– 1 –

N° 603

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2024.

PROPOSITION DE LOI

portant suppression du délai de carence,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Karim BEN CHEIKH, M. Christophe BEX, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Pierre-Yves CADALEN, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Cyrielle CHATELAIN, Mme Sophia CHIKIROU, M. Alexis CORBIÈRE, M. Hendrik DAVI, M. Emmanuel DUPLESSY, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, M. Charles FOURNIER, M. Perceval GAILLARD, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, Mme Clémence GUETTÉ, Mme Zahia HAMDANE, Mme Céline HERVIEU, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, Mme Karine LEBON, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Damien MAUDET, M. Emmanuel MAUREL, Mme Marianne MAXIMI, Mme Sandrine NOSBÉ, M. Sébastien PEYTAVIE, M. René PILATO, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Matthias TAVEL, M. Boris TAVERNIER, M. Paul VANNIER,

députés et députées.

 


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le ministre Guillaume Kasbarian annonçait vouloir allonger d’un jour à trois jours le délai de carence pour indemniser les salariés de la fonction publique disposant d’un arrêt de travail. Il affiche ainsi sa volonté de faire des économies sur la santé des travailleurs de la fonction publique puisqu’il chiffre cette mesure à 1,2 milliard d’euros de dépenses en moins pour l’assurance maladie. Le Gouvernement, et en particulier le ministre de la fonction publique, a annoncé cette mesure sans aucune consultation des partenaires sociaux et en déversant dans la presse ses invectives à l’égard des fonctionnaires jugés trop « absentéistes ».

Toutefois, les chiffres dont s’est servi le ministre pour justifier une prétendue nécessité d’augmenter le nombre de jours de carence sont biaisés puisqu’ils s’expliquent en grande partie par l’impact de la crise de la Covid‑19. Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) publié en juillet 2024 montre que les deux‑tiers de l’augmentation des absences au travail pour raison de santé sont imputables à la crise sanitaire de 2020 à 2022. ([1])

Par ailleurs, les chiffres avancés par le ministre masquent des disparités importantes qui correspondent à des réalités différentes vécues par les travailleuses et les travailleurs de la fonction publique. Si l’on se penche sur les données fournies par l’Igas, celles‑ci montrent que la fonction publique d’État (FPE) affichait une moyenne de 10,2 jours d’absences par an contre 11,6 pour le secteur privé. Il y a des facteurs qui sont des causes identifiables de motifs d’absence comme la féminisation de certains métiers, l’exercice d’une profession dite supérieure, l’âge ou l’appartenance à une famille monoparentale, etc. La diversité des situations observée dans les trois corps de la fonction publique fait que les chiffres agrégés ne rendent compte que d’une réalité perçue à travers un prisme idéologique : celui de la réduction des dépenses.

Autre point important : la fonction publique peine à recruter, en particulier le secteur de l’Éducation nationale. Il manquait plus de 3 000 enseignants à la rentrée 2024, notamment du fait d’un déficit d’attractivité de la profession si mal reconnue par les gouvernements successifs depuis 2017. Au manque de considération, au manque chronique de moyens et aux salaires repoussants s’ajoutent la stigmatisation par un ministre de la fonction publique via des attaques en règle dans la presse notamment. Comment rendre attractive la fonction publique ? Certainement pas en y rendant le travail encore plus pénible, encore plus difficile.

Un des arguments avancés par le gouvernement pour aligner le nombre de jours de carence du public sur ceux du privé est celui d’une inégalité.

Il y a en effet bien des inégalités face à la maladie, l’accès aux soins, les souffrances au travail. Pourquoi alors faudrait‑il les creuser en rajoutant des jours de carence à certains, n’entraînant aucune amélioration des conditions de vie, de travail et de rémunération des autres ?

Notons également que bien qu’aujourd’hui, par des effets d’accords de branche notamment, certains jours de carence sont compensés, ce n’est pas le cas pour toutes les entreprises et il convient d’y remédier.

Les auteurs de ce texte proposent donc d’aller vers un droit commun unique, dans un esprit de simplification, si cher à Guillaume Kasbarian, ministre de la fonction publique, de la simplification et de la transformation de l’action publique avec la suppression du délai de carence.

Par ailleurs, l’actuel débat médiatique sur les jours de carence des travailleuses et des travailleurs ne pose pas la question essentielle qu’est celle de la santé au travail. Il convient d’engager une réflexion de fond sur les raisons des augmentations que l’on peut observer du nombre d’arrêts de travail pour des raisons de santé, à la fois dans le public et dans le privé.

Parmi ces raisons nous pouvons évidemment évoquer la pénibilité de certains métiers, le manque de personnels qui fait reposer sur le personnel présent une charge toujours plus importante de travail mais aussi la réforme des retraites qui nécessairement fait travailler des gens qui ne sont plus en âge ou en capacité physique et psychique de travailler – et cela se traduit par des nécessaires arrêts de travail.

Enfin, les auteurs de cette proposition souhaitent alerter sur l’absurdité que constitue le jour de carence. Comme l’a montré la pandémie de covid‑19 ce jour de carence est un danger et un problème de santé publique. Sa suppression pendant la pandémie de coronavirus a montré son efficacité comme moyen de lutte contre la propagation des épidémies. Les travailleuses et travailleurs les plus précaires ne peuvent souvent pas se permettre de perdre un à trois jours de salaire simplement parce qu’elles et ils sont malades. Ces personnes vont donc au travail en étant malades – c’est à la fois un facteur de souffrance et de pénibilité au travail et un vecteur de transmission des maladies. En outre, l’Insee a montré en 2017 ([2]), que l’introduction du jour de carence dans la fonction publique n’a pas modifié la part d’agents absents pour raisons de santé. Cette même enquête a aussi souligné que, si ce délai de carence faisait baisser le nombre d’arrêts de travail courts, il faisait augmenter les arrêts de travail longs. Par ailleurs, pour éviter une perte de salaire, de nombreux salariés posent un jour de congé ou un RTT (réduction du temps de travail) lorsqu’ils sont malades quand il s’agit d’une seule journée. On a donc un nouveau fossé qui se creuse entre riches et pauvres, entre ceux qui réservent leurs RTT et jours de récupération pour couvrir la maladie sans perte de salaire et ceux qui profitent de ces jours pour exercer pleinement leur droit au repos.

L’objet de cette proposition de loi est donc de supprimer le délai de carence dans un objectif de progrès et d’harmonisation par le haut du droit commun. Il s’agit d’une mesure de justice et de santé publique.

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

Au premier alinéa de l’article L. 323‑1 du code de la sécurité sociale, les mots : « à l’expiration d’un délai déterminé » sont remplacés par les mots : « dès le premier jour ».

Article 2

La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) COLLECTIF, Revue de dépenses relative à la réduction des absences dans la fonction publique, IGAS, juillet 2024, p. 7.

([2]) Le jour de carence dans la fonction publique de l’État : moins d’absences courtes, plus d’absences longues, INSEE, novembre 2017.