N° 2557

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mai 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à valoriser le portage salarial comme instrument du plein emploi,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Stéphane VIRY,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le portage salarial est un outil innovant des politiques de l’emploi au service des travailleurs indépendants. Il permet à ces derniers de bénéficier d’un contrat de travail ainsi que du régime général de la sécurité sociale tout en conservant une totale autonomie dans le développement de leur activité. Il se place ainsi en première ligne de la dynamique des nouvelles formes d’emploi.

Les articles L. 1254‑1 et suivants du code du travail, insérés par une ordonnance de 2015 et non modifiés depuis, définissent le cadre législatif du portage salarial. Ce dernier permet de nouer une relation contractuelle tripartite, dans laquelle un salarié porté ayant un contrat de travail avec une entreprise de portage salarial effectue une ou plusieurs prestations pour le compte de clients. Le salarié porté est donc indépendant dans la gestion et le développement de son activité, tout en recourant à un intermédiaire (l’entreprise de portage salarial – EPS) afin de convertir son chiffre d’affaires en fiche de paie.

D’un point de vue contractuel, l’EPS signe à la fois une convention de prestation avec l’entreprise cliente et un contrat de travail (contrat à durée indéterminé ou déterminé (CDI ou CDD)) avec le salarié porté. Il n’existe pas de lien de subordination entre l’EPS et le salarié porté. Pour le salarié porté, l’EPS est avant tout un « tiers sécurisateur » qui permet à « l’indépendant‑salarié » de bénéficier d’un certain nombre de services et d’avantages : gestion administrative de son activité, accès au régime général de la sécurité sociale, à une mutuelle d’entreprise, à la médecine du travail, à une assurance professionnelle, à un accompagnement relatif à la formation professionnelle, etc.

Le portage salarial en France représente aujourd’hui plus de 100 000 travailleurs répartis dans 616 entreprises de portage. Dans les secteurs en tension, il est une réponse pertinente pour permettre aux petites et moyennes entreprises (PME) qui peinent à recruter de disposer d’indépendants‑salariés qualifiés et des compétences indispensables à leur développement. Il est également une réponse au chômage persistant des seniors en permettant à ceux‑ci de terminer leur carrière de manière progressive et dans un cadre sécurisant, afin qu’ils cotisent davantage suite à la dernière réforme du système de retraites sans être confrontés à la réticence des entreprises à leur signer un contrat de travail.

Le portage est pourtant restreint par la loi, l’empêchant de réaliser son plein potentiel. Cela s’explique par une volonté de certains acteurs du portage, dans les années 1980, de le réserver aux cadres des professions intellectuelles supérieures. Cette proposition de loi vise donc à clarifier et moderniser le droit issu de l’ordonnance de 2015, pour lever les barrières à l’entrée du portage salarial et faire de celui‑ci un instrument essentiel du plein‑emploi.

En son article 1er, cette proposition de loi démocratise l’accès au portage salarial en assouplissant la condition de rémunération minimale du salarié porté. En effet, l’article L. 1254‑2 du code du travail prévoit qu’en l’absence d’accord de branche étendu, la rémunération minimale soit fixée à 75 % du plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), ce qui équivaut à 2 898 euros bruts mensuels en 2024.

Or, ce plancher actuellement en vigueur faute d’accord de branche exclut de facto plus de la moitié de la population active française, dont le salaire médian se situe autour de 2 330 euros bruts mensuels, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).

Eu égard aux opportunités qu’offre ce dispositif en matière de créations d’emplois dans nos villes et territoires en besoin de revitalisation, il convient de l’étendre à des niveaux de salaires plus répandus dans la population active. Pour ce faire, l’article 1 propose d’abaisser la rémunération minimale du portage salarial à 50 % du PASS.

L’article 2 étend ce raisonnement à la barrière à l’entrée constituée du niveau minimal de qualification ou de diplôme. La convention collective applicable à la branche du portage salarial prévoit au minimum une qualification professionnelle de niveau III (bac+2) ou trois ans d’expérience minimum dans le même secteur d’activité.

Or, aucune corrélation entre l’autonomie d’un travailleur et son niveau de diplôme ne peut être établie. Qui plus est, dans les métiers en tension, nombre de travailleurs actuellement en poste, y compris comme indépendants classiques moins protégés, ne disposent pas d’un niveau bac+2.

Il est en conséquence proposé de préciser, dans le code du travail, que le seul critère de qualification retenu pour exercer en portage salarial soit l’accumulation d’une expérience significative suffisante dans le même secteur d’activité, en retenant la durée de trois ans.

L’article 3 élargit le champ des acteurs pouvant avoir recours à des salariés portés afin d’officialiser et sécuriser des pratiques existantes. En effet, dans l’état actuel du droit, la notion « d’entreprise cliente » exclut du cadre du portage une série d’acteurs dont le dispositif est nécessaire à leur développement. Le portage salarial est aujourd’hui plébiscité par le secteur associatif ainsi que de nombreuses collectivités territoriales, administrations et établissements publics.

L’article 4 clarifie les conditions dans lesquelles un client peut avoir recours au portage salarial. Par ailleurs, il permet aux salariés en portage salarial de développer leur clientèle sans entraves injustifiées. En effet, en levant la limitation dans le temps des missions, cette proposition de loi permet aux salariés portés, à l’instar des travailleurs en CDI intérimaire, de pérenniser leur clientèle et de garantir l’accès des (très petites entreprises (TPE) et PME à leur expertise pour des missions ne pouvant être réalisées en interne, aujourd’hui limitées à trente‑six mois.

Il est en parallèle proposé de supprimer les mots « occasionnelle » et « ponctuelle », superfétatoires au regard de la formulation établie « ne relevant pas de son activité normale et permanente » et ayant conduit par le passé à des interprétations larges, et donc à une insécurité juridique tant pour les clients que pour les salariés portés (risques de requalification en contrat de travail salarié classique).

L’article 5 vise à sécuriser le cadre juridique et financier général du portage salarial, en instaurant pour les clients un délai de paiement de trente jours maximum après émission, par les EPS, des factures des prestations réalisées par leurs salariés portés. Les EPS doivent à tout moment être en capacité de verser chaque mois les salaires de leurs salariés portés, salaires issus des sommes acquittées par les clients de ceux‑ci. Or, il ressort de la pratique que les délais de paiement actuels peuvent atteindre quatre‑vingt‑dix jours, remettant parfois fortement en cause cet impératif.

Par ailleurs, la présente proposition de loi n’aggravant pas les dépenses publiques, il n’est pas nécessaire d’y incorporer un article visant à lever le gage.

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

À la seconde phrase du II de l’article L. 1254‑2 du code du travail, le taux : « 75 % » est remplacé par le taux : « 50 % ».

Article 2

Au I de l’article L. 1254‑2 du code du travail, les mots : « expertise, d’une qualification et d’une autonomie » sont remplacés par les mots : « autonomie, d’une expertise et d’une expérience significative d’au moins trois ans dans le même secteur d’activité ».

Article 3

Le code du travail est ainsi modifié :

1° Au deuxième alinéa de l’article L. 1254‑1, les mots : « une entreprise cliente » sont remplacés par les mots : « un client » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 1254‑4, les mots : « dans l’entreprise cliente » sont remplacés par les mots : « pour le client » ;

3° À la fin de l’article L. 1254‑10, les mots : « dans une entreprise cliente » sont remplacés par les mots : « pour le compte du client » ;

4° Le 2° de l’article L. 1254‑15 est ainsi modifié :

a) Au a, les mots : « de l’entreprise cliente » sont remplacés par les mots : « du client » ;

b) Au e, les mots : « l’entreprise cliente » sont remplacés par les mots : « le client » ;

c) Au f, les mots : « La responsabilité de l’entreprise cliente » sont remplacés par les mots : « Lorsque le client est une entreprise, la responsabilité de celle‑ci » ;

d) Au h, les mots : « dans l’entreprise cliente » sont remplacés par les mots : « chez le client ».

5° À la fin du premier alinéa de l’article L. 1254‑19, les mots : « dans une ou plusieurs entreprises clientes » sont remplacés par les mots : « pour le compte d’un ou plusieurs clients ».

6° L’article L. 1254‑21 est ainsi modifié :

a) Au 1° du I, les mots : « l’entreprise cliente » sont remplacés par les mots : « le client » ;

b) Au II, les mots : « une entreprise cliente » sont remplacés par les mots : « un client » ;

7° Aux première et seconde phrases du premier alinéa de l’article L. 1254‑22, les deux occurrences des mots : « l’entreprise cliente » sont remplacées par les mots : « le client ».

8° L’article L. 1254‑23 du code du travail est ainsi modifié :

a) À la fin des 5° et 7°, les mots : « l’entreprise cliente » sont remplacés par les mots : « le client » ;

b) Au début du 6°, les mots : « La responsabilité de l’entreprise cliente » sont remplacés par les mots : « Lorsque le client est une entreprise, la responsabilité de celle‑ci » ;

c) Au 9°, les mots : « dans l’entreprise cliente » sont remplacés par les mots : « chez le client » ;

9° Au 1° de l’article L. 1254‑25, les mots : « l’entreprise cliente » sont remplacés par les mots : « le client » ;

10° Au troisième alinéa de l’article L. 3342‑1, les mots : « dans une entreprise cliente » sont remplacés par les mots : « pour le compte d’un client ».

Article 4

Le code du travail est ainsi modifié :

1° À l’article L. 1254‑3, le mot : « occasionnelle » et le mot : « ponctuelle » sont supprimés ;

2° Le II de l’article L. 1254‑4 est abrogé.

Article 5

Le code de commerce est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 441‑12, il est inséré un article L. 441‑12‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 441121. – Par dérogation au I de l’article L. 441‑10, le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser trente jours après la date d’émission de la facture pour les contrats commerciaux de prestation de portage salarial définis au 1° de l’article L. 1254‑1 du code du travail. » ;

2° Au a de l’article L. 441‑16, après la référence : « L. 411‑12 », est ajoutée la référence : « , à l’article L. 411‑12‑1 ».