des objections ou réserves des deux ministres socialistes : Marius Moutet, ministre de l’Outre‑mer, et André Philip, ministre de l’économie et des finances. »

Dans sa rédaction initiale, cette proposition de loi unique visait expressément au principe d’assimilation ou d’identité législative.

Il convient toutefois de rappeler le déroulement des débats précédant le vote de cette loi : depuis novembre 1945, le tempo de l’action politique diverge entre la commission des territoires d’outre‑mer décidée à accélérer et le gouvernement, la commission des finances, qui tentent de ralentir l’avancée du dossier et d’imposer la prise en compte de paramètres économiques face à une volonté politique.

Comme en attestent les débats de l’Assemblée constituante retranscrits au Journal officiel de la République française (JORF), lorsque le débat est programmé en session plénière dans l’hémicycle, le gouvernement de l’époque joue toujours la montre.

Le 5 mars 1946, alors que la discussion doit s’engager sur la proposition de loi commune, Marius Moutet, ministre de la France d’outre‑mer demande un renvoi des débats au 12 mars.

Cette demande, justifiée par le manque de préparation gouvernementale, cache surtout la récurrente interpellation sur « les répercussions financières des mesures envisagées ».

Le 12 mars, la discussion des propositions de loi débute. Elle s’engage avec retard. Toujours dans l’urgence, le rapporteur, Aimé Césaire, a été convoqué par la commission des finances de l’Assemblée constituante.

Dans l’hémicycle l’outre‑mer n’est hélas pas la priorité, et si nous nous en tenons à la durée du débat, elle n’occupe les députés constituants que sur une petite heure.

De lourdes concessions furent arrachées pour permettre le vote de ce texte : le ver était dans le fruit.

L’attachement à la France transpire clairement des débats, ainsi que l’illustre le propos du docteur Raymond Vergès : « Nulle autre colonie ne s’y rattache (à la métropole) par des liens plus étroits ni plus solides (…) Accueillez nous ! Voici trois cents ans que nous attendons ! »

Ce qui est clairement revendiqué en 1946, après la liberté obtenue en 1848, ce sont tout simplement l’égalité et la justice sociale : « Après la fraternité et la liberté, nous venons vous demander l’égalité devant la loi, l’égalité des droits » (Gaston Monnerville).

C’est dire si avec la date de l’abolition définitive de l’esclavage, celle du 19 mars 1946 représentent les deux dates les plus marquantes de l’Histoire de nos départements d’outre‑mer (DOM).

Cette loi fut adoptée à l’unanimité mais de façon édulcorée par la première Assemblée nationale constituante : selon le mot du professeur Oraison, cette loi serait ainsi « pusillanime » et « son seul mérite a été de convertir en ‘‘départements de droit’’ des ‘‘départements de fait’’ ». En effet, si l’article 1er de la loi du 19 mars 1946 acte le statut départemental sur le plan administratif et organisationnel, son article 3 ne consacre aucunement, à ce moment‑là, le principe d’identité législative, bien au contraire… ne les soustrayant ainsi pas à la discrimination coloniale.

En ce sens, nous pouvons considérer, à l’instar du professeur des universités André Oraison, que l’abolition du régime colonial dans les DOM n’a pas été acté par la loi du 19 mars 1946, faute d’égalité puisque le principe d’identité législative est « un principe fondamental sans lequel leur départementalisation n’aurait été ni une véritable assimilation à la Nation française, ni une authentique décolonisation. »

Et ce qui prévalait alors dans les « quatre vieilles » est hélas toujours d’actualité encore aujourd’hui à Mayotte, notamment sur le plan social, malgré son statut de collectivité départementale.

Bien que sa population ait choisi de rester française dès le référendum de 1974, confirmé à plus de 99 % par le référendum de 1976, Mayotte est devenue le 101e département français le 31 mars 2011 au terme d’un processus démarré par l’accord du 27 janvier 2000 et confirmé par la loi du 11 juillet 2001 fixant les étapes de la départementalisation, mais maintenant le principe de spécialité législative.

Au‑delà d’une actualisation sémantique, la présente proposition de loi – qui fait écho aux propositions de loi des députés ultramarins en 1946 (et non d’un projet de loi gouvernemental) – fait œuvre de réparation historique et est hautement symbolique en ce qu’elle permet d’une part de célébrer avec justesse la date du 19 mars 1946 comme celle de la victoire des ultramarins en matière de décolonisation, et d’autre part une départementalisation pleine et entière dans nos Outre‑Mer basée sur la valeur d’égalité réelle avec la France hexagonale, y compris pour Mayotte en prévoyant une courte période de transition d’ici le 1er janvier 2027.

Elle permet assurément de rétablir la volonté des législateurs ultramarins de 1946 (et des populations qu’ils représentaient) dont la proposition de loi unique, en son article 3, prévoyait expressément – avant sa censure gouvernementale pour de vils motifs d’ordre budgétaire (qui n’ont hélas rien perdu de leur persistance en 78 ans) – de doter leurs territoires du principe d’assimilation ou d’identité législative, tout en maintenant les possibilités d’expérimentation, d’habilitation et d’adaptation, voire de différenciation, prévues le cas échéant par la Constitution en vigueur.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi qui tient à réaffirmer solennellement, avec force, devant la représentation nationale que nos cinq territoires ultramarins de La Réunion, de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de Mayotte sont des « collectivités à part entière » avec leurs spécificités, et non des « collectivités entièrement à part ».

 


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proposition de loi

Article unique

La loi n° 46‑451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française est ainsi modifiée :

1° L’article 1er est ainsi rédigé :

« Art. 1er. – Les anciennes colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion, de Mayotte et la Guyane française sont des collectivités régies par l’article 73 de la Constitution. » ;

2° L’article 2 est ainsi modifié :

a) Le mot : « métropolitaine » est remplacé par le mot : « hexagonale » ;

b) Le mot : « colonies » est remplacé par les mots : « territoires ultramarins » ;

c) L’année : « 1947 » est remplacée par l’année : « 2027 » ;

d) À la fin les mots : « nouveaux départements » sont remplacés par le mot : « collectivités ».

3° Le premier alinéa de l’article 3 est ainsi modifié :

a) Les mots : « la métropole » sont remplacés par les mots : « la France hexagonale » ;

b) Le mot : « départements » est remplacé par le mot : « collectivités » ;

c) Le mot : « sur » est remplacé par le mot : « sauf ».