N° 2567

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mai 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à maintenir et soutenir l’emploi des travailleurs expérimentés,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Stéphane VIRY, M. Thibault BAZIN, Mme Valérie BAZIN-MALGRAS, Mme Émilie BONNIVARD, Mme Josiane CORNELOUP, M. Julien DIVE, M. Francis DUBOIS, M. Philippe JUVIN, Mme Alexandra MARTIN (ALPES-MARITIMES), M. Yannick NEUDER, M. Jean-Pierre VIGIER,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2020, un constat a été dressé : les personnes âgées de plus de 65 ans représentaient déjà un cinquième de la population française. Les projections du Haut‑commissariat au plan indiquent une augmentation significative de cette proportion, qui devrait atteindre un quart de la population d’ici 2040, puis près de 30 % à partir de 2050. Face à cette réalité démographique, il est impératif d’initier une réflexion sérieuse sur la question de l’emploi des travailleurs expérimentés afin de permettre à la France de mieux anticiper ces changements. Les schémas traditionnels de travail évoluent : les générations futures ne suivront pas les mêmes modèles d’emploi que leurs prédécesseurs. Il incombe donc à l’État de prendre des mesures pour accompagner cette transformation de manière proactive.

Depuis les années 1970, la perception de l’emploi des travailleurs expérimentés a considérablement évolué. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la fin des années 1980, la stratégie dominante consistait à encourager le départ à la retraite des travailleurs expérimentés. Cette politique visait, en théorie, à faciliter l’accès à l’emploi pour les jeunes générations et à lutter contre le chômage de masse. Elle a été mise en place de nombreuses mesures de préretraites, financées par l’État, permettant aux travailleurs de cesser leur activité avant l’âge légal de départ en retraite et de bénéficier d’un revenu de substitution en attendant de liquider leur pension. À titre d’exemple, en 1970, près de 70 % des Français âgés de 60 à 64 ans étaient encore actifs, mais ce chiffre est tombé à seulement 35 % en 1983, puis à environ 17 % au milieu des années 1990. ([1])

La réforme du système de retraite de 2003 a marqué un tournant dans la politique de l’emploi des travailleurs expérimentés. Cette réforme a entraîné la suppression de la plupart des dispositifs de préretraites et a promu une approche visant à encourager l’allongement de la vie professionnelle des personnes âgées de 55 à 64 ans. Les récentes réformes des retraites ont consolidé cette orientation définie en 2003. Ainsi, la proposition de loi vise à faciliter la mise en œuvre de cette politique pour maintenir les travailleurs expérimentés en emploi. Elle propose notamment de valoriser l’expérience acquise tout au long de leur carrière professionnelle en accompagnant les travailleurs à différentes étapes de leur vie professionnelle grâce à des formations qualifiantes. Plusieurs dispositifs ont récemment été mis en place dans cet esprit comme la simplification de la validation des acquis de l’expérience ou encore la mise en place de « l’index sénior ». Des propositions que nous avions soutenues avec mon collègue Didier Martin lors de la précédente législature dans notre mission d’information sur l’emploi des travailleurs expérimentés. ([2])

Cependant, il reste encore plusieurs mesures à mettre en œuvre pour renforcer la position des travailleurs expérimentés sur le marché du travail et combattre les préjugés profondément enracinés dans l’opinion publique.

La question de l’emploi des travailleurs expérimentés, souvent assimilée à celle des seniors, est entachée par une multitude de préjugés qu’il est essentiel de surmonter pour initier un réel changement de perspective dans le domaine de l’emploi des travailleurs expérimentés. Le concept de « senior » est en réalité subjectif et ne correspond pas à un âge clairement défini : il peut varier selon les secteurs ou les dispositifs, allant de plus de 45 ans à plus de 50, 55 ans, voire davantage. Cette terminologie semble toutefois sous‑entendre qu’au‑delà d’un certain âge, le « senior » devient potentiellement moins productif voire « un poids » pour la société active. Ces préjugés, dénués de fondement, occultent la valeur de l’expérience, notamment en termes d’engagement, de connaissance de l’entreprise et du métier. Dans une démarche engagée contre les stéréotypes associés aux travailleurs les plus âgés, et reprenant l’esprit du rapport que j’ai co‑présidé lors de la précédente législature sur le sujet, la proposition de loi substituera systématiquement le terme de « senior » par celui de « travailleur expérimenté », reflétant ainsi une vision positive de nos travailleurs les plus expérimentés. Ils représentent une véritable richesse pour nos entreprises et pour la France et cela mérite d’être défendu.

Les entreprises manifestent souvent une réticence à embaucher des salariés plus âgés, alimentée par la croyance erronée que les travailleurs expérimentés ont plus de difficultés à s’adapter à de nouveaux environnements et à actualiser leurs compétences. Pourtant, comme l’a démontré la mission d’information parlementaire sur l’emploi des travailleurs expérimentés, ils peuvent parfaitement s’intégrer dans de nouvelles entreprises. L’essence même de cette proposition de loi est de replacer l’emploi des travailleurs expérimentés au cœur des politiques de l’emploi, loin des stéréotypes qui minent notre compétitivité et engendrent des situations préjudiciables pour l’emploi en français. Avec un taux d’emploi de seulement 35,5 % chez les 60‑64 ans, la France se situe en deçà de pays comme l’Allemagne, la Grande‑Bretagne ou encore la Suède, qui affichent des taux supérieurs à 60 %. Il faut faire mieux !

Les faits sont indéniables : la France fait face à une pénurie de main‑d’œuvre. De nombreuses entreprises rencontrent des difficultés à recruter et à fidéliser leurs employés, confrontées à des lacunes en termes d’expérience, de compétences, de motivation et d’autonomie.

Dans ce contexte, les travailleurs expérimentés et les retraités présentent plusieurs avantages : ils possèdent les compétences, l’expérience. Dans le cas des retraités, ils sont immédiatement disponibles pour les postes à pourvoir.

Il n’y a pas d’âge pour créer de la valeur.

Au‑delà de la richesse en expérience que représentent les travailleurs expérimentés et les retraités, le maintien de ces catégories de population en emploi est bénéfique pour leur santé. En effet, plus on reste actif professionnellement, mieux on vieillit. Solliciter régulièrement son cerveau permet de prolonger la durée de vie dans des conditions optimales. Maintenir une activité professionnelle contribue à préserver la santé mentale et physique. À titre d’exemple, les jeunes retraités qui continuent à travailler réduisent considérablement les risques de développer des maladies telle que la maladie d’Alzheimer.

L’esprit de cette proposition de loi réside dans son objectif d’accompagner les travailleurs expérimentés à maintenir leur emploi, notamment à travers des politiques de prévention et de formations ambitieuses dès l’âge de 55 ans. Cette initiative législative vise à mettre en place des dispositifs facilitant la formation des travailleurs expérimentés et à combattre « l’effet horizon » qui se manifeste quelques années avant l’âge de départ à la retraite. Cette frontière de l’âge suscite une impression chez les acteurs du marché du travail selon laquelle la formation, l’accompagnement, la recherche ou l’offre d’emploi deviendraient soudainement inutiles une fois franchie. Il est donc impératif de lutter contre ces préjugés qui suggèrent que passé un certain âge, les travailleurs expérimentés sont destinés à la retraite. Au contraire, ils représentent une richesse pour les entreprises et leurs salariés.

Il convient d’adapter certains dispositifs tels que le compte personnel de formation (CPF), qui véhicule implicitement l’idée que la formation n’est plus nécessaire pour les travailleurs plus âgés. En effet, le CPF n’est par exemple plus accessible aux jeunes retraités, laissant entendre qu’il n’est plus nécessaire de se former une fois atteint un certain âge. Cette proposition de loi vise à remédier à cette situation en intégrant pleinement les travailleurs expérimentés et les retraités dans ce dispositif qui a déjà prouvé son efficacité.

Le CPF est un outil essentiel pour favoriser l’accès à la formation tout au long de la vie professionnelle. Cependant, en excluant les travailleurs expérimentés et les retraités, on limite leur accès à des opportunités de développement professionnel et personnel. Ces individus possèdent une richesse d’expérience et de savoir‑faire qui peut être enrichie et actualisée grâce à la formation continue. En les excluant du CPF, on sous‑estime leur potentiel de contribution à l’économie et à la société dans son ensemble.

En intégrant pleinement les travailleurs expérimentés et les retraités dans le CPF, cette proposition de loi reconnaît la valeur de leur contribution continue au marché du travail et à la société. Elle leur offre également la possibilité de rester compétitifs dans un environnement professionnel en constante évolution, en leur permettant d’acquérir de nouvelles compétences et de se reconvertir si nécessaire. Cela contribue à préserver leur employabilité et à favoriser leur épanouissement professionnel tout au long de leur vie active.

La formation constitue ainsi un levier puissant pour soutenir les travailleurs expérimentés, qui possèdent un bagage d’expérience tout au long de leur parcours professionnel et qui mérite d’être enrichi et actualisé pour prendre en compte les évolutions de leurs métiers ou secteurs. De plus, la formation favorise le retour à l’emploi des travailleurs expérimentés, qui rencontrent d’importantes difficultés à retrouver un emploi après l’avoir perdu. En effet, ces travailleurs sont souvent surreprésentés parmi les chômeurs de longue et très longue durée. Par exemple, au deuxième trimestre 2018, les chômeurs de plus de 50 ans sont restés en moyenne 673 jours au chômage, contre 388 jours pour l’ensemble des demandeurs d’emploi.

Dans cet esprit, permettre aux travailleurs expérimentés de se former avant leur départ à la retraite peut avoir des effets bénéfiques pour ceux qui souhaitent continuer à acquérir de nouvelles compétences et à exercer une activité professionnelle dans le cadre du dispositif de cumul emploi‑retraite ou pour ceux envisageant de lancer une nouvelle activité en tant qu’indépendant. Plusieurs modèles peuvent être envisagés, et cette proposition de loi vise à dépasser l’idée selon laquelle la retraite est synonyme d’inactivité.

Dans un contexte où la France doit faire face à une dette croissante, il est nécessaire que notre pays stimule sa croissance en augmentant sa production. Pour cela, nous avons besoin de plus de travailleurs. Les travailleurs expérimentés constituent une richesse pour le pays, et il est temps de les apprécier à leur juste valeur, au‑delà des préjugés.

C’est tout l’esprit de cette proposition de loi.

L’article 1er déplafonne le compte personnel de formation (CPF) pour les salariés âgés de plus de 45 ans. Cette mesure est prise afin de favoriser l’accès à des formations longues et coûteuses qui pourraient dépasser le plafond actuel fixé à 5 000 euros. En levant cette restriction, l’objectif est d’encourager les salariés à envisager des formations ambitieuses de reconversion en seconde partie de carrière, en utilisant les droits accumulés tout au long de leur parcours professionnel. Actuellement, le plafond de 5 000 euros pour les travailleurs âgés représente une perte de droits, car une fois ce seuil atteint, ils ne peuvent plus acquérir de nouveaux droits à la formation professionnelle.

L’article 2 élargit l’accès au compte personnel de formation de transition aux demandeurs d’emploi âgés de plus de 45 ans. Actuellement réservé aux salariés, ce dispositif permettrait aux demandeurs d’emploi, en particulier ceux qui ont perdu leur emploi en raison de la pénibilité de leur métier sur leur santé ou de l’obsolescence de leurs qualifications, notamment avec l’avènement des nouvelles technologies, de bénéficier de formations adaptées à leurs besoins. Cette extension offre une alternative aux formations de faible envergure, souvent disponibles pour les demandeurs d’emploi expérimentés, qui ne leur permettent pas de se réorienter professionnellement de manière significative.

L’article 3 offre la possibilité de conserver les droits restants sur le compte personnel de formation après le départ à la retraite du salarié. Dans la plupart des cas, le CPF n’est pas entièrement utilisé avant la retraite. Les droits restants permettraient au salarié de se former à de nouvelles compétences afin de prolonger son employabilité. Ainsi, l’acquisition de nouvelles connaissances après la retraite offrirait une opportunité supplémentaire au retraité de poursuivre une activité professionnelle, notamment dans le cadre du dispositif de cumul emploi‑retraite, ce qui pourrait constituer un complément de revenu.

En complément de l’article 3, l’article 4 inclue dans la liste des actions éligibles au CPF la préparation à la retraite active dans l’emploi. Cette mesure vise à maintenir l’employabilité des travailleurs expérimentés en les aidant à anticiper et à mieux gérer leur transition vers la retraite.

L’article 5, relever le plafond de la durée maximale de la mission d’intérim de dix‑huit à trente‑six mois pour les travailleurs âgés de plus de 60 ans. Fixer une durée de contrat supérieure à dix‑huit mois pour les travailleurs seniors permettrait de garantir qu’ils puissent achever leurs missions avant d’atteindre l’âge légal de la retraite. Cette approche éviterait les situations préjudiciables où ces salariés se retrouvent sans emploi ni accès aux prestations de retraite. En prolongeant leur activité professionnelle cette mesure favoriserait la continuité de leur carrière tout en préservant leur stabilité financière jusqu’à l’ouverture des droits à la retraite.

Dans la continuité de l’article 5, l’article 6 abroge le délai de carence pour les contrats de mission conclus par un travailleur âgé́ de plus de 60 ans. Actuellement, lorsque le contrat de mission arrive à expiration, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée, ni à un contrat de mission, avant l’expiration d’un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat de mission incluant, le cas échéant, son ou ses renouvellements.

L’article 7 vise à compenser les charges induites pour l’État par la présente proposition de loi afin d’en garantir sa recevabilité́ financière.

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

L’avant‑dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 6323‑11 du code du travail, est complétée par les mots : « excepté pour les salariés de plus 45 ans ».

Article 2

À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 6323‑17‑1 du code du travail, après le mot : « salarié », sont insérés les mots : « ou demandeur d’emploi de plus de 45 ans ».

Article 3

Le quatrième alinéa de l’article L. 5151‑2 du code du travail est complété par une phrase ainsi rédigée : « Cependant le titulaire peut continuer à mobiliser les droits restant pour financer une formation. »

Article 4

Le II de l’article L. 6323‑6 du code du travail est complété par un 7° ainsi rédigé :

« 7° Les formations relatives à la préparation à la retraite active dans l’emploi. »

Article 5

Après l’article L. 1251‑12‑1 du code du travail, il est inséré un article L. 1251‑12‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 1251122. – Pour les travailleurs âgés de plus de 60 ans, le plafond de la durée maximale de la mission d’intérim est fixé à trente‑six mois. »

Article 6

L’article L. 1244‑3 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le délai de carence prévu au premier alinéa du présent article s’applique pas dans le cas des travailleur âgé de plus de 60 ans. »

Article 7

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1])  Insee, Économie et statistique, n° 355-356, 2002.

([2])  Assemblée nationale, Rapport d’information par la commission des affaires sociales en conclusion des travaux de la mission d’information sur l’emploi des travailleurs expérimentés, présenté par MM. Didier Martin et Stéphane Viry, n°444.