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N° 577
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à abroger le délit d’apologie du terrorisme du code pénal,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Ugo BERNALICIS, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Quelle démocratie peut encore conserver son nom, lorsque les méthodes de l’antiterrorisme sont utilisées pour réprimer des militants politiques, des militants associatifs, des journalistes ou encore des syndicalistes ? Sous l’expression d’« apologie du terrorisme », des responsables syndicaux ont été inquiétés, poursuivis, condamnés à des peines allant jusqu’à l’emprisonnement.
La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) de manière constante considère que la liberté d’expression n’est pas faite seulement pour les idées et les informations qui sont inoffensives ou accueillies avec ferveur, mais aussi pour les idées et informations qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. La tolérance, l’ouverture de la société, le pluralisme est l’élément nécessaire à toute société démocratique.
Cependant, les moyens de la lutte antiterroriste en France ont régulièrement été détournés de leur objet par les Gouvernements en place pour réprimer la liberté d’expression. Ainsi, dans la période récente sur d’autres fondement juridique la journaliste d’investigation Mme Ariane Lavrilleux ([1]), ou encore les manifestants lors des mobilisations appelées « casserolades » ([2]) ont été l’objet de mesures privatives de libertés au titre des moyens de la lutte antiterroriste.
Mais avec la création de deux délits spécifiques, à savoir la provocation à la commission d’actes terroristes et l’apologie du terrorisme, par la loi du 13 novembre 2014 relative à la lutte contre le terrorisme, l’instrumentalisation de la lutte antiterroriste s’est accentuée particulièrement contre la liberté d’expression. En effet, les propos incriminés, qui étaient auparavant traités dans le cadre de la loi du 29 juillet 1881 ([3]), relèvent désormais de l’article 421‑2‑5 dans le code pénal, dispositif important de la législation relative aux infractions à caractère terroriste. Cette évolution législative a pour conséquence directe de permettre le recours aux règles de droit commun de la procédure pénale et non à celles qui sont, dans notre République, spécifiques à la répression des abus de la liberté d’expression.
La Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, Mme Fionnuala Ní Aoláin déclarait dans son rapport publié en mars 2019 ([4]) que « l’incrimination du délit d’“apologie du terrorisme” est lourde de conséquences sur le droit à la liberté d’expression. En chiffres absolus, ce délit constitue l’infraction pénale la plus fréquemment réprimée en France dans le cadre du dispositif de lutte contre le terrorisme. L’assimilation du délit d’apologie à un « jugement moral favorable » est particulièrement préoccupante. […] La loi est rédigée en termes généraux, ce qui entraîne une grande insécurité juridique et un risque d’abus du pouvoir discrétionnaire, et porte atteinte à la protection de la liberté d’expression et à la liberté d’échanger des idées dans un système démocratique solide ».
Ainsi au nom de l’« apologie du terrorisme », les moyens de police, de justice sont détournés pour en faire le lieu de règlement de débats politiques. En son nom, des manifestations, des conférences, des expressions publiques ont été interdites, empêchées, étouffées. Si cette situation n’est malheureusement pas nouvelle, singulièrement, c’est la liberté d’expression qui fait l’objet d’un véritable activisme de surveillance par les autorités de l’État et les victimes de ce détournement sont nombreuses.
Depuis les crimes de guerre et massacres perpétrés le 7 octobre 2023 par le Hamas en Israël, l’instrumentalisation de cette notion d’« apologie du terrorisme » s’est perfectionnée par une circulaire du 10 octobre 2024 du garde des sceaux, ministre de la justice M. Éric Dupond‑Moretti. Cette circulaire adressée aux magistrats du parquet, indique que les crimes du 7 octobre étaient de nature à « engendrer une recrudescence d’infractions à caractère antisémite, qu’il s’agisse d’atteintes à l’intégrité physique de personnes issues de la communauté juive (…) ou encore de propos susceptibles de revêtir les qualifications d’apologie de terrorisme ou de provocation directe à des actes de terrorisme prévues par l’article 421‑2‑5 du code pénal ».
Le ministre de la justice français décide que « la tenue publique de propos vantant les attaques précitées, en les présentant comme une légitime résistance à Israël, ou la diffusion publique de message incitant à porter un jugement favorable sur le Hamas ou le Djihad islamique, en raison des attaques qu’ils ont organisées, devront ainsi faire l’objet de poursuites du chef précité ». Cette circulaire inique du Garde des sceaux est dénoncée par de nombreuses voix et en particulier le président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) qui dans un courrier adressé au ministre de la justice le 3 avril 2024, considère que « cette circulaire [a] pu engendrer une confusion entre l’approbation, l’éloge d’un crime et/ou des criminels, et des prises de position relatives au contexte dans lequel ils ont été commis. Ces derniers s’inscrivent dans un débat d’idée et devraient par conséquent pouvoir bénéficier de la liberté d’expression ».
Depuis, est constaté une recrudescence de personnes mises en cause par la justice pour des faits d’apologie du terrorisme. Le nombre de procédures ouvertes pour ce délit en France explose depuis le 7 octobre 2023. Au 30 janvier 2024, le journal Le Monde ([5]) rapporte que 626 sont en cours dont 278 à la suite de saisines du pôle national de lutte contre la haine en ligne. S’il est justifié qu’au regard des nombreux propos tenus par des personnes glorifiant les crimes et massacres commis ou incitant à en commettre d’autres aient donné lieu à des condamnations, et pour lequel des incriminations précises existent ([6]) punies jusqu’à 5 ans de prison et de 45 000 euros d’amende, un certain nombre de procédures déclenchées sont extrêmement inquiétantes et révèlent une attaque sans précédent contre la liberté d’expression dans notre pays.
C’est par exemple la procédure contre M. Jean‑Paul Delescaut, secrétaire général de l’Union départementale de la CGT du Nord, qui a été poursuivi est condamné le 18 avril 2024 à un an de prison avec sursis pour apologie du terrorisme suite à des propos tenus dans un tract de soutien à la Palestine, après un signalement du préfet du Nord dès le 12 octobre et de l’association Jeunesse française juive le 19 janvier dernier auprès du parquet national antiterroriste (PNAT) pour apologie du terrorisme.
Également récemment, et toujours suite à un signalement de l’association Jeunesse française juive le 19 janvier dernier auprès du parquet national antiterroriste pour apologie du terrorisme, ce sont la candidate de La France insoumise (LFI) aux élections européennes Mme Rima Hassan et la présidente du groupe LFI‑Nupes à l’Assemblée nationale, Mme Mathilde Panot, qui ont fait l’objet de procédure judiciaire à leur encontre fin avril 2024 dans le cadre d’enquêtes pour « apologie du terrorisme » pour des propos en lien direct avec leur expression publique. Le 3 mai 2024, M. Henri Leclerc, avocat et président honoraire de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), a dénoncé sur France inter une « manœuvre policière » dans la convocation de Mmes Mathilde Panot et de Rima Hassan, considérant que « l’apologie du terrorisme, ça ne peut pas être une atteinte absolue à la liberté d’expression ».
Dans un récent entretien publié le 9 octobre 2024 dans le journal l’humanité, le juge Marc Trévidic dénonce aujourd’hui un usage dévoyé de la loi indiquant qu’« après les attentats du 13 novembre 2015, sous le coup de l’émotion, on se met à voir du terrorisme partout. Les poursuites pour apologie se multiplient avec des peines considérables. Or, bien souvent, cela n’a rien à voir avec du terrorisme. Il peut s’agir d’ivrognes qui, dans le feu d’une interpellation, invoquent Daech… En d’autres temps, on aurait qualifié ça d’outrage, la personne aurait encouru six mois au maximum. Là, non. On voit pleuvoir les condamnations, parfois très lourdes, jusqu’à plusieurs années de prison ferme. On est dans un véritable abus, un usage totalement dévoyé de la loi. Un usage qui se perpétue ».
Cette proposition de loi s’inscrit dans une volonté de préserver la liberté d’expression et singulièrement le débat politique de toute intrusion des institutions répressives, qui ne peuvent en la matière se confondre avec la nécessaire lutte contre les actes de terrorismes. Cette proposition clarifie donc le droit pénal en expurgeant le recours à la notion d’apologie du terrorisme, et renvoie donc au droit précédent relevant de la loi du 29 juillet 1881 pour les faits relevant des délits d’apologie de crime, d’apologie de crime de guerre, d’apologie de crime contre l’humanité.
L’article 1er de cette proposition de loi vise à abroger l’article 421‑2‑5 du code pénal.
Les articles 2 et 3 visent à permettre une analyse de l’usage de l’article 421‑2‑5 du code pénal par les institutions judiciaires depuis son inscription dans le code pénal et depuis la circulaire relative à la lutte contre les infractions susceptibles d’être commises en lien avec les attaques terroristes subies par Israël depuis le 7 octobre 2023.
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proposition de loi
Article 1er
L’article 421‑2‑5 du code pénal est abrogé.
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport sur l’utilisation de l’article 421‑2‑5 du code pénal par les institutions judiciaires depuis son inscription dans le code pénal.
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport sur l’utilisation de l’article 421‑2‑5 du code pénal par les institutions judiciaires depuis la circulaire relative à la lutte contre les infractions susceptibles d’être commises en lien avec les attaques terroristes subies par Israël depuis le 7 octobre 2023.
([1]) Ariane Lavrilleux , « Ariane Lavrilleux : « J'étais sous surveillance de la DGSI », Disclose, 23 septembre 2023 »
([2]) Thomas Hermans et Camille Verkest, « Visites d'Emmanuel Macron : les arrêtés anti-casseroles sont-ils illégaux ? », France 3 Centre val de Loire, 25 avril 2023
([3]) Les délits d’apologie de crime, de crime de guerre, de crime contre l’humanité sont prévus aux articles 24 et 24bis de la loi du 29 juillet 1881.
([4]) Rapport de visite en France de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, publié en mars 2019.
([5]) Christophe Ayad, « Le conflit Israël-Hamas s'invite dans les tribunaux français : de plus en plus de procédures pour apologie du terrorisme », Le Monde, 2 mars 2024
([6]) Les délits d’apologie de crime, de crime de guerre, de crime contre l’humanité sont prévus aux articles 24 et 24 bis de la loi du 29 juillet 1881.