N° 655

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 décembre 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à promouvoir la transparence des contrats de la commande publique au bénéfice des citoyens,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Christine ARRIGHI,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Toutes les entreprises, et particulièrement celles qui sont les plus novatrices, sont exposées à des actes de prédation qui peuvent provenir aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur de l’Union européenne. Parmi les principales menaces identifiées figurent la fuite d’informations sensibles, l’espionnage industriel et les cyberattaques. La mondialisation, l’augmentation de la sous‑traitance, l’allongement des chaînes d’approvisionnement, ainsi que l’utilisation croissante des technologies de l’information et de la communication, amplifient les risques liés à ces pratiques. La protection des entreprises est donc essentielle non seulement pour garantir leur compétitivité, mais également pour préserver l’innovation, l’emploi et la croissance économique dans un monde de plus en plus exposé aux risques de prédation et de concurrence déloyale.

La loi n° 2018‑670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, qui est une loi de transposition en droit interne des dispositions de la directive européenne 2013/944 du 8 juin 2016 sur la protection des savoir‑faire et des informations commerciales non divulguées, contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites poursuit cet objectif de protection des entreprises françaises et européennes.

Toutefois, si cette mesure protectrice de savoir‑faire et d’intérêts privés trouve à s’appliquer de manière rigide dans les contrats conclus entre entités privées, son application doit être plus souple lorsqu’un contrat lie une entité privée à une entité publique ou parapublique, particulièrement dans le cadre des contrats de commande publique. En effet, la transparence totale des contrats de commande publique est indispensable, car elle garantit aux citoyens un droit de regard sur l’usage des fonds collectifs, prévient les risques de corruption et assure une gestion responsable et efficace des ressources publiques.

Lors de la procédure de passation d’une commande publique, la loi fait obligation aux acheteurs et autorités concédantes de respecter la confidentialité des informations à leur disposition afin de garantir la concurrence loyale entre les opérateurs économiques candidats. C’est pour cette raison que le code de la commande publique interdit aux pouvoirs adjudicateurs de divulguer des informations confidentielles obtenues lors des candidatures, sous peine de fausser la concurrence. ([1])

Cependant, cette protection de la confidentialité, appliquée avec rigueur, souffre d’un important écueil de transparence. En effet, à la conclusion d’un contrat de commande publique, les citoyens (usagers et contribuables), des élus locaux et des élus nationaux non investis de pouvoirs spéciaux découlant de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF([2]) ou de l’ordonnance relative au fonctionnement des Assemblées parlementaires ([3]) se voient opposer le secret des affaires, les empêchant d’accéder aux informations sur ces contrats pourtant conclus en leur nom et pour leur compte avec bien souvent une mobilisation de concours publics.

Pourtant, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui a valeur constitutionnelle énonce en son article 14 que : « Les citoyens ont le droit de constater, par eux‑mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». La bonne application de cette disposition constitutionnelle nécessite toute transparence, vis‑à‑vis des citoyens notamment, dès la conclusion des contrats de commande publique qui engage des deniers publics afin de leur permettre de « suivre l’emploi » qui est fait de leurs deniers.

Cette transparence est d’autant plus nécessaire qu’elle facilite l’application de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose que : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Bien que concédée, une autoroute reste dans le domaine public. Comment demander des comptes lorsqu’il est impossible d’avoir accès aux informations substantielles au motif de l’application du secret des affaires ?

Le droit positif ne permet pas la pleine application de l’exigence constitutionnelle de transparence que la directive européenne 2013/944 du 8 juin 2016 relative au secret des affaires, souvent citée comme frein à cette transparence, n’empêche pourtant pas. En effet, au titre des exceptions au principe d’application du secret des affaires, la directive prévoit en son article 5, l’inopposabilité du secret des affaires lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation du secret est autorisé « aux fins de la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union ou le droit national » ([4]). Elle offre donc la possibilité aux États membres de déroger au secret des affaires lorsqu’un intérêt légitime reconnu notamment par le droit national le justifie.

En application du droit positif français, la demande de transparence totale sur un contrat de commande publique vis‑à‑vis des citoyens constitue un intérêt légitime au regard des articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen précités. Cette demande de transparence n’a pas pour objectif de méconnaître la liberté d’entreprendre qui est un principe à valeur constitutionnelle, découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Dans sa décision n° 81‑132 DC du 16 janvier 1982 relative à la loi de nationalisation, le Conseil constitutionnel a précisé que ce principe inclut le droit pour chacun de se livrer à l’activité économique de son choix, mais il a également reconnu que des restrictions à cette liberté peuvent être justifiées par un motif d’intérêt général, à condition qu’elles soient proportionnées et nécessaires à l’objectif poursuivi.

En définitive, les contrats de commande publique, qui engagent des ressources publiques, nécessitent un niveau de transparence accru, nécessaire à l’exercice d’un contrôle démocratique citoyen. Le principal enjeu est de savoir si la limitation apportée à l’application du secret des affaires est justifiée, proportionnée et nécessaire. À cette question, nous pouvons répondre par l’affirmative :

– D’abord, cette proposition de loi ne vise que les contrats de commande publique, puisqu’ils engagent des ressources publiques. Cela signifie que l’interdiction du secret des affaires ne s’appliquera pas à l’ensemble des activités des entreprises, mais uniquement aux contrats de commande publique. D’ailleurs, l’interdiction ne concerne pas les informations stratégiques des entreprises telles que les secrets de fabrication ou des procédés qui ne sont pas directement liés à l’exécution du contrat et qui sont protégés[5], mais bien les informations d’intérêt public à savoir les montants, les délais et les conditions détaillés d’exécution prévues dans le contrat. Il s’agit donc d’une mesure proportionnée.

– Ensuite, ce texte s’explique par l’impossibilité actuelle pour les citoyens d’accéder à l’ensemble des informations portant sur les contrats de commande publique, pourtant conclus en leur nom et pour leur compte avec la mobilisation de concours publics. La limitation proposée pour palier à ce manque de transparence est donc nécessaire.

– Enfin, la mesure proposée est justifiée car la transparence recherchée est nécessaire pour garantir un contrôle démocratique direct citoyen. Par ailleurs, un meilleur encadrement de l’application du secret des affaires aux contrats de commande publique participe également au renforcement du consentement à l’impôt.

Tout en préservant la liberté d’entreprendre, l’article unique de cette proposition de loi modifie le code du commerce, le code de la commande publique et le code des relations entre le public et l’administration afin de garantir un juste équilibre entre la nécessité de protéger le secret des affaires et l’indispensable besoin de transparence de tous les contrats de commande publique, nécessaire au contrôle citoyen des gouvernants.

 


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proposition de loi

Article unique

I. – Le code de la commande publique est ainsi modifié :

1° L’article L. 3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les contrats de la commande publique sont soumis à l’obligation de transparence prévue à l’article L. 311‑6-1 du code des relations entre le public et l’administration. »

2° L’article L. 2332‑1 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « divulgation violerait le secret des affaires ou celles dont la » sont supprimés ;

b) Est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Le secret des affaires n’est pas opposable aux contrats de marchés publics. » ;

3° L’article L. 3122‑3 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « divulgation violerait le secret des affaires ou celles dont la » sont supprimés ;

b) Est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Le secret des affaires n’est pas opposable aux contrats de concession. »

II. – À l’article L. 151‑7 du code de commerce, après le mot : « notamment », sont insérés les mots : « pour les contrats de commande publique, ou ».

III. – Après l’article L. 311‑6 du code des relations entre le public et l’administration, il est inséré un article L. 311‑6-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 311‑6-1. – Le secret des affaires, tel que défini à l’article L. 151‑1 du code de commerce, n’est pas opposable pour toutes les informations relatives aux contrats de la commande publique. Cette inopposabilité s’applique à toute entité ou personne participant à l’attribution et à l’exécution du contrat.

« Toute clause contractuelle visant à restreindre la publicité de ces informations est réputée non écrite. »

 

 


([1])  Article L 2132-1 du code de la commande publique.

([2])  Article 57 de la loi organique no 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

([3])  II de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des Assemblées parlementaires.

([4])  Alinéa 5 de l’article 5 de la directive européenne 2013/943 du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées, contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites.

([5])  Article L 311-6 du code des relations entre le public et l’administration