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N° 769
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 janvier 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Benjamin LUCAS-LUNDY, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Delphine BATHO, Mme Lisa BELLUCO, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Karim BEN CHEIKH, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Idir BOUMERTIT, M. Pierre-Yves CADALEN, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Cyrielle CHATELAIN, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Alexis CORBIÈRE, M. Hendrik DAVI, M. Arthur DELAPORTE, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Emmanuel FERNANDES, M. Charles FOURNIER, M. Perceval GAILLARD, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. Steevy GUSTAVE, Mme Zahia HAMDANE, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, Mme Karine LEBON, M. Aurélien LE COQ, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, M. René PILATO, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, M. Arnaud SAINT-MARTIN, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. David TAUPIAC, M. Matthias TAVEL, M. Boris TAVERNIER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, M. Nicolas THIERRY, Mme Aurélie TROUVÉ, Mme Dominique VOYNET,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Notre histoire républicaine et sociale est intimement liée à notre histoire industrielle. Avec les révolutions industrielles, sont venues par les luttes collectives d’immenses progrès sociaux et démocratiques. Le sens de notre histoire sociale est clair : subordonner l’ordre économique à l’intérêt général. Ainsi, nous avons pu construire une grande nation industrielle et un État social protecteur.
Tant de conquêtes arrachées de haute lutte, d’emplois indispensables ont été et sont menacés par la recherche effrénée du profit à outrance, la mondialisation dérégulée, les logiques purement financières, l’abdication du politique devant la « main invisible du marché ».
Le désastre des suppressions d’emplois industriels en France constitue un terrible renversement des principes qui ont guidé notre pacte républicain. Chaque usine qui ferme malgré des bilans financiers positifs, chaque territoire abandonné à la désindustrialisation, est une négation des luttes passées et une atteinte au contrat social qui unit notre pays. À chaque fois, c’est l’avenir qui est hypothéqué et le déclin qui gagne du terrain. Notre pays ne peut accepter un tel déclassement.
Avec ce texte, nous entendons redonner à la puissance publique les moyens de réguler et d’orienter l’économie, et redonner aux citoyens, aux élus et aux représentants des salariés la capacité d’intervenir pour défendre l’emploi et préserver nos territoires.
Les licenciements dits boursiers dictés par des logiques de profit, malgré la rentabilité des sites concernés et leur importance sur leurs territoires, sont le symbole d’une économie déséquilibrée, où l’enrichissement à court terme de quelques‑uns prime sur l’avenir de tous. Ces pratiques, qui consistent à supprimer des emplois dans des entreprises pourtant rentables, n’ont pour but que d’augmenter la valeur des actions ou de maximiser les dividendes. Elles ne répondent ni à des nécessités économiques ni à des impératifs de compétitivité, mais à une logique purement spéculative. C’est un contresens économique et une faute sociale.
Les chiffres parlent d’eux‑mêmes : en 2023, près de 70 % des bénéfices des entreprises du CAC 40 ont été redistribués aux actionnaires, tandis que les investissements productifs et la hausse des salaires restaient marginaux. Dans le même temps, des milliers de salariés ont été sacrifiés sur l’autel de la rentabilité financière. Les conséquences de ces choix sont désastreuses à plusieurs titres :
1. Une perte d’attractivité pour le pays et nos territoires
Ce sont des compétences, des savoir‑faire et une productivité accumulés au fil des années qui sont balayés pour répondre à des impératifs financiers à court terme. Ce cercle vicieux freine l’innovation, réduit les capacités industrielles de notre pays et nous prive d’atouts stratégiques face à la concurrence internationale.
2. Un impact social et territorial insupportable
Un licenciement n’est pas qu’un chiffre, mais une tragédie humaine. Il s’agit de familles plongées dans l’incertitude, de salariés démunis face à des perspectives de reconversion souvent insuffisantes. Ces suppressions d’emplois frappent de plein fouet nos territoires, notamment les bassins industriels, qui se retrouvent confrontés à une double peine : la montée du chômage et l’effondrement de l’activité économique locale. Les licenciements boursiers créent des déserts économiques où les solidarités s’effritent et où le sentiment d’abandon nourrit une crise de confiance envers nos institutions.
3. Un détournement inacceptable des aides publiques
Nombre de ces entreprises ont bénéficié de subventions, d’exonérations fiscales ou d’autres formes d’aides publiques (Crédit Impôt Recherche dit CIR, Crédit D’Impôt pour l’Emploi et la Compétitivité dit CICE, etc.) pour maintenir leur activité ou financer des investissements. Ces aides, issues de l’effort collectif des citoyens, sont souvent détournées de leur objectif initial pour servir des stratégies financières opaques. C’est une injustice criante, qui mine la légitimité même de l’action publique et exacerbe les inégalités.
4. Une menace pour la souveraineté économique de la France
En laissant nos industries se désagréger sous la pression des marchés financiers, nous mettons en danger notre indépendance stratégique. Qu’il s’agisse de secteurs clés comme l’énergie, la métallurgie ou la pharmacie, la France ne peut se permettre de perdre ses capacités industrielles au profit de délocalisations ou de restructurations destructrices.
Face à ces constats, il est urgent d’agir. Combattre les licenciements boursiers, ce n’est pas seulement répondre à une urgence sociale, c’est réaffirmer une ambition économique. Il s’agit de protéger les emplois d’aujourd’hui tout en préparant ceux de demain.
Depuis plusieurs mois, à nouveau, notre pays est confronté à une vague massive de plans de licenciements qui se succèdent à un rythme effréné, détruisant et menaçant des milliers d’emplois partout en France. Ainsi, à titre d’exemple, en novembre dernier, le distributeur Auchan annonçait la suppression de 2 389 postes quasiment en même temps que l’annonce de la fermeture de deux sites de production par le Groupe Michelin menaçait 1 254 salariés et que le plan de restructuration dévoilé par Valéo prévoyait la suppression de 868 postes en France. Au total, près de 250 plans de licenciements seraient en préparation selon la Confédération Générale du Travail (CGT) menaçant près de 200 000 emplois en France. Ces licenciements sont qualifiés de « boursiers » en ce qu’ils n’obéissent pas à un impératif économique mais visent pour les entreprises à accroître toujours plus leur rentabilité financière, à l’instar du groupe Michelin qui a dégagé un bénéfice net de 2,6 milliards d’euros en 2023 et versé 1,4 milliard d’euros de dividendes en 2024, considérant les salariés comme de simples coûts à réduire.
Alors que les défaillances d’entreprises sont en nette hausse dans les petites et moyennes entreprises de plus de 50 salariés (+47 % selon les données publiées par Altares) et que la majorité des PSE ont lieu dans les entreprises de moins de 1 000 salariés, les entreprises de moins de 1.000 salariés ne sont aujourd’hui pas soumise à l’obligation de recherche d’un repreneur en cas de fermeture de site. C’est pourquoi cette proposition de loi étend l’obligation, introduite par la loi du 29 mars 2014 dite « Loi Florange », de recherche d’un repreneur pour les entreprises envisageant la fermeture d’un de ses établissements ayant pour conséquence un projet de licenciement collectif se traduisant par la mise en œuvre d’un PSE, à toutes les entreprises de plus de 250 salariés. Cette obligation contraint les directions d’entreprises à informer et consulter le Comité social et économique (CSE) sur les offres éventuelles de reprise et sur les projets de fermeture.
Face à la multiplication des plans de licenciements collectifs, il est par ailleurs nécessaire de renforcer le dialogue social en donnant plus de poids aux représentants du personnel. Alors qu’aujourd’hui un employeur procédant à un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) n’est tenu de consulter le CSE de l’entreprise qu’à titre informatif, il n’est plus acceptable qu’un PSE dont les contreparties sociales ne seraient pas satisfaisantes ou dont les alternatives, en particulier sur la recherche d’un repreneur dans le cadre de la « Loi Florange », n’auraient pas été suffisamment explorées, puisse être effectué contre l’avis des salariés et de leurs représentants. Pour y remédier, cette proposition de loi introduit un droit nouveau pour les représentants des salariés en conférant au CSE un droit de véto suspensif lors de l’engagement par l’employeur d’un PSE (article 2). Ce pouvoir de véto a vocation à permettre, lorsque les représentants des salariés estiment que des alternatives au plan de licenciement peuvent être trouvées ou que le contenu du PSE est insuffisant pour les salariés, de donner plus de temps à l’entreprise pour « revoir sa copie » et trouver éventuellement des alternatives à la fermeture d’un site industriel.
En outre, les plans de licenciements collectifs ayant des conséquences particulièrement néfastes pour les territoires, cette proposition de loi prévoit enfin d’augmenter le coût plancher des mesures de revitalisation pour les bassins d’emplois qui subissent des PSE (article 3). Les entreprises de plus de 1 000 salariés assujetties à l’obligation de revitalisation des bassins d’emploi doivent verser une contribution financière qui ne peut aujourd’hui être inférieure à deux fois la valeur du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) par emploi supprimé. Pour soutenir les bassins d’emploi affectés par des PSE, et alors que les conventions de revitalisation mobilisent souvent en pratique des montants plus importants que le seuil minimum prévu par le code du travail, le rehaussement du coût minimum des obligations de revitalisation vise à mettre davantage à contribution les grandes entreprises qui procèdent à des PSE dans une logique de « licencieur - payeur ».
Enfin, alors que les aides publiques aux entreprises représentent aujourd’hui près de 200 milliards d’euros par an et que leur versement n’est pas conditionné à un strict usage d’investissement et de maintien de l’emploi sur le territoire national, cette proposition de loi impose la restitution par les groupes procédant à des PSE des exonérations de cotisations sociales perçues au titre des emplois concernés par le licenciement collectif et le crédit impôt recherche perçu au cours des trois derniers exercices (article 4).
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proposition de loi
Article 1er
Au premier alinéa de l’article L. 1233‑57‑9 du code du travail, les mots : « mentionnée à l’article L. 1233‑71 » sont remplacés par les mots : « d’au moins 250 salariés ».
L’article L. 1233‑24‑4 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le document mentionné au premier alinéa doit être approuvé par le comité social et économique. »
À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 1233‑86 du code du travail, le mot : « deux » est remplacé par le mot : « quatre ».
La sous‑section 1 de la section 6 du chapitre III du titre III du livre II de la première partie du code du travail est complétée par un article L. 1233‑64‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1233‑64‑1. – Lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est mis en œuvre par l’employeur, l’entreprise rembourse les sommes perçues au titre de la réduction de cotisations sociales patronales mentionnée à l’article L. 241‑13 du code la sécurité sociale dont elle a bénéficié, au cours des trois derniers exercices, pour les salariés licenciés ainsi que les sommes perçues, au cours des trois derniers exercices, au titre du crédit d’impôt prévu à l’article 244 quater B du code général des impôts. »