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N° 412
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 octobre 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à instaurer une rémunération maximale dans les entreprises,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Matthias TAVEL, M. Hadrien CLOUET, Mme Aurélie TROUVÉ, Mme Marianne MAXIMI, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Damien MAUDET, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Paul VANNIER,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Année après année, les écarts de rémunération dans les grandes entreprises entre le président directeur général (PDG) et les salariés se creusent. Qu’est‑ce qui peut justifier qu’un PDG gagne plus de 500 fois le salaire moyen de son entreprise ? Rien. C’est pourtant la situation cette année encore au sein de la société Stellantis, où le directeur exécutif Carlos Tavares gagne 518 fois le salaire moyen. Ce n’est pas la crise pour tout le monde : M. Tavares a vu sa rémunération augmenter de 56 % en 2023 pour s’établir à 36,5 millions d’euros par an. Et c’est sans compter les dividendes qui découlent de ses actions (presque 2 millions d’euros).
Les écarts de rémunération dans les grandes entreprises n’ont cessé de s’accélérer : au sein du CAC 40, l’écart de rémunération entre celle du dirigeant et le salaire moyen de la même entreprise a augmenté de 75 % en 10 ans selon l’ONG Oxfam.
Toujours selon les chiffres d’Oxfam ([1]), en 10 ans, la part dédiée à la rémunération du travail dans la richesse produite par les entreprises du CAC 40 s’est effondrée de 10 points, passant de 58 % à 48 %. Ce déplacement se traduit par plus de 48 milliards d’euros qui ont été alloués au capital plutôt qu’au travail, et qui correspondent à un manque à gagner de 10 472 euros en moyenne par salarié·e. Durant la même période, la rémunération des PDG du CAC 40, fortement indexée sur celle du capital, a augmenté de 90 %. Elle représente désormais 423 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance en moyenne.
En bas de l’échelle, les salarié·es voient leur pouvoir d’achat reculer sous le coup de l’inflation. 82 % des Français·es se déclaraient incapables d’épargner à la fin du mois, tandis que 79 % déclaraient devoir « se serrer la ceinture » selon une étude Elabe de 2023. Le travail ne protège plus de la pauvreté puisque le pays compte 1,2 million de travailleur·ses pauvres.
L’heure est à un autre partage des richesses produites au profit des seuls producteurs et productrices de ces richesses que sont les salarié·es, et ainsi attaquer les inégalités à la source.
Car l’échelle des revenus dans la société est un choix politique d’équité et de justice. La démesure dans les écarts de rémunérations brise le contrat social, selon lequel chacun·e doit bénéficier des possibilités égales et d’une reconnaissance équitable de sa contribution à la société. Elle dégrade la cohésion sociale et exacerbe les tensions, à rebours des principes d’unité et de solidarité qui devraient orienter l’ensemble de l’action publique. Les inégalités de rémunération fragilisent l’adhésion au pacte démocratique, miné par la fragmentation sociale, la confiscation du pouvoir économique et politique par une minorité, la perte de confiance et le désengagement civique.
La répartition inégale des richesses nuit enfin au développement économique : elle contracte la demande de biens et de services et freine la productivité. Quand nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui manquent de tout, une poignée de favorisé·es se constitue une épargne inemployée, des situations d’accaparement et de rente, et contribue au gaspillage des ressources.
Polarisation sociale, affaissement démocratique, non‑sens économique : les raisons qui devraient pousser à encadrer les inégalités de rémunérations sont nombreuses. L’inaction reste pourtant la règle, au‑delà des constats éplorés. « Ce sont les actionnaires qui décident (…) ce n’est pas l’État qui peut le faire » tentait de justifier Emmanuel Macron l’année dernière auprès d’un citoyen qui l’interpellait sur ce sujet, après lui avoir pourtant assuré que « ça choque tout le monde, moi aussi ça me choque ». Pourtant, aucune disposition légale n’empêche explicitement l’introduction de règles encadrant la fixation des rémunérations ; le droit établit même un certain nombre de principes qui pourraient le justifier.
C’est pourquoi cette proposition de loi vise un meilleur partage des richesses en agissant directement sur la formation et le versement des rémunérations. Elle prévoit ainsi les mécanismes permettant de réduire et d’encadrer les inégalités de salaires par l’instauration d’une rémunération maximale dans les entreprises, relativement au salaire moyen de cette même entreprise et par une incitation à réduire les écarts de rémunérations avec la rémunération maximale.
Pour ce faire, l’article 1er encadre les très hautes rémunérations dans les entreprises privées. Il permet que l’écart maximal entre le salaire le plus bas et la rémunération la plus haute dans une même entreprise ne puisse dépasser un facteur 20. Il s’inspire ainsi des normes proposées par la Confédération européenne des syndicats. Grâce à ce mécanisme, une entreprise qui souhaiterait augmenter ses plus hautes rémunérations devra également augmenter ses plus basses rémunérations en proportion, pour que cet écart maximum soit respecté – contribuant ainsi à la hausse de l’ensemble des rémunérations. L’ensemble des rémunérations fixes, variables ou exceptionnelles sera pris en compte pour le calcul de ces rémunérations.
En complément, l’article 2 propose un mécanisme désincitatif afin que les entreprises réduisent les écarts excessifs de revenus en leur sein. Au sein d’une entreprise, les rémunérations supérieures à 12 fois la plus basse rémunération, et les cotisations qui y sont associées, ne sont plus déductibles du calcul de l’impôt sur les sociétés. L’entreprise aura ainsi un intérêt financier à augmenter ses rémunérations les plus faibles, ou à maîtriser ses rémunérations les plus élevées pour accroître le plafond de déductibilité. En effet, le coût de ces rémunérations excessives n’a pas à peser indirectement sur la collectivité. Enfin, une évaluation dans les trois années suivant l’adoption de cette loi permettra, le cas échéant, de moduler l’écart de rémunération établi comme seuil, afin que cette mesure contribue efficacement à la réduction des inégalités.
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proposition de loi
Article 1er
I. – Au début du titre III du livre II de la troisième partie du code du travail, il est inséré un chapitre préliminaire ainsi rédigé :
« Chapitre préliminaire
« Encadrement des écarts de rémunération au sein d’une même entreprise
« Art. L. 3230‑1. – Les dispositions du présent chapitre sont applicables aux salariés ou mandataires sociaux, qu’ils soient ou non régis par le présent code, des sociétés, groupements ou personnes morales, quel que soit leur statut juridique, et des établissements publics à caractère industriel et commercial.
« Art. L. 3230‑2. – Le montant annuel du salaire maximal ou de la rémunération maximale appliqué dans une entreprise mentionnée à l’article L. 3230‑1, calculé en intégrant tous les éléments fixes, variables ou exceptionnels de toute nature qui la composent, ne peut être supérieur à vingt fois le montant annuel du salaire le plus faible versé dans la même entreprise.
« Art. L. 3230‑3. – Toute convention ou décision ayant pour effet de porter le salaire au sein d’une entreprise à un montant ne respectant pas les dispositions de l’article L. 3230‑2 est nulle de plein droit.
« Art. L. 3230‑4. – Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’information et de consultation du personnel sur les écarts de rémunération pratiqués dans les entreprises mentionnées à l’article L. 3230‑1, dans le cadre de la consultation sur la politique sociale prévue à l’article L. 2323‑15. »
II. – Les dispositions du I du présent article s’appliquent, à compter de l’entrée en application de la présente loi, à tout contrat conclu ou renouvelé et toute décision prise ou renouvelée, déterminant les modalités du salaire ou de la rémunération d’un salarié ou d’un mandataire social.
Article 2
I. – Après le 1 de l’article 39 du code général des impôts, il est inséré un 1 bis ainsi rédigé :
« 1 bis. – Au sein de chaque entreprise, il est déterminé un plafond de rémunération correspondant à douze fois le montant annuel du salaire le plus faible versé dans la même entreprise. Pour chaque salarié et associé, la fraction de rémunération supérieure à ce plafond n’est pas prise en compte pour le calcul des dépenses de personnel déductibles en application du 1° du 1. Il en va de même des charges sociales afférentes à cette fraction de rémunération supérieure au plafond précité. La rémunération s’entend comme l’ensemble des rémunérations directes et indirectes du salarié ou associé.
« Un décret fixe les modalités d’application du présent 1 bis. »
II. – Au plus tard trois ans après la promulgation de cette loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l’impact de l’application du présent I sur le produit de l’impôt sur les sociétés et sur les entreprises.
([1]) Inégalités salariales : aux grandes entreprises les gros écarts, Oxfam, Basic, 2023