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N° 2586

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mai 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à prendre des mesures d’urgence pour la santé mentale,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Chantal JOURDAN, M. Benoit MOURNET, M. Joël AVIRAGNET, M. Boris VALLAUD, M. Elie CALIFER, M. Arthur DELAPORTE, M. Jérôme GUEDJ, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Alain DAVID, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, M. Johnny HAJJAR, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Philippe NAILLET, M. Bertrand PETIT, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Valérie RABAULT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Mélanie THOMIN, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Roger VICOT, les membres du groupe Socialistes et apparentés [(1)], Mme Huguette TIEGNA, Mme Sandrine JOSSO, Mme Christine DECODTS, Mme Cécile RILHAC, M. Jean-Louis BRICOUT, Mme Delphine LINGEMANN, Mme Lysiane MÉTAYER, Mme Stella DUPONT, M. Yannick FAVENNEC-BÉCOT, Mme Marie POCHON, Mme Laurence MAILLART-MÉHAIGNERIE, M. Jean-Marc ZULESI, M. Olivier FALORNI, Mme Caroline JANVIER, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, M. Michel LAUZZANA, M. Benjamin SAINT-HUILE, Mme Nathalie BASSIRE, M. Guy BRICOUT, Mme Violette SPILLEBOUT, M. Paul MOLAC, M. Jean-Félix ACQUAVIVA, M. Jean-Carles GRELIER, Mme Karine LEBON, Mme Virginie DUBY-MULLER, M. Philippe FREI, Mme Virginie LANLO, Mme Maud PETIT, M. Christophe PLASSARD, M. David TAUPIAC, Mme Béatrice DESCAMPS, M. Jean-Claude RAUX, Mme Eva SAS, M. Pierre MOREL-À-L’HUISSIER, M. Stéphane MAZARS, M. Stéphane VIRY, M. Yannick NEUDER,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Le malêtre, les dépressions et les pensées suicidaires ont beaucoup progressé chez nos jeunes. Je veux faire de la santé mentale de notre jeunesse une grande cause de notre action gouvernementale au travers, là aussi, de mesures claires et immédiates.

Tout d’abord, il s’agit de réformer le dispositif MonSoutienPsy. Il faut être lucide : il partait d’une bonne intention, mais n’a pas donné les résultats escomptés, il faut avoir le courage de le reconnaître même si c’est nous qui l’avons instauré. Je vous annonce donc que le dispositif va être rénové de fond en comble : nous allons augmenter le tarif de la consultation remboursée pour limiter au maximum le reste à charge pour les jeunes patients et leurs familles, et pour lever tous les verrous, nous permettrons aussi aux jeunes d’avoir accès directement à un psychologue sans nécessairement passer par un médecin.

De plus, nous allons mailler le territoire de maisons départementales des adolescents. Il y en a cinquante aujourd’hui : je souhaite qu’il y en ait une par département. »

Gabriel Attal, Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale prononcée à l’Assemblée nationale, 30 janvier 2024.

Les députées et députés signataires de la présente proposition de loi ne peuvent que partager le constat fait par M. le Premier ministre : 12,5 millions de Français sont atteints de maladies mentales, 1 jeune adulte sur 2 présente des signes de dépression ([1]). 6 000 personnes meurent par suicide par an ce qui représente la première cause de décès des 15‑29 ans ([2]).

Quant aux pathologies psychiatriques, elles sont la première cause d’affection longue durée (ALD) devant les cancers et la première cause de dépenses de santé avec des coûts directs qui représentent 25 milliards d’euros en 2023, soit le premier poste de dépense de l’assurance maladie. Pour la société, le coût global est évalué à 163 milliards d’euros en 2018 contre 109 milliards d’euros dont 13 de coûts directs en 2007 ([3]).

L’état de santé mentale des jeunes est, lui, particulièrement inquiétant : selon les dernières données disponibles ([4]), 7 % des 18‑24 ans ont eu des pensées suicidaires en 2021 (soit un doublement en 7 ans), 1,1 % ont fait une tentative de suicide au cours de l’année écoulée, 9 % ont fait une tentative de suicide au cours de leur vie.

Par ailleurs, le nombre de passages annuels au moins une fois en court séjour à la suite d’une tentative de suicide ou d’actes d’automutilation a été multiplié par deux pour la classe d’âge des 10 à 14 ans et connaît une progression à deux chiffres dans d’autres classes d’âge (15‑20 ans par exemple) ([5]).

Enfin, on estime plus largement qu’entre deux et trois millions de jeunes Françaises et Français de moins de 19 ans souffrent de troubles de santé mentale ([6]).

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, une personne sur trois a été, est ou sera atteinte par une maladie mentale. Il s’agit de la première cause mondiale de handicap acquis selon l’Organisation mondiale de la santé, soit 20 ans de réduction d’espérance de vie, la première cause d’années de vie perdues et, selon l’OCDE, « coûte » plus de 4 % du produit intérieur brut. Les deux tiers de ces coûts sont attribués à la perte de productivité du travail.

Notre modèle de psychiatrie publique connaît par ailleurs une grave crise.

À ce jour, le modèle français de la psychiatrie publique est organisé en secteurs géo‑démographiques d’environ 70 000 habitants proposant une offre de soins intra et extrahospitaliers. Le critère d’orientation diagnostic et thérapeutique est fondé sur un critère géographique permettant un maillage territorial fin et une prise en charge de proximité pour des patients alternant des phases chroniques ou aigus. Cependant, l’accès tardif aux soins ne garantit pas une prévention satisfaisante ni une prise en charge spécialisée par pathologie.

De surcroît, la spécialité psychiatrique connaît une baisse d’attractivité. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), le nombre de médecins en psychiatrie n’a cessé de décroître et est passé de 14 272 à 13 344 entre 2016 et 2023. L’âge moyen des psychiatres libéraux et salariés était de 52 ans en janvier 2021 et 62 ans pour les pédopsychiatres.

En 2007, à la suite d’un appel à projet du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, un dispositif identifié comme un « Réseau Thématique de Recherche et de Soins » a été créé, coordonné par une fondation de coopération scientifique dédiée. Ce dispositif est composé de quatre réseaux spécifiques de Centre de recours dits « Centres experts », consacrés aux pathologies psychiatriques les plus sévères et les plus invalidantes comme la schizophrénie, les troubles bipolaires, la dépression résistante et les troubles du spectre autistique. Ce système spécialisé par pathologie est complémentaire de la psychiatrie de secteur, apportant une réponse graduée et spécifique pour la prise en charge des patients. Cette réponse est intégrée dans le parcours de soin du patient.

Ces centres experts en psychiatrie contribuent à une prise en charge globale et plurielle des troubles bipolaires, de la schizophrénie, du trouble du spectre autistique sans retard intellectuel et des dépressions résistantes.

Il en existe aujourd’hui 53. Ils proposent un service complétant l’offre de soins généraliste sectorisée et fournissent aux professionnels de santé adressant les patients, un avis expert et des recommandations adaptées à chaque patient. Ayant vocation à contribuer à l’amélioration du diagnostic, le diagnostic et la prise en charge des maladies psychiatriques les plus sévères, ils ont déjà permis l’évaluation de plus de 20 000 patients.

En outre, ces réseaux constituent une infrastructure de recherche clinique. Les différents projets de recherche ont contribué à permettre à la France d’atteindre la troisième place en matière de recherche sur les troubles bipolaires.

Cette approche, associant évaluation clinique spécifique et recommandations de prise en charge basées sur les données de la recherche clinique, a un intérêt sur l’évolution des patients : douze mois après une évaluation en centre expert une amélioration du pronostic et une réduction de 50 % des journées d’hospitalisation sont constatées.

Les centres experts sont aujourd’hui victime de leur succès. L’afflux des patients est en hausse. Le délai moyen pour obtenir un rendez‑vous de bilan peut aller jusqu’à deux ans. La demande de labellisation de nouveaux centres experts sur le territoire nationale est croissante. Ces centres sont aussi confrontés à des demandes d’extension à d’autres pathologies comme les conduites suicidaires, les troubles obsessionnels compulsifs, l’hyperactivité avec déficit d’attention ou les troubles du comportement alimentaire.

Cette offre de recours spécialisée n’est en aucun cas concurrente mais se doit d’être complémentaire, intégrée et articulée avec le maillage de secteur et tous les professionnels de proximité.

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Devant l’ensemble de ces défis posés à notre système de santé mentale, plusieurs mesures d’urgence sont à prendre en parallèle de celles annoncées par le Premier ministre : ouvrir davantage de postes en psychiatrie, revaloriser les professionnels de la santé mentale, en former et en recruter davantage, organiser une réponse à l’éco‑anxiété croissante chez les jeunes générations, etc.

Outre ces mesures qui ne nécessitent pas l’adoption de dispositions législatives, les députées et députés se mobilisent.

Ainsi, les députés socialistes et apparentés ont publié une note « Santé mentale : dix grandes mesures pour une grande cause nationale » parue à la Fondation Jean Jaurès ([7]).

Quant aux députés de la majorité, ils travaillent sur une proposition de résolution visant à faire de la santé mentale une grande cause nationale 2025.

Face à l’urgence à agir, notamment pour les plus jeunes d’entre nous, il est désormais nécessaire d’avancer de manière transpartisane entre députés de la majorité et députés de l’opposition.

La présente proposition de loi ne prétend pas régler tous les sujets mais d’avancer sur des briques de nature législative afin de renforcer l’accessibilité des soins de premiers recours et de compléter l’offre psychiatrique de secteur.

Telle est l’ambition de la présente proposition de loi, rédigée par des députés membres du groupe Renaissance et des députés socialistes et apparentés, cosignée par des députés de tout bord, hors Rassemblement national.

Son article premier supprime ainsi l’obligation pour les jeunes de passer par un médecin pour accéder aux séances chez le psychologue intégralement prises en charge par l’Assurance maladie (dispositif “Mon soutien psy”).

L’article 2 vise à intégrer un bilan psychique dans les examens médicaux obligatoires au cours de la scolarité et à créer un bilan psychique à l’entrée dans l’enseignement supérieur. Il reprend l’article 10 de la proposition de loi n° 745 portant un cadre pour la refondation de la politique dédiée à l’enfance en matière de santé mentale et de psychiatrie déposée par Mme. Huguette Tiegna et d’autres députées et députés de nombreux groupes politiques.

L’article 3 reconnaît dans la loi l’existence des maisons départementales des adolescents et fixe surtout le principe d’un meilleur maillage territorial de ces maisons, en garantissant qu’il y ait au moins une de ces maisons dans chaque département.

Enfin, l’article 4 vise à mieux reconnaître dans le code de la santé publique le rôle des centres expert en santé mentale existants à date sur le territoire national.

L’article 5 vise à gager les coûts de la présente proposition de loi.

 


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proposition de loi

Article 1er

Après le troisième alinéa du I de l’article L. 162‑58 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les assurés sociaux de moins de vingt‑six ans ne sont pas concernés par la condition d’adressage mentionnée à l’alinéa précédent. »

Article 2

Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° L’article L. 541‑1 est ainsi modifié :

a) À la troisième phrase du premier alinéa, après le mot : « qui », sont insérés les mots : « mettent notamment l’accent sur la santé mentale et » ;

b) Au cinquième alinéa, après le mot : « apprentissages », sont insérés les mots : « ainsi que des troubles mentaux. » ;

c) À l’avant‑dernier alinéa, après le mot : « périodiques », sont insérés les mots : « comprenant un bilan de santé somatique et psychique, »

2° L’article L. 831‑3 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Un bilan de santé somatique et psychique est effectué à leur entrée dans l’enseignement supérieur. »

Article 3

Après le chapitre V du titre II du livre III de la deuxième partie du code de la santé publique, il est inséré un chapitre V bis ainsi rédigé :

« Chapitre V bis

« Maisons des adolescents

« Art. L. 23258. – Les maisons des adolescents sont des établissements pluridisciplinaires dont l’objectif est d’apporter une réponse globale aux problématiques physique, psychique, relationnelle, sociale et éducative des adolescents, de leurs proches et des professionnels. Elles ont pour mission l’accueil individuel et collectif des adolescents et de leurs proches, le partage de ressources, et la coordination des acteurs.

« Art. L. 23259. – Il est institué, dans chaque département, une maison des adolescents. La personne physique ou morale qui gère une maison d’adolescent mentionnée à l’alinéa précédent conclut un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens avec le ou les présidents du conseil départemental et le directeur général de l’agence régionale de santé concernés, qui fixe son statut et son mode de gouvernance.

« Son financement est principalement assuré par l’agence régionale de santé et par le conseil départemental territorialement compétents.

« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article et notamment, les missions des maisons d’adolescents, les professionnels compétents pour y exercer et les acteurs pouvant contribuer à leur financement. »

Article 4

Le chapitre Ier du titre II du livre II de la troisième partie du code de la santé publique est complété par un article L. 3221‑7 ainsi rédigé :

« Art. L. 32217. – Les centres experts sont des centres de recours, spécialisés, articulés avec les professionnels de proximité, intégrés aux parcours de soins, destinés à améliorer la précision du diagnostic et l’établissement de recommandations thérapeutiques personnalisées.

« Les centres experts participent à la recherche et la collecte de données relatives aux maladies psychiatriques. Ils innovent et valorisent les progrès réalisés en la matière.

« Chaque agence régionale de santé recense sur son territoire un centre expert en santé mentale pour les troubles de l’humeur, les troubles psychotiques, les troubles du neurodéveloppement et les troubles du comportement alimentaire. Le choix de ces pathologies repose sur leur sévérité, les besoins des usagers et la demande des professionnels de la psychiatrie. 

« Les centres experts en santé mentale sont gérés par des structures hospitalières ou des organisations à but non lucratif.

« Ils sont coordonnés médicalement et scientifiquement par une structure financée de façon ad hoc pour optimiser le savoir scientifique et médical comme la qualité et la sécurité des prises en charge.

« Ils font l’objet d’analyses médico‑économiques régulières comme tous les programmes de prévention et d’une analyse de l’activité de chaque centre. »

Article 5

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1])  Source : Enquête de Santé publique France, décembre 2022.

([2]) Source : Santé publique France.

([3])  Charles Laidi, Laeticia Blampain‑Segar, Ophélia Godin, Anne de Danne, Marion Leboyer, Isabelle Durand‑Zaleski,The cost of mental health : Where do we stand in France ?, Organisation mondiale de la santé, 2023.

([4])  Source : Résultats de l’enquête Baromètre 2021, publié dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH).

([5])  Source : Données PMSI – PSY fournies par l’ATIH.

([6])  Source : Santé publique France.

([7]) https ://www.jean‑jaures.org/publication/sante‑mentale‑dix‑grandes‑mesures‑pour‑
une‑grande‑cause‑nationale/.


[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, M. Jérôme GUEDJ, M. Johnny HAJJAR, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Philippe NAILLET, M. Bertrand PETIT, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Valérie RABAULT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Mélanie THOMIN, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT.