N° 2581

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mai 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à sécuriser l’établissement de la filiation pour les enfants nés par assistance médicale à la procréation au sein des couples de femmes,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Raphaël GÉRARD, Mme Eva SAS, Mme Stella DUPONT, M. David VALENCE, M. Jean-Marie FIÉVET, M. Philippe BERTA, M. Clément BEAUNE, M. Joël GIRAUD, Mme Karine LEBON, M. Benoît BORDAT, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Anne BRUGNERA, Mme Caroline ABADIE, Mme Ingrid DORDAIN, M. Léo WALTER, M. Erwan BALANANT, Mme Ségolène AMIOT, Mme Violette SPILLEBOUT, M. Guy BRICOUT, M. Didier PADEY, Mme Christine PIRES BEAUNE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi n° 2021‑1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a consacré l’ouverture d’un droit nouveau au profit des couples de femmes en élargissant les conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation, sans distinction fondée sur l’orientation sexuelle des demandeurs. 

Cette démarche répondait à une aspiration forte de la société civile visant à reconnaître la diversité des modèles familiaux dans notre pays et garantir l’égalité des droits des familles homoparentales, tout en veillant à assurer la sécurité juridique des enfants nés par assistance médicale à la procréation (AMP) au sein des couples de femmes. 

À cette fin, elle prévoit la création d’un nouveau mode d’établissement de la filiation pour les enfants nés du projet parental d’un couple de femmes ayant recours à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, en France ou à l’étranger : la reconnaissance conjointe anticipée (RCA). Cette reconnaissance permet d’établir la double filiation maternelle de l’enfant, en plaçant les deux mères, celle qui accouche et celle qui ne porte pas l’enfant sur un pied d’égalité au regard de leurs droits et de leurs devoirs parentaux. Elle doit être établie lors du recueil du consentement au don de gamètes réalisé devant un notaire, soit très en amont de la conception de l’enfant (article 342‑11 du code civil). En conséquence, elle s’applique exclusivement aux enfants issus d’une procédure d’AMP et conçu postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique.

Toutefois, le législateur a souhaité être attentif au principe d’égalité des droits civils de tous les enfants issus d’une AMP au sein d’un couple de femmes réalisée à l’étranger, sans distinguer selon qu’ils aient été conçus avant ou après cette date, en prévoyant un dispositif transitoire permettant d’établir la filiation des enfants conçus ou nés avant l’entrée en vigueur de la loi à l’égard de la femme qui n’a pas accouché. Le IV de l’article 6 de la loi dispose que les deux femmes peuvent ainsi souscrire une reconnaissance conjointe (RC) a posteriori devant un notaire. Après contrôle du procureur de la République, la mention de cette reconnaissance sur l’acte de naissance permet d’établir le second lien de filiation maternelle. Une telle mesure poursuivait également l’objectif de corriger la situation d’injustice que vivent de nombreuses mères n’ayant pas porté leur enfant qui, faute d’avoir pu recourir à une procédure d’adoption, se trouvaient privées de tout droit à l’égard de l’enfant issu du projet parental commun. 

Afin de tenir compte de la situation particulière des couples de femmes en conflit à la suite d’une séparation et faire valoir l’intérêt de l’enfant à voir sa double filiation maternelle établie, le législateur a également adopté lors de l’examen de la loi du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption un second dispositif transitoire. L’article 9 de la loi précitée prévoit que, pour les couples de femmes ayant eu recours à une assistance médicale à la procréation à l’étranger avant l’entrée en vigueur de la présente proposition de loi et dont la femme qui a accouché s’oppose à la reconnaissance conjointe de l’enfant devant le notaire, l’autre femme peut engager une procédure judiciaire pour adopter l’enfant.

À ce jour, plusieurs instances sont en cours. Dans l’attente de la première décision de la Cour de cassation à ce sujet, des incertitudes juridiques demeurent quant à l’application de ce dispositif. En effet, la loi soumet le prononcé de l’adoption forcée à la vérification par le juge que le refus de reconnaissance conjointe par la mère légale est contraire à l’intérêt de l’enfant et que la protection de l’enfant exige de prononcer l’adoption, ce qui donne lieu à des divergences d’interprétation des juridictions concernant les modalités de preuve du refus de la reconnaissance conjointe par la mère statutaire, de l’intérêt de l’enfant à voir sa filiation établie, ou encore, la nécessité d’un tel établissement pour sa protection.

Dans ce cadre, de nombreuses mères non statutaires n’ont pas encore introduit une requête en adoption, attendant d’apprécier leur chance d’obtenir l’établissement de la filiation dans un contexte souvent marqué par une rupture du lien affectif avec l’enfant. D’autres ignorent tout simplement l’existence du dispositif, faute de communication. 

Or, il ne sera plus possible pour les femmes concernées d’engager une telle procédure dès le 2 août prochain, date à laquelle les dispositions relatives à la mise en œuvre de la reconnaissance conjointe a posteriori deviendront caduques. En effet, s’il n’est plus possible de recourir à la RC et par conséquent, pour la femme qui n’a accouché de se voir opposer un refus, l’option de l’adoption sur le fondement de l’article 9 de loi du 21 février 2022 deviendra inapplicable. 

Eu égard au contexte d’incertitude juridique, ce délai apparaît trop court pour épuiser l’ensemble des demandes auxquelles les dispositifs visés entendaient apporter des réponses. Leur disparition programmée place la France sous la menace d’une condamnation de la Cour européenne des Droits de l’homme dans l’éventualité où une femme se verrait opposée, du fait de la fin des dispositifs transitoires, une irrecevabilité à sa demande d’adoption de l’enfant issu d’un projet parental commun avec son ex‑conjointe, partenaire ou concubine antérieur à la loi du 2 août 2021. Faute d’anticipation de ces difficultés par le législateur, aucune autre voie juridique ne pourra être empruntée par ces femmes pour faire valoir leurs droits parentaux.

En outre, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, les associations de défense des familles homoparentales à l’instar de l’association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), les Enfants Arc‑en‑ciel (EAC), ainsi que les centres de recherches, d’information et de documentation notariales (CRIDON) ont recensé un nombre négligeable de situations dans lesquelles les couples de femmes ayant recours à la AMP se retrouvent dans l’impossibilité d’établir une reconnaissance conjointe anticipée et ainsi sécuriser la filiation de l’enfant dès sa naissance. En effet, les dispositions législatives résultant de l’article 6 de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique exige que l’acte notarié nécessaire dans le cadre d’une procédure de reconnaissance conjointe anticipée soit réalisé avant même l’insémination ou le transfert d’embryon (article 342‑11 du code civil). Outre que cette exigence peut sembler contre‑intuitive (en comparaison du droit commun qui suppose que l’enfant soit au moins conçu pour être reconnu), ce nouveau mode d’établissement demeure aussi insuffisamment connu notamment lorsque l’AMP doit avoir lieu à l’étranger auprès d’une équipe qui ne connaît pas le cadre juridique français. 

Or, de nombreux couples de femmes continuent de se rendre à l’étranger compte tenu des délais d’attente pour obtenir un don de gamètes dans les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS) et des spécificités du modèle bioéthique français qui n’autorise pas, par exemple, la technique de réception d’ovocytes de la partenaire (ROPA) ou le dépistage pré implantatoire des aneuploïdies (DPI‑A). En définitive, ces couples se voient privés du bénéfice de la procédure simplifiée prévue par la loi de bioéthique et sont contraints d’emprunter la voie de l’adoption afin de faire établir le second lien de filiation maternelle. Cette option est, par nature, aléatoire et peu protectrice de l’intérêt de l’enfant dans la mesure où un aléa de la vie – un décès, une séparation – est susceptible de l’amputer d’une partie de ses droits à la filiation et à son histoire personnelle.

La présente proposition de loi entend remédier à ces situations en apportant de nouvelles garanties visant à sécuriser l’établissement de la filiation de tous les enfants nés par assistance médicale à la procréation au sein des couples de femmes, indépendamment de leur temporalité. 

À cette fin, il est proposé, d’une part, de prolonger les deux dispositifs transitoires prévus par la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique et la loi du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption afin de pouvoir examiner toutes les demandes formulées par les femmes ayant conçu un enfant par assistance médicale à la procréation avant la loi du 2 août 2021, sans toutefois fixer de date d’extinction, dans la mesure où il est actuellement impossible de savoir combien de familles sont susceptibles d’être concernées par le bénéfice de l’un ou l’autre des dispositifs qui sont interdépendants et qui demeurent très méconnus faute de publicité suffisante. Aussi, ces dispositifs transitoires s’éteindront à mesure que les demandes se tariront.

En revanche, elle entend préciser les conditions de l’application de l’article 9 de loi du 21 février 2022 afin de permettre une pleine effectivité de la mesure. Il est ainsi envisagé de rapprocher le régime de ce dispositif de celui de l’adoption, en exigeant la motivation spéciale du juge uniquement en cas de refus et en permettant d’introduire une nouvelle demande (après un refus). Compte tenu de la situation conflictuelle inhérente au dispositif, il est également envisagé de ne pas exiger le consentement à l’adoption de l’enfant, afin de ne pas exposer celui‑ci à un choix difficile qu’il pourrait regretter plus tard. Toutefois son avis pourra être recueilli dans le cadre de son audition. Dès lors, le juge pourra faire droit à la demande en adoption sur la base du projet parental commun : l’intérêt de l’enfant est d’être reconnu dans sa double filiation, à l’égard des deux femmes à l’origine de sa conception. Le prononcé de l’adoption ne préjuge pas par ailleurs de l’aménagement ultérieur de l’exercice de l’autorité parentale.

D’autre part, elle entend sécuriser l’établissement du double lien de filiation maternelle pour les enfants nés d’AMP après l’entrée en vigueur de la loi, lorsque la RCA n’a pas été faite préalablement à leur conception. Elle créé ainsi un second mode extrajudiciaire d’établissement de la filiation en permettant aux femmes concernées de recourir à une reconnaissance conjointe sur le modèle des dispositions prévues au IV de l’article 6 de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique. Dans cette même configuration, elle prévoit, par ailleurs, une possibilité d’établir judiciairement cette filiation en cas désaccord ou de conflit à la suite d’une séparation du couple, en saisissant le juge d’une action en recherche de maternité non gestationnelle fondée sur le projet parental commun. Cette action serait ouverte à la femme qui n’a pas accouché de l’enfant et à l’enfant pendant une durée de 10 ans à compter du jour où la personne a été privée de l’état qu’elle réclame. Ce délai serait suspendu pendant la minorité de l’enfant.

L’article 1er prolonge la possibilité de souscrire une reconnaissance conjointe lorsqu’un couple de femmes a eu recours à une assistance médicale à la procréation à l’étranger avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2021- 1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique. Cette possibilité conditionne l’applicabilité du dispositif prévu par l’article 9 de la loi du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption.

L’article 2 prolonge la possibilité de demander au juge de prononcer l’adoption de l’enfant issu d’une assistance médicale à la procréation lorsque la mère refuse de souscrire une reconnaissance conjointe et en précise les conditions d’application afin d’améliorer sa portée.

L’article 3 créé la possibilité pour les couples de femmes ayant eu recours à une AMP après l’entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021 de recourir à une reconnaissance conjointe lorsque la situation l’exige.

L’article 4 créé une action en établissement de la seconde filiation maternelle sur le fondement d’un projet parental commun réalisé par assistance médicale à la procréation après la promulgation de la loi du 2 août 2021 en cas de refus par la mère inscrite dans l’acte de naissance de l’enfant d’établir une reconnaissance conjointe. Cette action est ouverte à la femme et à l’enfant afin qu’ils puissent mettre en conformité leur statut juridique et leur histoire personnelle.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le dernier alinéa du IV de l’article 6 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique est supprimé.

Article 2

L’article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption est ainsi modifié :

1° À la première phrase, les mots : « pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi » sont supprimés ;

2° L’avant-dernière phrase est complétée par les mots : « lorsqu’il refuse de faire droit à la demande » ;

3° Sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées : « Le conflit entre les deux femmes et ses conséquences, y compris sur l’aptitude du mineur à consentir à son adoption, ne peuvent motiver le refus de faire droit à la demande. En cas de rejet de la requête, l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée à une demande ultérieure. »

Article 3

Lorsqu’un couple de femmes a eu recours à une assistance médicale à la procréation après la publication de la loi n° 2021-2018 du 2 août 2021 précitée sans avoir préalablement réalisé la reconnaissance conjointe prévue à l’article 342-11 du code civil, il peut réaliser une reconnaissance conjointe de l'enfant dont la filiation n'est établie qu'à l'égard de la femme qui a accouché. Cette reconnaissance établit la filiation à l'égard de l'autre femme.

La reconnaissance conjointe est inscrite en marge de l'acte de naissance de l'enfant sur instruction du procureur de la République, qui s'assure que les conditions prévues au premier alinéa sont réunies.

Article 4

À titre exceptionnel, lorsque, sans motif légitime, la mère inscrite dans l'acte de naissance de l'enfant refuse la reconnaissance conjointe mentionnée à l’article 3 de la présente loi, la femme qui n'a pas accouché peut demander l’établissement judiciaire de sa maternité, sous réserve de rapporter la preuve du projet parental commun et de l'assistance médicale à la procréation.

L’enfant peut également agir à cette fin.

Cette action se prescrit par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l’état qu’elle réclame. À l’égard de l’enfant, ce délai est suspendu pendant sa minorité.