N° 668

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 décembre 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à étendre la qualification d’homicide aux violences ou négligences ayant causé le décès in utero d’un fœtus viable,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Violette SPILLEBOUT, M. Fabien DI FILIPPO,

députés.


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 28 juillet 2023, Valentin et Angélique se rendent à la maternité d’Arras, pour donner vie à leur petite Jade. Tragiquement, leur trajet tourne au drame lorsqu’une voiture, circulant en sens inverse, les percute violemment. Leur bébé, Jade, perd alors la vie in utero. Cependant, en raison des dispositions légales en vigueur, Valentin et Angélique n’ont pu déposer plainte que pour les blessures involontaires qu’ils ont subies personnellement, sans possibilité d’engager de poursuites pour homicide involontaire, Jade n’étant pas encore officiellement née.

Cette proposition de loi vise à rendre justice à des parents, des familles, ayant perdu leur enfant à naître en faisant reconnaître le préjudice qu’ils ont subi, de sanctionner la ou les personnes responsables à hauteur des dommages qui ont été causés. Il est crucial de reconnaître la valeur des vies en devenir, en cas de violences qui leur seraient fatales et de donner aux familles le droit de justice dans ces circonstances douloureuses. 

Cette proposition de loi permettrait aux familles d’obtenir réparation et de faire valoir leur droit à une justice équitable. Il ne s’agit pas d’un débat autour de l’avortement ou de l’interruption de grossesse, qui est et reste un droit fondamental et protégé par notre constitution, mais de la protection des familles endeuillées. Aussi, en précisant que les accusations d’homicide involontaire ne peuvent porter que sur des actes ayant causé la mort du fœtus d’autrui, il protège les femmes enceintes qui pourraient perdre leur enfant en cours de grossesse et voir s’ajouter à leur souffrance une accusation d’homicide

Qu’il s’agisse d’un conducteur automobile ayant pris le volant sous l’emprise d’alcool et de stupéfiants ou pratiqué des excès de vitesse et causé un accident impliquant une femme enceinte, d’une personne ayant exercé des violences physiques sur une femme enceinte. Ce sujet met en lumière la nécessité d’un renforcement législatif pour mieux protéger les femmes enceintes face à ces violences, et mieux sanctionner les conséquences dramatiques qu’elles peuvent entraîner.

La question du statut du fœtus se caractérise en droit français par la volonté délibérée du législateur de ne pas définir ce statut : les atteintes à leur vie ne peuvent donc en aucun cas être considérées comme des homicides. La présente proposition de loi vise à modifier l’état actuel du droit, en demandant que la personnalité juridique ne débute plus à la naissance de l’enfant, à condition qu’il soit né vivant et viable, mais qu’elle soit uniquement liée au critère de viabilité. Une telle disposition permettra une véritable reconnaissance pénale du fœtus.

Aujourd’hui, un enfant naissant à 5 mois et demi de grossesse ou après pourra bénéficier de soins de la part du personnel médical afin de pouvoir poursuivre son existence, et une atteinte à sa vie pourra être qualifiée d’homicide : en revanche, l’enfant ayant atteint le même stade d’évolution ou un stade plus avancé et mourant dans le ventre de sa mère des suites d’un acte engageant fortement la responsabilité d’un tiers ne sera pas considérée comme victime d’un homicide. Ainsi, deux êtres humains décédés alors qu’ils avaient atteint le même stade de développement ne reçoivent pas la même reconnaissance d’un point de vue juridique, selon qu’ils ont perdu la vie dans le ventre ou en dehors du ventre de leur mère.

Aussi, il est important de souligner que ce seuil de viabilité est par ailleurs déjà pris en compte par la loi française, puisque les allocations versées par la caisse d’allocations familiales (CAF) en cas de décès d’un enfant sont dues en cas de décès intervenant à partir de la vingtième semaine de grossesse.

Cette proposition de loi vise donc à étendre la qualification d’homicide aux actes qui entraînent la fin du développement d’un être humain ayant la capacité naturelle de vivre, c’est‑à‑dire ayant atteint le seuil de viabilité de vingt‑deux semaines d’aménorrhées ou de 500 grammes défini par l’OMS. À partir de ce stade, il convient de protéger le fœtus comme une personne, de le considérer comme un enfant qui a perdu la vie et ses parents comme des personnes ayant perdu un enfant. Cette reconnaissance pénale serait tout simplement fondée sur le constat d’une réalité scientifique.

Nous souhaitons, à travers cette proposition de loi, rendre hommage à ces vies précieuses et soulager les familles dans leur quête de justice. Et donc, la présente proposition de loi vise à étendre la qualification d’homicide aux violences ou négligences ayant causé le décès in utero d’un fœtus viable.

Cette proposition de loi a été retravaillée sur la base de la proposition de loi n° 1887 de M. Fabien Di Filippo, visant à étendre la qualification d’homicide aux violences ou négligences ayant causé le décès in utero d’un fœtus viable, déposée le 21 novembre 2023. 

L’article 1er de cette proposition de loi complète donc l’article 221‑6 du code pénal afin d’étendre la notion d’homicide involontaire au fait de causer la mort du fœtus d’autrui lorsque celui‑ci a atteint les seuils de viabilité définis par l’OMS. 

L’article 2 précise que cette notion d’homicide involontaire s’applique également dans le cadre de ce qui sera bientôt qualifié d’ «  homicide routier ».

L’article 3 punit de la réclusion criminelle les violences ayant entraîné, sans que cela soit intentionnel, la fin du développement du fœtus d’autrui lorsque celui‑ci a atteint les seuils de viabilité définis.

L’article 4 exclut les interruptions volontaires de grossesse de toute possibilité de qualification d’homicide volontaire, et étend la notion d’homicide volontaire au fait de causer volontairement la fin du développement d’un fœtus viable.

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

L’article 221‑6 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le fait de mettre fin, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121‑3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, au développement du fœtus d’autrui lorsque celui‑ci a atteint vingt‑deux semaines d’aménorrhée ou le poids de 500 grammes, conformément aux seuils de viabilité définis par l’Organisation mondiale de la santé, constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».

Article 2

Le premier alinéa de l’article 221‑6‑1 du code pénal est complété par une phrase ainsi rédigée : « Cette peine s’applique également si le conducteur a mis fin au développement du fœtus d’autrui lorsque celui‑ci a atteint vingt‑deux semaines d’aménorrhée ou le poids de 500 grammes, conformément aux seuils de viabilité définis par l’Organisation mondiale de la santé. »

Article 3

L’article 222‑7 du code pénal est ainsi rédigé :

« Art. 2227.  Sans préjudice de l’application des textes relatifs aux interruptions volontaires de grossesse pratiquées pour motif thérapeutique, telles que décrites à l’article L. 2213‑1 du code de la santé publique, les violences ayant entraîné la mort d’autrui ou la fin du au développement du fœtus d’autrui lorsque celui‑ci a atteint vingt‑deux semaines d’aménorrhée ou le poids de 500 grammes, conformément aux seuils de viabilité définis par l’Organisation mondiale de la santé, sans intention de les provoquer, sont punies de quinze ans de réclusion criminelle ».

Article 4

L’article 221‑1 du code pénal est ainsi rédigé :

« Art. 2211.  Sans préjudice de l’application des textes relatifs aux interruptions volontaires de grossesse pratiquées pour motif thérapeutique, telles que décrites à l’article L. 2213‑1 du code de la santé publique, le fait de donner volontairement la mort à autrui ou de causer volontairement la fin du développement du fœtus d’autrui lorsque celui‑ci a atteint vingt‑deux semaines d’aménorrhées ou le poids de 500 grammes, conformément aux seuils de viabilité définis par l’Organisation mondiale de la santé, constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle. »