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N° 604
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2024.
PROPOSITION DE LOI
pour l’accès des avocats au dossier de la procédure,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Émeline K/BIDI, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Victor CASTOR, M. André CHASSAIGNE, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Karine LEBON, M. Frédéric MAILLOT, M. Yannick MONNET, M. Marcellin NADEAU, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Emmanuel TJIBAOU, M. Laurent ALEXANDRE, Mme Farida AMRANI, M. Ugo BERNALICIS, M. Pierre-Yves CADALEN, Mme Sophia CHIKIROU, M. Charles DE COURSON, M. Arthur DELAPORTE, Mme Karen ERODI, Mme Sophie ERRANTE, M. Romain ESKENAZI, M. Perceval GAILLARD, M. Jean-Carles GRELIER, Mme Clémence GUETTÉ, M. Frantz GUMBS, Mme Céline HERVIEU, Mme Mathilde HIGNET, M. Sacha HOULIÉ, M. Jérémie IORDANOFF, M. Philippe JUVIN, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Max MATHIASIN, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Paul MOLAC, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Jiovanny WILLIAM, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Gabriel AMARD, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, M. Fabrice BARUSSEAU, Mme Béatrice BELLAY, M. Mickaël BOULOUX, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Emmanuel FERNANDES, M. Moerani FRÉBAULT, M. Damien MAUDET, M. René PILATO, Mme Marie-Charlotte GARIN,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le droit à un procès équitable est un droit fondamental inscrit à l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Il garantit à chaque justiciable le droit d’être défendu par un avocat et de disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense.
Ce droit impose que l’avocat puisse non seulement accéder au dossier de la procédure pénale, mais également en détenir une copie lui permettant de préparer la défense de son client dans des conditions satisfaisantes et des délais suffisants.
L’accès au dossier par l’avocat, au cours de la procédure pénale, est la pierre angulaire de la défense pénale. Prendre connaissance des éléments du dossier, qui comporte des dizaines voire des centaines de pages, permet à l’avocat de déterminer avec précision les éléments de faits et de procédure qui permettent d’élaborer une défense efficace et fondée.
Ce droit d’accès doit pouvoir s’exercer quelle que soit la juridiction pénale saisie et la phase de la procédure.
Le manque de personnel de justice pour numériser et copier les dossiers et l’essor du numérique et de la téléphonie ont entraîné le développement d’une pratique des avocats : celle de prendre en photo ou de numériser le dossier pénal lorsque la loi leur en autorise la consultation.
Cette pratique est actuellement basée sur une tolérance des juges et greffiers d’instruction, mais ne trouve sa source dans aucun texte. La pratique peut ainsi différer selon les juridictions, voire d’un juge à un autre.
Or, les droits de la défense, et notamment le droit d’accéder au dossier de la procédure, doivent pouvoir s’appliquer de manière uniforme sur l’ensemble du territoire national.
Le décret n° 2022‑546 du 13 avril 2022, en son article 10 est donc venu inscrire dans le code de procédure pénale ce droit, pour l’avocat, de photographier ou de numériser le dossier de la procédure :
« Le chapitre III du livre XII devient un chapitre IV, et il est inséré après l’article D. 593‑1 les dispositions suivantes :
« Chapitre III
« De l’accès des avocats au dossier de la procédure
« Art. D. 593‑2. – Dans tous les cas où, en application des dispositions du présent code, un avocat peut demander la délivrance d’une copie du dossier de la procédure pénale, ainsi que dans les cas où, en application des articles 77‑2, 80‑2, 114, 388‑4, 393, 394, 495‑8, 627‑6, 696‑10, 706‑105 et 803‑3, il peut consulter ce dossier, l’avocat, son associé ou son collaborateur ou un avocat disposant d’un mandat écrit à cette fin peut, à l’occasion de cette consultation, réaliser lui‑même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l’utilisation d’un scanner portatif ou la prise de photographies. Il en est de même lorsque l’avocat consulte le dossier dans le cadre des procédures prévues par les articles 41‑1 à 41‑3‑1 A. Cette reproduction est réalisée pour l’usage exclusif de l’avocat, qui ne peut la remettre à son client, si elle concerne un dossier d’instruction.
« Cette reproduction ne fait pas obstacle au droit de l’avocat d’obtenir, dans les cas et dans les délais prévus par le présent code, une copie du dossier auprès de la juridiction.
« Si le dossier est numérisé, l’avocat ne peut refuser d’en recevoir une copie sous forme numérisée, le cas échéant selon les modalités prévues par l’article 803‑1, sauf, dans le cas prévu par les articles 114 et R. 165, décision contraire du juge d’instruction ; en cas de numérisation partielle du dossier, la copie de la partie du dossier non numérisée est remise sur support papier. »
Cependant, par décision n° 464641 du 24 juillet 2024, le Conseil d’État a censuré ces dispositions du décret au visa du principe de légalité prévu à l’article 34 de la Constitution, au motif qu’elles « ont fixé des règles nouvelles et ne peuvent être regardées comme ayant simplement déterminé les modalités d’application des règles déjà fixées en ce domaine par le législateur ».
Le droit, pour l’avocat, de photographier ou de numériser le dossier de la procédure est en effet un droit nouveau relevant du domaine de la loi. L’analyse du Conseil d’État ne souffre d’aucune contestation.
Il en résulte la nécessité d’inscrire dans la loi le droit, pour l’avocat, de photographier ou de numériser le dossier de la procédure. Tel est l’objet de l’article 1er de la présente proposition de loi.
L’article 2 vise quant à lui à faire évoluer notre droit pour permettre à l’avocat l’accès au dossier pénal au cours de la garde à vue.
Le refus de faire évoluer la loi tient à l’idée persistante et fausse selon laquelle l’accès de l’avocat au dossier de la procédure de garde à vue nuirait à la manifestation de la vérité et à la justice.
Or, l’avocat est un garant des droits et libertés fondamentaux. La Cour Européenne des Droits de l’Homme rappelle ainsi que « la liberté des avocats d’exercer leur profession sans entraves est un des éléments essentiels de toute société démocratique et une condition préalable à l’application effective de la Convention, en particulier la garantie d’un procès équitable et le droit à la sécurité personnelle » (CEDH 13 nov. 2003, Elçi c. Turquie, n° 23145/93, § 669).
L’avocat doit être « considéré comme collaborateur de la justice » qui œuvre « en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle‑ci » (CEDH 24 juill. 2008, André et autres c. France, n° 1860303).
Force est d’ailleurs de constater que la loi française a progressivement évolué, sous l’influence du droit européen, vers le renforcement de la place de l’avocat en garde en vue.
La loi n° 2000‑516 du 15 juin 2000 dite « Loi Guigou » a autorisé l’avocat à s’entretenir trente minutes avec le gardé à vue au début de la mesure, puis à la 20ème et à la 36ème heure, sauf pour certaines catégories d’infractions.
La loi n° 2011‑392 du 14 avril 2011 a limité la garde à vue aux délits passibles de prison, restreint la possibilité de prolongation de 24 heures (pour atteindre 48 heures) que pour les délits punis d’au moins un an d’emprisonnement, rendu obligatoire la notification du droit au silence et encadré la pratique des « fouilles au corps ». Cette réforme majeure a également permis la présence de l’avocat pendant toute la durée de la garde à vue de droit commun et autorisé l’accès de l’avocat aux procès‑verbaux d’audition de son client.
Récemment, la loi n° 2024‑364 du 22 avril 2024 a supprimé le délai de carence et élargit le cercle des personnes que le gardé à vue peut prévenir lors de son placement. L’article 63‑4‑1 du code de procédure pénale a également été modifié de façon à étendre le droit d’accès au dossier pendant la garde à vue. L’avocat peut désormais consulter les procès‑verbaux des auditions et des confrontations de son client dans une logique de renforcement des droits de la défense efficace.
Ces réformes démontrent que le renforcement des droits de la défense, du gardé à vue et de la présomption d’innocence sont conciliables avec la recherche de la preuve, de l’aveu et de la justice.
Comme le rappelle le Conseil National des Barreaux ([1])°, un équilibre a pu être trouvé entre les droits de la défense et la nécessaire manifestation de la vérité au stade de l’instruction, en incluant l’accès intégral au dossier pénal au profit de l’avocat.
L’article 2 de la présente loi vise donc à réformer le code de procédure pénale pour permettre l’accès intégral au dossier pénal par l’avocat dès le début de la garde à vue.
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proposition de loi
Article 1er
Dans tous les cas où, en application des dispositions du code de procédure pénale, un avocat peut demander la délivrance d’une copie du dossier de la procédure pénale, ainsi que dans les cas où, en application des articles 77‑2, 80‑2, 114, 388‑4, 393, 394, 495‑8, 627‑6, 696‑10, 706‑105 et 803‑3 du même code, il peut consulter ce dossier, l’avocat, son associé ou son collaborateur ou un avocat disposant d’un mandat écrit à cette fin peut, à l’occasion de cette consultation, réaliser lui‑même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l’utilisation d’un scanner portatif ou la prise de photographies. Il en est de même lorsque l’avocat consulte le dossier dans le cadre des procédures prévues par les articles 41‑1 à 41‑3‑1 A dudit code. Cette reproduction est réalisée pour l’usage exclusif de l’avocat, qui ne peut la remettre à son client, si elle concerne un dossier d’instruction.
Cette reproduction ne fait pas obstacle au droit de l’avocat d’obtenir, dans les cas et dans les délais prévus au même code, une copie du dossier auprès de la juridiction.
Si le dossier est numérisé, l’avocat ne peut refuser d’en recevoir une copie sous forme numérisée, le cas échéant selon les modalités prévues à l’article 803‑1 du même code, sauf, dans le cas prévu aux articles 114 et R. 165 du même code, décision contraire du juge d’instruction ; en cas de numérisation partielle du dossier, la copie de la partie du dossier non numérisée est remise sur support papier.
Article 2
L’article 63‑4‑1 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) La première phrase est ainsi rédigée :
« À sa demande, l’avocat, son associé ou son collaborateur ou un avocat disposant d’un mandat écrit à cette fin, peut consulter l’intégralité du dossier de la procédure pénale et en réaliser une copie. » ;
b) À la deuxième phrase, le mot : « toutefois » est remplacé par le mot : « également » ;
c) La dernière phrase est supprimée ;
2° Au second alinéa, les mots : « les documents mentionnés au premier alinéa du présent article » sont remplacés par les mots : « l’intégralité du dossier de procédure pénale ou une copie de celui‑ci ».
([1]) Rapport d’information de la Commission Libertés et droits de l’homme du Conseil national des barreaux du 12 février 2021, édité à la suite de l’audition par la Commission Mattei le 20 janvier 2021.