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N° 728
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 décembre 2024.
PROPOSITION DE LOI
instaurant un titre-restaurant au bénéfice des salariés et des restaurateurs,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Mathilde HIGNET, M. Hadrien CLOUET, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Pour la troisième fois en deux ans, l’Assemblée nationale a été amenée à se prononcer sur l’usage des titres‑restaurants pour l’achat de produits non directement consommables.
La loi du 16 août 2022 portant des mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat avait aménagé une dérogation en ce sens, censée prendre fin le 3 décembre 2023. Dans un contexte de forte inflation et de précarité alimentaire, cette possibilité fut étendue pour une année supplémentaire, jusqu’au 31 décembre 2024, via une proposition de loi adoptée en urgence en décembre 2023.
Le groupe parlementaire de la France insoumise avait alors proposé la pérennisation de ce dispositif, maigre sécurité pour les salariés fortement impactés par la crise inflationniste qui perdure depuis 2021. Si le groupe La France insoumise plaide pour augmenter les salaires et bloquer les prix imposés par les grands monopoles agroalimentaires, il est urgent de maintenir les rares garde‑fous qui ont été conquis. Celui‑ci en fait partie.
Un an plus tard, la crise inflationniste est loin d’être terminée. Si l’inflation alimentaire commence à diminuer en 2024, nous sommes loin d’une sortie de crise. De 2021 à 2023, l’inflation alimentaire a dépassé 23 % et demeure la principale contributrice à l’inflation d’ensemble. La tendance a légèrement ralenti à 0,6 % d’inflation alimentaire sur un an en octobre 2024, mais elle reste élevée sur les produits frais avec 4,5 % en octobre 2024.
En face, les salaires ont largement décroché. En 2023, compte‑tenu de l’inflation, les salaires ont diminué de 0,8 %. D’après le baromètre 2024 de la pauvreté et de la précarité du Secours populaire, du fait de la baisse de son pouvoir d’achat ces dernières années, un Français sur trois (32 %) est toujours contraint « parfois ou régulièrement » de ne pas faire trois repas par jour. Selon la dernière étude du Credoc (2023) : 1 Français sur 6 déclarait ne pas pouvoir manger à sa faim en novembre 2022 (contre 12 % en juillet 2022 et 9 % en 2016). Ces chiffres sont sidérants : dans la septième puissance mondiale, qui produit assez pour nourrir toute sa population et exporte massivement, des millions de personnes ne peuvent pas se nourrir correctement.
D’autant que cette perte de pouvoir d’achat a directement nui aux restaurateurs, perdant une clientèle importante dont les revenus de consommation sont en chute libre. L’importante augmentation des coûts de production ou de fonctionnement pour ces établissements (hausse des prix des matières premières ou de l’énergie) et la constitution de superprofits spéculatifs ont impacté durablement les prix de vente. De sorte, les titres‑restaurants ont décroché par rapport au prix d’un déjeuner.
Nous assistons à un véritable effet‑ciseau : les prix des repas augmentent en fin de chaîne, tandis que le budget dédié à ce poste de dépense décroît en raison du gel des salaires. Bilan, 94 % de nos compatriotes ont limité leurs dépenses de restaurant en 2024. Dans ce contexte, il est donc illusoire de penser que l’interdiction d’acheter des aliments non consommables via les titres‑restaurants affecterait positivement la fréquentation des restaurants et des commerces de détail de fruits et légumes.
Le gouvernement n’a rien fait pour endiguer la perte de pouvoir d’achat des Français et l’effondrement des marges de la restauration.
D’un côté, l’abandon du chèque alimentaire et la fin des subventions à l’aide alimentaire ont réinstauré la faim comme risque massif. La mise en place d’un "montant net social" sur les bulletins de salaire a même soustrait les sommes versées comme titres‑restaurants de la prime d’activité pour les petits salaires, qui se voient donc facturés leurs titres à deux reprises ! Les classes moyennes, quant à elles, voient leurs salaires gelés et renoncent aux sorties restaurant.
De l’autre, la privatisation du marché des titres‑restaurants a conduit à la formation d’un véritable cartel. Si les sociétés responsables de cet oligopole illégal ont bien été condamnées par l’Autorité de la concurrence, le cartel a continué de sévir, multipliant les frais de commissions qui atteignent même 6 %, sans préjudice des augmentations des frais fixes ou d’engagement obligatoire.
En conséquence, les titres‑restaurants coûtent de plus en plus cher aux restaurateurs, en plus du temps de travail ponctionné, poussant un certain nombre d’entre eux à y renoncer. Cette rente indue pousse nombre de commerçants à cesser de les accepter au détriment des salariés qui en sont bénéficiaires. Ce, sans compter le détournement d’une partie des revenus par les circuits de livraison ubérisée, qui pillent la Sécurité sociale en se refusant à verser des cotisations sociales pour les salariés déguisés qu’ils exploitent.
En plus du cartel, la fin de cette dérogation profiterait essentiellement à la grande distribution et à l’industrie agro‑alimentaire, qui commercialisent des repas transformés à moindre coût, mettant en danger la santé de nos compatriotes. En effet, la consommation fréquente de plats industriels augmente les risques de maladie cardio‑vasculaire. Accroître de 10 % sa consommation d’aliments ultra‑transformés accroît de 11 % le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC), de 12 % le risque de maladies cardiovasculaires et de 13 % le risque de maladies coronariennes. Cette même nourriture ultra‑transformée renforce le risque de symptômes dépressifs récurrents.
Lors de l’examen en première lecture par l’Assemblée nationale, Mme la Ministre de la Consommation Laurence Garnier, a annoncé une future réforme des titres‑restaurant pour s’opposer à la pérennisation du dispositif. Rappelons que sa prédécesseure, Olivia Grégoire, avait-elle‑même entamé les travaux à ce sujet. La dissolution de l’Assemblée nationale suivie de la défaite de la Macronie ayant entraîné le remaniement du Gouvernement, le texte n’a jamais été déposé au bureau de l’Assemblée nationale. Dans le contexte politique actuel, rien ne nous garantit que la ministre actuelle pourra présenter une réforme avant la fin de ses fonctions.
C’est pourquoi nous proposons au Parlement de prendre l’initiative d’assurer la protection tant des salariés à faible revenu que des restaurateurs.
Les articles 1 et 2 pérennisent le droit d’acheter tout produit alimentaire avec des titres‑restaurants.
L’article 3 prévoit que les émetteurs de titres‑restaurants doivent faire l’objet d’un agrément par la commission nationale des titres‑restaurants.
L’article 4 désubérise les circuits d’usage des titres‑restaurants. Considérant que ces titres bénéficient de la solidarité nationale, par une exonération de cotisation sociale au bénéfice des employeurs, il est particulièrement cynique que ce dispositif participe à enrichir et promouvoir des plateformes ubérisées. Celles‑ci empochent les cadeaux, mais se soustraient aux cotisations sociales comme aux impôts directs et indirects, tout en refusant de salarier leurs livreurs. Aussi, cet article prévoit il l’interdiction d’employer des titres‑restaurants dématérialisés comme moyen de paiement sur lesdites plateformes.
L’article 5 extrait les titres‑restaurants de la base du « montant net social ». Car depuis l’été dernier, le « montant net social » qui sert de base de calcul pour l’obtention de la prime d’activité ou du revenu de solidarité active (RSA) tient compte des titres‑restaurants. Cela signifie que toute revalorisation des titres‑restaurants peut désormais conduire à diminuer, voire supprimer, une prestation préalablement ouverte au salarié. On paie ainsi le titre sur la fiche de paie, puis sur son compte bancaire, le transformant en pénalité pour les bas salaires.
L’article 6 prévoit que le décret en Conseil d’État précisant les modalités d’utilisation du titre‑restaurant prévoit également le montant maximal des commissions perçu par les émetteurs de titres‑restaurant auprès des commerçants agréés, les conditions de fongibilité du titre‑restaurant ainsi que la limite d’utilisation journalière, celle‑ci devant être supérieure dans le secteur de la restauration que dans les commerces de détail.
L’article 7 constitue le gage financier de la présente proposition de loi.
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proposition de loi
Article 1er
Le premier alinéa de l’article L. 3262‑1 du code du travail est ainsi rédigé :
« Le titre‑restaurant est un titre spécial de paiement remis par l’employeur aux salariés pour leur permettre d’acquitter en tout ou en partie le prix de tout produit alimentaire consommé au restaurant ou acheté auprès de personnes ou d’organismes exerçant la profession de restaurateur, d’hôtelier restaurateur ou une activité assimilée, ou auprès de tout commerce de détail alimentaire ou à prédominance alimentaire. »
Article 2
Au premier alinéa de l’article L. 3262‑5 du code du travail, les mots : « détaillant en fruits et légumes » sont remplacés par les mots : « organisme exerçant la profession de restaurateur, d’hôtelier restaurateur ou une activité assimilée, ou tout commerce de détail alimentaire ou à prédominance alimentaire ».
Article 3
Après l’article L. 3262‑1 du code du travail, il est inséré un article L. 3262‑1‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3262‑1‑1. – Les entreprises mentionnées au 2° de l’article L. 3262‑1 font l’objet d’un agrément par la commission nationale des titres‑restaurant.
« Cet agrément consiste en la vérification de la lisibilité des tarifs pratiqués par la société, notamment en vérifiant la communication et l’affichage d’un taux effectif global reprenant l’ensemble des frais et commissions de toute nature, pratiqués à l’émission comme à l’acceptation par ladite société. »
Article 4
Le deuxième alinéa de l’article L. 3262‑3 du code du travail est ainsi modifié :
1° À la fin, les mots : « ou la profession de détaillant en fruits et légumes » sont remplacés par les mots : « de détaillant en fruits et légumes et de tout commerce de détail alimentaire ou à prédominance alimentaire » ;
2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Les titres‑restaurants émis sous forme dématérialisée ne peuvent en aucun cas être utilisés via des entreprises de plateformes de mise en relation par voie électronique telles que définies par l’article 242 bis du code général des impôts. ».
Article 5
La section 3 du chapitre II du titre VI du livre II de la troisième partie du code du travail est complétée par un article L. 3262‑6‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3262‑6‑1. – Le montant net social servant au calcul des prestations sociales et indiqué sur les bulletins de paie mentionnés à l’article L. 3243‑2 ne peut comprendre les titres‑restaurant. »
Article 6
L’article L. 3262‑7 du code du travail est complété par des 5° à 7° ainsi rédigés :
« 5° Le montant maximal des commissions perçu par les émetteurs de titres‑restaurant auprès des commerçants agréés ;
« 6° Les conditions de fongibilité totale des titres‑restaurant ;
« 7° La limite maximale d’utilisation journalière des titres restaurant, à la fois dans la restauration et dans le commerce de détail. La limite pour la restauration est nécessairement supérieure de deux tiers à la limite pour le commerce de détail. »
Article 7
La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.