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N° 581
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à faire coïncider les délais de prescription du délit de non-dénonciation et du délit d’omission de porter secours avec les délais de prescription des crimes et agressions sexuelles sur mineurs,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Maud PETIT, Mme Sandrine JOSSO, M. Mickaël COSSON, M. Mikaele SEO, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Laurent MAZAURY, Mme Emmanuelle HOFFMAN, Mme Pauline LEVASSEUR, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Céline HERVIEU, M. Jean-Marie FIÉVET, M. Emmanuel GRÉGOIRE, Mme Félicie GÉRARD, M. Olivier SERVA, Mme Julie DELPECH, M. Charles DE COURSON, M. Jean-Pierre TAITE, M. Stéphane VIRY, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Lise MAGNIER, M. Éric MARTINEAU, M. Hubert OTT, Mme Laure MILLER, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Marcellin NADEAU, Mme Karine LEBON, Mme Danièle CARTERON, Mme Delphine LINGEMANN, Mme Alexandra MARTIN, Mme Béatrice BELLAY, M. Hervé BERVILLE, M. Boris TAVERNIER, Mme Sandrine RUNEL, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, Mme Émeline K/BIDI, M. Frédéric MAILLOT, M. Frantz GUMBS,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« Tous les mercredis, j’avais l’habitude de me rendre
chez ma tante et mon oncle. Ce dernier me demandait
de le rejoindre à la cave. Là, il me violait.
Un jour, ma tante a ouvert la porte de la cave.
Je l’ai vue, elle était en haut de l’escalier.
J’avais mon pantalon sur les chevilles.
Il était derrière moi.
Elle a fermé la porte et n’a jamais rien dit. »
Chaque année en France, au moins 160 000 mineurs sont victimes de violence sexuelles. Cela signifie qu’un enfant est agressé sexuellement toutes les trois minutes dans notre pays (sources rapport Civiise). Ces chiffres sont connus et maintes fois entendus. Ils font froid dans le dos. Mais ils doivent être rappelés afin qu’ils ne soient pas oubliés et pour réelle prise de conscience de ce que vivent certains de nos enfants. Prévention, communication, accompagnement aux familles, aux professionnels de la Petite enfance, au corps enseignant, aux professionnels de la santé,… tout doit être mis en œuvre pour lutter contre ce qui ne doit plus être un tabou mais bien un sujet de politiques publiques : les violences sexuelles à l’encontre des mineurs. Notre société en a aujourd’hui parfaitement conscience et la mise en place de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) en a témoigné ; nous condamnons unanimement ces actes atroces et la loi protège déjà un peu mieux qu’hier.
Mais il reste une zone grise dans la lutte contre ces violences : le silence de ceux qui savaient.
L’un des moyens d’aider les victimes à porter plainte, à se reconstruire, de stopper sinon limiter la répétition de ces infractions, serait notamment d’arriver à briser « la loi du silence ».
Les récentes révélations sur l’Abbé Pierre, l’affaire Olivier Duhamel relatée par Camille Kouchner dans son ouvrage « La familia grande », les agissements de Gabriel Matzneff, « les hommes de la rue du Bac » et tant d’autres affaires mettent en relief le terrible constat : « Tout le monde savait mais personne n’a rien dit ». Or, le silence est une forme de complicité par omission. Et le mutisme se fait l’allié de l’agresseur. C’est pour cela que dire, alerter, signaler, dénoncer devient salvateur pour les victimes.
Pourtant dans notre inconscient collectif, « dénoncer » est un acte vil. Il suffit de lire les synonymes du verbe pour se rendre compte. Le mot et le verbe portent souvent, chez nous, une connotation négative, en raison de notre Histoire. Pendant l’Occupation, la dénonciation était largement associée à des actes de trahison contre des voisins ou des amis, au profit des autorités nazies. Cette période a profondément marqué les mentalités françaises, et le terme « dénoncer » a conservé cette empreinte de trahison et de méfiance.
Cependant, le contexte fait toute la différence. Dans un cadre moderne, alerter et dénoncer des comportements criminels, répréhensibles ou injustes peut sauver des vies, promeut la justice et devient un acte citoyen. Il s’agit précisément alors d’un acte de courage et de responsabilité civique, et ne pas le faire est alors puni par la loi.
Le délit de non‑dénonciation est ainsi condamné par l’article 434‑3 du Code Pénal : « Le fait, pour quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ou de continuer à ne pas informer ces autorités tant que ces infractions n’ont pas cessé est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Lorsque le défaut d’information concerne une infraction mentionnée au premier alinéa commise sur un mineur de quinze ans, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. »
Le délai de prescription pour ce délit de non‑dénonciation est de 6 ans à compter de la commission des faits incriminés. Mais il a été prolongé pour certains cas particuliers, lors de l’examen de la loi de 2021‑478 du 21 avril 2021 visant à « protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste ».
Dans le même temps qu’elle portait à 30 ans – à compter de la majorité de la victime – le délai de prescription des crimes mentionnés à l’article 706‑47 du code de procédure pénale (dont font partie les crimes sexuels commis à l’encontre des mineurs), la loi du 21 avril 2021 a également modifié l’article 8 du code de procédure pénale, en prévoyant un régime spécifique d’allongement de la prescription du délit de non‑dénonciation, par 10 ans pour les agressions et atteintes sexuelles sur mineur, et par 20 ans pour les viols sur mineur, dans chaque cas à compter de la majorité de la victime.
Il existe donc un décalage entre les prescriptions de la commission de délit d’agression sexuelle et de crime sexuel sur mineur, et la prescription du délit de non‑dénonciation les concernant :
‑ dans le cas de la commission d’un délit d’agression sexuelle sur mineur, la prescription est de 20 ans à compter de la majorité de la victime, alors que la non‑dénonciation de cette agression se prescrit en 10 ans ;
‑ dans le cas de la commission d’un crime sexuel sur mineur, la prescription est de 30 ans à compter de la majorité de la victime, alors que la non‑dénonciation de ce crime se prescrit en 20 ans.
Ne pas dénoncer les agressions et violences sexuelles sur mineur prive les victimes de plusieurs opportunités cruciales. Ces attitudes contribuent à maintenir les victimes dans une situation douloureuse, les privent d’une reconnaissance officielle de leur souffrance ainsi qu’à l’accès à des ressources et des soutiens nécessaires pour leur réparation et guérison. Ne pas dénoncer ces violences empêche souvent la justice de faire son œuvre et de punir les auteurs, ce qui peut les encourager à récidiver. Enfin, ne pas dénoncer peut priver d’autres victimes de parler, créant ainsi un cercle vicieux de silence et d’impunité.
Ainsi, par nécessité d’œuvrer à la libération de la parole de « ceux qui savaient » et par souci de cohérence, cette proposition de loi vise, dans un premier temps, à faire coïncider les délais de prescription de non‑dénonciation de délits et crimes sexuels sur mineur, avec ceux des délits et crimes sexuels sur mineur.
Cette proposition de loi vise également à procéder de même pour la prescription du délit d’omission de porter secours, plus connu sous l’appellation de « non‑assistance à personne en danger », décrit et puni comme suit dans le Code pénal :
‑ le délit d’omission « d’empêchement d’un crime ou d’un délit de non‑assistance à personne en danger » est condamné par l’article 223‑6 du code pénal qui indique dans son alinéa 1 « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque le crime ou le délit contre l’intégrité corporelle de la personne mentionnée au premier alinéa est commis sur un mineur de quinze ans ou lorsque la personne en péril mentionnée au deuxième alinéa est un mineur de quinze ans. »
La prescription pour ce délit de non‑assistance à personne en danger est de 6 ans, à compter de la commission de l’infraction. Elle est donc particulièrement courte, d’autant qu’elle débute à la date de l’infraction incriminée. Mais, à la différence du délit de non‑dénonciation, la loi du 21 avril 2021 visant à « protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste » n’a pas prévu d’allongement de la durée de prescription pour le délit d’omission de porter secours en cas de délit ou de crime sexuel commis sur mineur.
Cette proposition de loi vise donc également à faire coïncider le délai de prescription du délit d’omission de porter secours dit « de non‑assistance à personne en danger » avec ceux des délits et crimes sexuels sur mineurs.
L’article unique de cette proposition de loi modifie ainsi l’article 8 du code de procédure pénale, afin d’aligner les délais et points de départ de prescription des délits de non‑dénonciation et de non‑assistance à personne en danger avec les délais de prescription des délits et crimes sexuels sur mineurs.
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proposition de loi
Article unique
L’avant‑dernier alinéa de l’article 8 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Les mots : « du délit mentionné à l’article » sont remplacés par les mots : « des délits mentionnés aux articles 223‑6 et » ;
2° Le mot : « dix » est remplacé par le mot : « vingt » ;
3° Le mot : « vingt » est remplacé par le mot : « trente ».