N° 2594

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mai 2024.

PROPOSITION DE LOI

portant création d’un plafonnement du reste à charge des dépenses de santé en proportion des revenus,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-Carles GRELIER, M. Sacha HOULIÉ, Mme Lysiane MÉTAYER, Mme Béatrice PIRON, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, M. Paul MOLAC,

députés et députées.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 80 ans, nous le savons, tout a changé dans le domaine de la santé : la démographie, les maladies, les conditions d’exercice, les attentes des professionnels de santé, les connaissances, les méthodes de recherche, l’environnement, les droits des patients, la situation des aidants, la demande d’une réponse de proximité, etc… Et nous ne sommes qu’au début des bouleversements qu’apporteront la génomique, l’immuno‑psychiatrie sans même évoquer l’Intelligence Artificielle et la e‑santé.

Dans ces conditions, chacun comprendra que, pour préserver notre système de santé, il faille l’adapter en profondeur et plus seulement de manière cosmétique. Comment imaginer qu’il puisse encore répondre aux exigences posées par des réformes successives en 1958, 1967, 2009, 2016 et même 2019 ? Ne rien changer signerait la fin de ce qui est à la fois un droit individuel, auquel les Français montrent à longueur d’études leur attachement et une ressource collective stratégique.

Sans un changement aussi profond qu’urgent dans sa gestion, notre Assurance maladie disparaitra, dissolvant avec elle ses principes les plus précieux : l’universalité, la solidarité et l’équité qui sont, depuis 1945, sa marque et son identité.

Pour réussir ce changement radical, il faut avant tout porter haut une vision stratégique et politique pour notre système de santé. Ensuite, il faut en tirer les conséquences en termes d’organisation et de moyens.

Il faut aussi avoir le courage de regarder la situation des finances de la Sécurité sociale sans œillères mais avec discernement.

Un contexte économique plus que morose, des tensions internationales qui ne sont pas sans incidences sur notre économie et notamment sur notre niveau de croissance, enfin une situation budgétaire qui ne laisse désormais que d’étroites marges de manœuvre, ne peuvent nous laisser sans réaction.

Avec des recettes propres qui sont à peine égales à la moitié de ses dépenses, la branche maladie de la Sécurité sociale présente une très grande vulnérabilité et, pourquoi s’en cacher, est aujourd’hui sérieusement menacée dans son devenir et sa pérennité.

Dans son dernier état des lieux, le Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFIPS) ne rappelle‑t‑il pas utilement que : « Les déficits prévisionnels des régimes obligatoires de base entre 2024 et 2027 ne sont couverts par aucune reprise de dette à ce stade (…) les prévisions établies dans le cadre du PLFSS 2024 prévoient un déficit cumulé à horizon 2027 d’environ 70 Md€… » ?

Ce sont donc aujourd’hui les concours de l’État, via des transferts massifs de fiscalité, qui permettent au système de survivre car la croissance exponentielle des dépenses de santé, fruit du vieillissement de la population et de l’importance des maladies chroniques dans les dépenses de soins (63 %) faute de politiques de prévention et d’éducation à la santé, vont continuer d’aggraver une situation déjà très préoccupante.

Qu’adviendrait‑il si l’État, du fait de la croissance de ses propres charges sous l’effet de la poussée des intérêts de la dette, venait à ne plus être en capacité à soutenir la Sécurité sociale à même hauteur qu’aujourd’hui et, en son sein, la branche maladie ?

Cette question aurait mérité d’être anticipée mais il est trop tard pour le regretter. Des mesures fortes s’imposent à nous, ce qui n’exclut en rien la recherche et la réflexion sur des sources et modes alternatifs de financement de notre système de protection sociale.

Depuis quelques années, le Haut conseil sur l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) et la Cour des comptes ont produit des rapports qui démontrent que la prise en charge des dépenses de santé des Français entre l’assurance maladie obligatoire (AMO) et les assurances maladie complémentaires (AMC) tend à devenir de moins en moins redistributive, de moins en moins juste, conduisant un nombre, chaque année plus important, de nos compatriotes à renoncer aux soins faute de pouvoir assumer les coûts des restes à charge (RAC).

La Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DRESS), dans une étude publiée en Février 2022, a mis en évidence le caractère redistributif de l’AMO mais aussi le caractère anti‑redistributif des AMC. Il apparaît ainsi qu’en conjuguant AMO et AMC, le reste à charge (RAC) représente 2,8 % des revenus des Français les plus modestes et 0,6 % des revenus des Français les plus aisés.

La part des dépenses de santé, qui est payée directement par les ménages, est en France la plus faible de l’Union européenne et il faudrait l’augmenter encore pour réduire le déficit abyssal de l’Assurance maladie. Mais, dans cette hypothèse, le RAC des ménages les plus modestes serait excessif et pousserait nombre d’entre eux hors du soin.

Les dispositifs actuels visant à l’atténuer (ALD, tickets modérateurs, franchises, complémentaire santé solidaire (CSS), etc…) sont devenus trop complexes et aux effets notoirement insuffisants.

Les articles 1 et 2, de la présente proposition de loi, instituent et mettent en œuvre le plafonnement du reste à charge des dépenses de santé des ménages (PRAC) en fonction des revenus.

Ses principes de construction sont les suivants :

– Les tickets modérateurs, forfaits et franchises actuels sont remplacés par un ticket modérateur à taux unique en médecine de ville et une franchise journalière à l’hôpital.

– Les dispositifs destinés à en atténuer l’impact social (ALD, panier « 100 % santé », etc…) sont supprimés et remplacés par le PRAC laissé par l’AMO sur une année qui ne peut être supérieur à un pourcentage du revenu annuel de l’assuré, fixé chaque année par le Parlement dans la loi de financement de la sécurité sociale.

– Si le PRAC vient à être dépassé en cours d’année, les dépenses de santé ultérieures seront remboursées à 100 % jusqu’au 31 Décembre de l’année en cours.

– Le revenu de chaque assuré social sera transmis par les services fiscaux aux caisses d’assurance maladie, à l’instar du dispositif existant pour les allocations familiales.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article L. 160‑14 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;

2° Sont ajoutés des II à VI ainsi rédigés :

« II. – Les tickets modérateurs, franchises et forfaits existants sont remplacés par un ticket modérateur à taux unique en médecine de ville et une franchise journalière à l’hôpital.

« III. – Les dispositifs destinés à atténuer l’impact social du reste à charge et notamment le dispositif des affections de longue durée et celui du « 100 % santé » sont également supprimés.

« IV. – Il est institué un dispositif de plafonnement du reste à charge.

« V. – Le plafonnement du reste à charge correspond au reste à charge laissé à un assuré social par l’assurance maladie obligatoire qui ne peut être supérieur à un pourcentage du revenu annuel du foyer fiscal de l’assuré, voté chaque année par le Parlement dans la loi de financement de la sécurité sociale.

« VI. – Lorsqu’en cours d’année ce pourcentage vient à être dépassé, les dépenses de santé ultérieures sont remboursées, sans avance de frais pour l’assuré, à 100 % du tarif de la sécurité sociale jusqu’au 31 décembre. »

Article 2

La section 4 du chapitre préliminaire du titre VI du Livre I du code de la sécurité sociale est complété par un article L. 160‑19 ainsi rédié :

« Art. L. 160‑19. – I. – Les informations nécessaires à la détermination du plafond prévu au V de l’article L. 160‑14 peuvent être obtenues par les organismes d’assurance maladie selon les modalités de l’article L. 114‑14.

« II. – La fraude, la fausse déclaration, l’inexactitude ou le caractère incomplet des informations recueillies en application de l’alinéa précédent exposent l’assuré aux sanctions et pénalités prévues à l’article L. 114‑17. Il perd également le bénéfice des dispositions de l’article L. 160‑14.

« III. – Lorsque ces informations ne peuvent pas être obtenues dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article, les assurés les communiquent aux organismes d’assurance maladie.

« IV. – Ces organismes contrôlent les déclarations des assurés, notamment en ce qui concerne leur situation de famille, les enfants, les personnes à charge, leurs ressources. Pour l’exercice de leur contrôle, les organismes d’assurance maladie peuvent demander toutes les informations nécessaires aux administrations publiques qui sont tenues de les leur communiquer.

« V. – Les informations demandées aux assurés, aux administrations et aux organismes susmentionnés sont limitées aux données strictement nécessaires à la détermination du plafond prévu au V de l’article L. 160‑14.

« VI. – Les personnels des organismes d’assurance maladie sont tenus au secret quant aux informations qui leur sont communiquées. ».

Article 3

La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.