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N° 419 rectifié
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 octobre 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant au blocage des prix de l’énergie dans l’hexagone et les outre-mer,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Alma DUFOUR, M. Jean-Hugues RATENON, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Douze millions de personnes souffrent de précarité énergétique en France. Et la situation va en s’aggravant. La part des Français ayant eu froid dans l’année explose : elle est passée de 14 % en 2020 à 26 % en 2023 selon le médiateur national de l’énergie. Et 55 % déclarent avoir souffert d’un excès de chaleur en été.
Les difficultés à payer les factures d’énergie continuent d’augmenter. En 2023, l’augmentation du nombre d’interventions pour impayés se poursuit : 1 000 908 ménages ont subi une intervention d’un fournisseur d’énergie en 2023 à la suite d’impayés, soit + 3 % par rapport à 2022, et + 49 % par rapport à la situation avant covid en 2019. 79 % des foyers ont réduit le chauffage chez eux pour limiter la facture - c’est 10 points de plus qu’en 2022.
D’après le baromètre 2024 de la pauvreté et de la précarité IPSOS/Secours Populaire, près d’une personne sur deux peine à payer ses factures d’énergie : 47 %, un nouveau record, au terme d’une hausse de 2 points depuis 2023. Les factures sont si lourdes que 43 % des personnes interrogées ne chauffent pas leur logement lorsqu’il fait froid, « parfois ou régulièrement ».
Les résultats du baromètre 2024 des mobilités du quotidien Wimoov mettent aussi en évidence une progression inquiétante de la précarité voire une émergence de la grande précarité dans les mobilités du quotidien, en lien avec le niveau de la facture énergétique.
Les prix des carburants impactent le pouvoir d’achat des ménages à bas revenus, dépendants de la voiture individuelle. Ne disposant pas de solutions alternatives, ils doivent alors soit rogner sur d’autres postes essentiels de la vie quotidienne (alimentation, énergie, chauffage…), soit renoncer à se déplacer.
D’après cette enquête, 15 millions de Français de plus de 18 ans sont en situation de précarité de mobilité. Ils étaient 13,3 millions dans le baromètre de 2021.
Ainsi, désormais, près d’un Français sur trois n’a pas la liberté de choisir la façon de se déplacer : « des personnes cumulant bas revenus, dépenses élevées en carburant, longues distances à parcourir et/ou absence d’alternative à la voiture, auxquelles s’ajoutent les personnes qui ne disposent d’aucun moyen de mobilité. »
Les Outre‑mer sont confrontées à des difficultés spécifiques, avec un coût de la vie dans les territoires ultramarins en moyenne de 19 % à 38 % plus élevé que dans l’Hexagone selon l’Autorité de la concurrence. Un écart insupportable à l’origine de nombreuses manifestations, dont les plus récentes ont débuté le 1ᵉʳ septembre 2024, à la Martinique. Les prix de l’énergie sont également en cause dans ces inégalités et ces tensions : à Mayotte par exemple, la hausse des prix de l’énergie a accéléré en août (+ 8,5 %), après une augmentation de 7,9 % en juillet sur un an. Les prix de l’électricité sont en hausse de 19,9 % sur un an. En Guadeloupe, la progression des prix de l’énergie est de 8 % sur un an.
Les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l’énergie pratiquées par le Gouvernement n’ont manifestement pas permis d’endiguer la précarité énergétique et la précarité de mobilité. En outre, elles ont été particulièrement coûteuses, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes de mars 2024 : « Selon les chiffrages disponibles à date, le coût pour l’État des diverses mesures [exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l’énergie] adoptées depuis l’automne 2021, y compris celles prévues par la loi de finances pour 2024, représenterait un total de près de 72 milliards d’euros au titre des années 2021 à 2024, concentré sur 2022 (24,1 milliards d’euros) et 2023 (37,6 milliards d’euros). »
En mettant à contribution le budget de l’État plutôt que les marges des énergéticiens, les politiques publiques menées par le Gouvernement ont contribué au déficit historique que nous connaissons cette année. Dans le même temps, les profits et les dividendes des énergéticiens se portent bien. Le taux de marge de la branche « énergie, eaux et déchets », qui inclut les producteurs et fournisseurs d’énergie, a ainsi progressé fortement ces dernières années (+ 9 points entre 2019 et 2023 selon l’INSEE). TotalEnergies a notamment réalisé le plus gros bénéfice net de son histoire en 2023, avec un résultat net de 21,4 milliards de dollars, et a proposé un dividende en hausse de 7,1 % par rapport à 2022.
C’est pourquoi cette proposition de loi vise à bloquer les prix de l’énergie en mettant à contribution les marges des énergéticiens plutôt que les finances publiques.
Elle intervient en réaction à l’inaction du Gouvernement car celui‑ci a déjà la possibilité de bloquer les prix de l’énergie. En effet, l’article L410‑2 du code de commerce prévoit déjà que “Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l’ordonnance n° 45‑1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d’État peut réglementer les prix après consultation de l’Autorité de la concurrence. Les dispositions des deux premiers alinéas ne font pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête, par décret en Conseil d’État, contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé. Le décret est pris après consultation du Conseil national de la consommation. Il précise sa durée de validité qui ne peut excéder six mois.” Le Gouvernement a d’ailleurs eu recours à cet article lorsqu’il a décidé, par exemple, d’encadrer le prix des masques et du gel hydroalcoolique en pleine crise sanitaire, en 2020 et 2021.
L’article 1er vise à faire face de façon immédiate à la situation d’urgence sociale qui prévaut dans l’Hexagone et dans les Outre‑mer. Il prévoit que pour une période de 12 mois à compter de la promulgation de la présente loi, les prix des produits énergétiques sont bloqués à un niveau fixé par décret en Conseil d’État. Dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités d’outre‑mer de Saint‑Martin, de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et de Wallis‑et‑Futuna, il est prévu qu’un tarif spécifique tenant compte des caractéristiques de ces territoires s’applique. Un décret précise la liste des produits énergétiques concernés.
L’article 2 prévoit d’encadrer et de modérer de façon plus pérenne les prix de l’électricité et du gaz, d’une part en révisant le mode de calcul des tarifs réglementés de vente d’électricité afin qu’ils soient établis de manière à refléter les coûts de production du système électrique français, et non pas les prix de marché. Et d’autre part, en rétablissant les tarifs réglementés de vente de gaz.
L’article 3 prévoit un mécanisme visant à encadrer les marges brutes de raffinage, afin de modérer les prix des carburants. Le dispositif de cet article reprend l’amendement proposé par M. Manuel Bompard adopté par l’Assemblée nationale le 30 novembre 2023.
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proposition de loi
Article 1er
Pour une durée de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, les prix des produits énergétiques sont bloqués à un niveau fixé par décret en Conseil d’État.
Pour une durée de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi et par dérogation au premier alinéa, dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités d’outre‑mer de Saint‑Martin, de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et de Wallis‑et‑Futuna, les prix des produits énergétiques sont bloqués à un niveau spécifique fixé par décret en Conseil d’État, tenant compte des caractéristiques de celles‑ci.
Un décret fixe la liste des produits énergétiques mentionnés aux deux premiers alinéas.
Article 2
Le code de l’énergie est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l’article L. 337‑6 est ainsi rédigé :
« Les tarifs réglementés de vente d’électricité sont établis de manière à refléter l’ensemble des coûts du système électrique français : coûts de production du parc français, coûts d’imports net, coûts d’acheminement et coûts de commercialisation de l’électricité, en intégrant une rémunération normale de ces activités ne pouvant excéder 10 % de marge nette. » ;
2° L’article L. 337‑7 est ainsi modifié :
a) Le I est ainsi modifié :
– à la fin du 2°, les mots : « qui emploient moins de dix personnes et dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n’excèdent pas 2 millions d’euros » sont supprimés ;
– sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :
« 3° Aux collectivités territoriales, à leurs groupements et à leurs établissements publics ;
« 4° Aux organismes d’habitations à loyer modéré mentionnés à l’article L. 411‑2 du code de la construction et de l’habitation.
« Par dérogation au B du VIII de l’article 181 de la loi n° 2022‑1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 et à l’article 225 de la loi de finances n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, les pertes de recettes collectées par les fournisseurs d’électricité ne sont pas compensées par l’État. » ;
b) Les II et III sont abrogés ;
3° Le chapitre V du titre IV du livre IV est ainsi rétabli :
« CHAPITRE V
« Les tarifs réglementés de vente de gaz
« Art. 445‑1. – Les décisions sur les tarifs réglementés de vente, hors taxes, du gaz naturel pour les fournisseurs sont prises conjointement par les ministres chargés de l’économie et de l’énergie.
« Les tarifs réglementés de vente du gaz naturel et renouvelables sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques des fournitures et des coûts liés à ces fournitures. Ils couvrent l’ensemble de ces coûts à l’exclusion de toute subvention en faveur des clients qui ont exercé leur droit prévu à l’article L. 441‑1. Ils sont harmonisés dans les zones de desserte respectives des différents gestionnaires de réseaux de distribution.
« Les tarifs réglementés de vente du gaz mentionnés au deuxième alinéa bénéficient, à leur demande :
« 1° Aux consommateurs finals domestiques, y compris les propriétaires uniques et les syndicats de copropriétaires d’un immeuble unique à usage d’habitation ;
« 2° Aux consommateurs finals non domestiques ;
« 3° Aux collectivités territoriales, à leurs groupements et à leurs établissements publics.
« 4 Aux organismes d’habitations à loyer modéré mentionnés à l’article L. 411‑2 du code de la construction et de l’habitation
« Le deuxième alinéa de l’article L. 410‑2 du code de commerce s’applique aux tarifs réglementés de vente du gaz mentionnés au premier alinéa du présent article. »
Article 3
Après l’article L. 410‑2 du code de commerce, il est inséré un article L. 410‑2‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 410‑2‑1. – Dès lors qu’il est constaté que, sur une période de quatre mois consécutifs, le montant de la marge brute de raffinage réalisée par les entreprises du secteur de l’énergie au titre de leur activité de cokéfaction et de raffinage augmente davantage que le cours du baril de brent, le pouvoir réglementaire fixe sans délai, et pour une durée déterminée qui ne peut être supérieure à un an, un coefficient multiplicateur maximum, qui ne peut être supérieur à la moyenne des taux de marge brute des dix dernières années, entre le prix d’achat de la tonne de pétrole brut et le prix de vente au distributeur de la tonne de carburant qui en est issue.
« II – À titre exceptionnel, à partir du 1er janvier 2025 et pour une durée d’un an, le pouvoir réglementaire fixe, pour les activités de cokéfaction et de raffinage, un coefficient multiplicateur qui ne peut être supérieur à la moyenne des taux de marge brute des dix dernières années, entre le prix d’achat de la tonne de pétrole brut et le prix de vente au distributeur de la tonne de carburant qui en est issue.
« III. – Le ministère chargé de l’environnement établit chaque mois sur son site internet une note, en accès libre, dans un format ouvert et facilement exploitable, qui détaille la composition du prix du litre de carburant en faisant notamment apparaître le prix d’achat de la matière première, le montant de la marge brute de raffinage, le montant de la taxe sur la valeur ajoutée, le montant de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques et la marge brute moyenne des distributeurs constatés. »