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N° 771

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 janvier 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à faciliter l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Léa BALAGE EL MARIKY, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Delphine BATHO, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Alexis CORBIÈRE, M. Hendrik DAVI, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, M. Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Boris TAVERNIER, M. Nicolas THIERRY, Mme Dominique VOYNET,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Hospitalité signifie ici le droit qu’à l’étranger, à son arrivée sur le territoire d’autrui, de ne pas être traité en ennemi (…), le droit qui revient à tout être humain de se proposer comme membre d’une société ». 

Emmanuel Kant, Projet de paix perpétuelle, 1795 

« Toute personne a le droit de pouvoir travailler, lui permettant ainsi de vivre dans la dignité. Le droit au travail concourt à la fois à la survie de l’individu et de sa famille et, dans la mesure où le travail est librement choisi ou accepté, à son épanouissement et sa reconnaissance au sein de la communauté ». 

Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n° 18, article 6 du PIDESC, 24 nov. 2005, U.N. Doc. E/C.12/GC/18.

 

Mesdames et Messieurs, 

La question de l’exil révèle à quel point la révolution des droits demeure, en France, largement inachevée. 

Depuis l’ordonnance du 2 novembre 1945, la situation des étrangers subit, à force d’indifférence, une véritable régression. 

L’idée de traiter différemment les personnes n’ayant pas la nationalité française est aujourd’hui tristement banale. Nous nous sommes accoutumés à l’idée de leur dénier le droit d’avoir des droits. La logique d’exclusion l’emporte sur l’universalité des droits à laquelle nous sommes prétendument attachés (DDHC 1789, art. 1er). 

Cette obsession anti‑migratoire – qui nous entraîne sur une pente dangereuse pour les étrangers comme pour nous‑mêmes – n’épargne pas les demandeurs d’asile. 

Jusqu’en 1991, par dérogation à la règle de droit commun exigeant une autorisation de travail, le récépissé délivré aux demandeurs d’asile leur permettait d’accéder de plein droit au marché du travail. 

La circulaire du 26 septembre 1991 met fin à ce régime d’exception et exige des demandeurs d’asile qu’ils sollicitent eux aussi une autorisation de travail délivrée conformément au droit commun, c’est‑à‑dire compte tenu de la situation de l’emploi. 

Cette égalité de traitement entre étrangers admis au séjour s’effondre en 2005, sous l’influence du droit de l’Union européenne. À compter de cette date, un délai d’attente est imposé au demandeur d’asile qui souhaite une autorisation de travail. Initialement portée à un an, la période d’attente est réduite en 2015 à 9 mois avant d’être fixée à 6 mois par la loi n° 2018‑778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée un droit d’asile effectif et une intégration réussie, qui correspond à l’état actuel du droit. 

Cette limitation de l’accès au marché du travail produit ses effets : très peu de demandeurs d’asile accèdent au marché du travail avant la reconnaissance de leur statut de réfugié. Selon les données du ministère de l’intérieur pour l’année 2022, 4 254 demandes d’autorisation de travail au profit des demandeurs d’asile ont été déposées, sur 103 164 demandes d’asile (soit une proportion de 4,1 %) pour 1 148 autorisations délivrées (soit 27 % de décisions favorables). 

Rien n’impose pourtant une telle rigueur. Certes, la réglementation française n’est pas contraire au droit de l’Union européenne qui, depuis 2013, fait obligation aux États de garantir l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile dont la demande demeure toujours sans réponse passée un délai de neuf mois. 

Néanmoins, l’un des objectifs de la refonte de l’accueil des candidats à l’asile opérée en 2013 était de substituer le principe du libre accès au marché du travail à l’ancienne règle d’interdiction d’accès pendant une période déterminée. Dit autrement, l’Union européenne tolère le délai d’attente mais ne l’érige pas en principe. C’est pourtant bien ce à quoi se réduit notre droit. 

Il n’est dès lors pas étonnant que les auteurs du rapport de 2020 sur l’intégration professionnelle des demandeurs d’asile et des réfugiés considèrent que « les politiques publiques mises en œuvre en matière d’accès au marché du travail des demandeurs d’asile peuvent paraître excessivement restrictives au regard des objectifs de la directive » précitée. 

À tout le moins, le législateur français aurait pu opter pour une transposition un peu plus ambitieuse. Mais, guidé par le mythe de l’appel d’air, il a choisi d’exclure. 

Ce n’est qu’à titre exceptionnel, et - avouons‑le - discriminatoire, que sont prononcées des levées de restrictions, selon la nationalité des demandeurs d’asile. L’accueil des demandeurs d’asile ukrainiens qui ont pu accéder de plein droit au marché du travail - dispositif dérogatoire unanimement salué - en porte témoignage.

Disonsle tout net : notre législation est à la fois injuste et contreproductive.

Elle est injuste à double titre. 

Injuste d’abord parce qu’elle déroge au droit commun du droit du travail des étrangers et introduit une inégalité de traitement entre étrangers admis au séjour, au détriment d’une population vulnérable  les demandeurs d’asile. L’asile ne justifie pas de mal accueillir les demandeurs dont la vie est déjà bien difficile. Bien au contraire. Leur parcours migratoire marqué par le déracinement, la peur et la violence requiert une protection certes temporaire mais exigeante, conformément aux stipulations de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, laquelle prévoit que les États contractants facilitent l’accès au marché du travail des réfugiés. 

Injuste ensuite parce qu’en renvoyant les demandeurs d’asile à des revenus d’assistance, – soit 360 euros par mois, dont une partie sert à financer leur logement d’urgence – en les privant du droit de vivre du fruit de leur travail, elle les plonge nécessairement dans la précarité. Consacré au plus haut niveau de la hiérarchie des normes (Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, art. 6‑1 ; jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, préambule de la Constitution de 1946, alinéa 5), « le droit au travail est, ainsi que le rappelle le Défenseur des droits dans son rapport de 2016, soustendu par l’idée que la possibilité pour tout homme de gagner sa vie par l’exercice d’un travail librement consenti participe directement de sa dignité »

Notre législation est également contreproductive. 

Absurde d’abord parce qu’en plus de favoriser le recours au travail dissimulé, notre droit hypothèque l’inclusion future des étrangers en France. Cette longue période d’attente sans accès au marché du travail affecte en effet très largement leur capital humain. Privées du droit de mettre leurs talents au service de notre collectivité, les personnes finissent par perdre les compétences acquises dans leur pays d’origine et leur confiance en elles. Toutes les études démontrent que plus une période d’attente sans activité professionnelle est longue, moins l’intégration future est garantie dans toutes ses dimensions sociale, culturelle, et linguistique. 

Mais, cette politique n’est pas seulement nuisible pour nos hôtes. Elle l’est aussi pour nous‑mêmes : d’abord parce qu’elle prive nos territoires et nos entreprises de ressources humaines dans des secteurs qui peinent à recruter ; ensuite parce qu’elle n’est pas neutre pour nos finances publiques. Le temps d’attente avant de pouvoir accéder au marché du travail a bien un coût budgétaire : celui de l’aide sociale versée aux demandeurs d’asile à laquelle s’ajoutent les cotisations et impôts que la collectivité aurait pu percevoir si ces derniers avaient été autorisés à travailler. 

Pour l’ensemble de ces raisons, et dans le prolongement des recommandations formulées par le Défenseur des droits en 2016 ainsi que par les auteurs du rapport de 2020 précité, cette proposition de loi a pour objet de supprimer le délai d’attente imposé aux demandeurs d’asile afin de leur permettre de solliciter une autorisation de travail dès l’introduction de leur demande, dans les conditions du droit commun. La décision du Conseil d’État en date du 24 février 2022 implique également d’inclure dans ce dispositif les demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert en application du règlement (UE) n° 604/201.

Cette proposition constitue une option fiable à deux égards. 

L’ambition demeure tout d’abord mesurée. Le texte n’a pas vocation à remettre en cause le principe de l’autorisation de travail, et ce, en dépit des nombreuses imperfections qui l’entourent. Les employeurs qui souhaitent recruter un demandeur d’asile seront donc soumis à la procédure habituelle. Ils devront solliciter les services de la main‑d’œuvre étrangère qui examineront la demande au regard des critères actuels, parmi lesquels figure celui de la situation de l’emploi. Ils devront alors justifier qu’il n’existe aucune personne susceptible d’occuper le même poste sur le marché du travail national, à moins que la demande d’autorisation de travail soit formulée pour l’exercice d’un métier figurant sur la liste réglementaire des métiers dits « en tension ». Par ailleurs, l’autorisation de travail ne sera délivrée qu’à titre temporaire et n’a pas vocation à s’appliquer au‑delà de la période au cours de laquelle le demandeur d’asile bénéficie d’une admission provisoire de séjour, c’est‑à‑dire, en bonne logique, jusqu’à ce que le juge de l’asile ait statué sur le recours éventuellement formé à l’encontre du rejet par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) de sa qualité de réfugié (l’article 15&3 de la directive « Accueil » de 2013).

Les risques sont par ailleurs parfaitement maîtrisés. Cette proposition ne saurait avoir pour effet d’encourager les demandes d’asile. En effet, le texte ne propose nullement de créer un statut avantageux pour les demandeurs d’asile mais se borne à égaliser leurs conditions au regard des autres catégories d’étrangers. Pour le dire autrement, dans la mesure où les étrangers admis au séjour à un autre titre que l’asile bénéficient déjà d’un accès au marché du travail sans délai d’attente, les étrangers désireux de nous rejoindre pour des motifs économiques n’auront pas davantage intérêt à solliciter l’asile, du fait de ce texte.

 


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proposition de loi

Article unique

Après la première occurrence du mot : « asile », la fin de l’article L. 554‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigée :

« à compter de l’introduction de sa demande ainsi qu’au demandeur d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert en application du règlement (UE) n° 604/201 »