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N° 756
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 décembre 2024.
PROPOSITION DE LOI
relative à l’intérêt à agir des parlementaires,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Jérémie IORDANOFF, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, M. Erwan BALANANT, M. Jean-Pierre BATAILLE, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, Mme Colette CAPDEVIELLE, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Alexis CORBIÈRE, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Guillaume GAROT, M. Damien GIRARD, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Jérôme GUEDJ, M. Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Sacha HOULIÉ, Mme Émeline K/BIDI, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, M. Philippe LATOMBE, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, M. Emmanuel MANDON, Mme Julie OZENNE, Mme Maud PETIT, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, Mme Marie POCHON, M. Dominique POTIER, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Valérie ROSSI, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Eva SAS, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. David TAUPIAC, M. Boris TAVERNIER, M. Nicolas THIERRY, M. Roger VICOT, Mme Dominique VOYNET, Mme Estelle YOUSSOUFFA,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’État de droit est une valeur essentielle de notre régime politique. Sa règle cardinale est que l’administration doit toujours agir dans le respect du principe de légalité. La soumission de l’édiction des actes administratifs à la loi est une conquête fondamentale datant du XIXe siècle. Elle se traduit par le droit reconnu aux citoyens ayant intérêt à agir de contester devant le juge administratif, par le biais du recours pour excès de pouvoir, les actes administratifs qui leur font grief afin que leur légalité puisse être contrôlée.
Selon l’article 24 de la Constitution, « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». Il met ainsi en avant les deux fonctions classiques du Parlement dans un régime parlementaire que sont le vote de la loi et le contrôle du Gouvernement qui passe notamment par l’évaluation des politiques publiques. Dans ce cadre, les parlementaires, en tant qu’ils sont élus de la Nation, devraient avoir un intérêt à agir contre tout acte administratif de nature à méconnaître les compétences et prérogatives du Parlement.
Pourtant, de jurisprudence constante, le Conseil d’État estime qu’un parlementaire n’a pas, en cette seule qualité, intérêt à agir contre les actes administratifs, y compris le refus du pouvoir réglementaire d’édicter un décret d’application d’une loi pourtant votée par le Parlement et promulguée par le président de la République (CE, 23 novembre 2011, Masson, n° 341258). La justification de cette jurisprudence restrictive pour les droits des parlementaires serait, selon Jean Massot que le parlementaire en tant qu’il est le représentant de la nation tout entière « fait partie d’un cercle d’intérêt trop vaste pour que son action ne se confonde pas avec l’action populaire » (Conclusions sur CE, 2 février 1987, Joxe et Bollon, n° 82436).
Alors que les membres d’une assemblée délibérante locale ont toujours intérêt à agir contre les actes de l’exécutif local (CE, 4 avril 2014, Département de Tarn‑et‑Garonne, n° 358994), alors que soixante parlementaires peuvent déférer une loi votée au Conseil constitutionnel avant sa promulgation, le prétoire du juge administratif demeure fermé aux parlementaires sauf à se prévaloir d’une autre qualité, ce qui aboutit soit à des situations ubuesques, soit à un déni de justice.
C’est la raison pour laquelle l’ancien président de la Section du contentieux du Conseil d’État, Daniel Labetoulle, avait proposé de faire évoluer cette jurisprudence en reconnaissant aux parlementaires un intérêt à agir contre les actes administratifs de nature à méconnaître les compétences et prérogatives liées aux fonctions normatives et de contrôle du Parlement (Daniel Labetoulle, « Le recours pour excès de pouvoir du parlementaire », Revue juridique de l’économie publique, n° 675, 1er mai 2010, p. 2).
Cette proposition est pourtant restée lettre morte, alors même que les cas dans lesquels un parlementaire devrait avoir intérêt à agir se sont multipliés : que l’on songe, par exemple, à certains actes budgétaire pris en application de la loi organique relative aux lois de finances ou aux actes d’un gouvernement démissionnaire dont on a récemment pu constater qu’ils pouvaient excéder la simple gestion des affaires courantes alors même que ce gouvernement ne peut voir sa responsabilité engagée devant l’Assemblée nationale. L’impossibilité absolue pour un parlementaire de contester un acte administratif édicté par le pouvoir exécutif est un angle mort du pouvoir de contrôle du Parlement qu’il convient de combler.
L’intervention du législateur paraît nécessaire pour affermir notre État de droit et permettre aux parlementaires de s’assurer que l’administration respecte la règle de droit. Reprenant les propositions du président Labetoulle et afin que les parlementaires ne puissent pas contester tout acte, transformant le recours pour excès de pouvoir en actio popularis, la présente proposition de loi reconnaît un intérêt à agir limité aux parlementaires contre les actes administratifs qui seraient de nature à méconnaître les compétences et prérogatives liées aux fonctions normatives et de contrôle du Parlement. C’est l’objet de l’article unique qui vise ainsi à doter les parlementaires d’un outil supplémentaire pour assurer le contrôle de l’exécutif en leur permettant de saisir utilement le juge administratif.
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proposition de loi
Article unique
Le livre II du code des relations entre le public et l’administration est complété par un titre V ainsi rédigé :
« Titre V
« IntÉrÊt À agir des parlementaires
« Art. L. 244. – Les parlementaires ont intérêt à agir devant la juridiction administrative contre tout acte administratif de nature à méconnaître les compétences et prérogatives liées aux fonctions normatives et de contrôle du Parlement.
« Entrent notamment dans la catégorie mentionnée au premier alinéa du présent article, les actes liés à l’exécution de la loi, les actes d’un gouvernement démissionnaire excédant manifestement les prérogatives d’un tel gouvernement, ou encore les actes pris en application de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ».