N° 779

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 janvier 2025.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant l’instauration de conventions citoyennes,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Hendrik DAVI, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, M. Mickaël BOULOUX, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Michel CASTELLANI, Mme Elsa FAUCILLON, M. Charles FOURNIER, Mme Élise LEBOUCHER, M. Sébastien PEYTAVIE, M. Boris TAVERNIER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Dominique VOYNET,

députés et députées.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Forme contemporaine de l’organisation politique de nos sociétés, la démocratie représentative suppose à la fois une distance et un lien entre représentés et représentants. De là naît la tension propre à la démocratie représentative qui en fait sans doute la faiblesse mais aussi la force. Dans cet équilibre toujours délicat à trouver et à préserver, l’essentiel tient, évidemment, à la nature et à la qualité du ou des liens. L’objet de la présente proposition de loi est, précisément, de créer, par l’institution et la réalisation de « conventions citoyennes » une nouvelle structure pour le débat public, afin de renouveler le lien démocratique.

La démocratie participative a tenu une place importante dans le débat public. Ce concept n’a eu qu’une mise en acte temporaire, sans institutionnalisation d’une pratique régulière, et ses modalités d’intervention sont demeurées confuses. Au moins 15 procédures de démocratie délibérative ont cependant été organisées par diverses autorités depuis 1998 dont les deux dernières ont eu une grande répercussion en raison de la mobilisation de nombreux citoyens et citoyennes sur des périodes longues, à l’initiative du Président de la République. Pourtant le déroulement des conférences ou conventions de citoyens (aujourd’hui nommées conventions citoyennes) a toujours été largement improvisé et ses conséquences politiques sont demeurées confuses. Afin de lui donner une portée effective, à plus long terme, il s’agit par ce texte de définir les modalités d’un exercice démocratique dont les citoyennes et citoyens seraient les acteurs principaux.

Le premier lien de la démocratie représentative est la participation électorale et la première structure du débat public, le Parlement. Par l’élection, les citoyennes et citoyens choisissent leurs représentants et une relation d’écoute, d’échange, d’information et de contrôle doit s’établir entre eux pour engager des politiques publiques par des propositions et des projets de lois qui seront précisés par le pouvoir réglementaire. La participation électorale est donc essentielle à l’autorité des assemblées représentatives dans les régimes constitutionnels contemporains.

Le deuxième lien repose sur le monde syndical, clef de voûte de la défense collective et individuelle des travailleurs. Les syndicats, à travers leurs représentants élus, mènent le dialogue social et protègent les intérêts des salariés. Ce contre‑pouvoir puissant est au cœur des mutations de la société et joue un rôle déterminant dans les conquêtes sociales. Aujourd’hui, les syndicats tentent de s’adapter et se transformer pour continuer de façonner l’avenir du travail face aux enjeux contemporains.

Le troisième lien, qui s’est progressivement affirmé, est la participation associative. Par l’adhésion à une association, quel que soit son objet – éducatif, sportif, culturel… – et quelle que soit sa forme, les citoyennes et citoyens créent des liens entre eux et pratiquent, en le reproduisant dans leurs activités sociales, le modèle représentatif. Ces associations tendent elles‑mêmes à créer des liens avec les représentants élus et, dans certains secteurs, particulièrement en matière d’environnement, pratiquent une politique systématique de veille des décisions de l’État sur le terrain en multipliant les actions en justice. La représentation de la société civile « associée » est donc tout aussi essentielle au fonctionnement de la démocratie représentative. Le Conseil économique, social et environnemental, autorité pourtant constitutionnelle, ne parvient pas à influencer la prise de décision. Ses études et avis sont souvent ignorés par le Parlement et par le Gouvernement, conduisant certains élus à demander sa suppression.

Le quatrième lien, que cette loi propose de reconnaître, est celui d’une participation citoyenne par la création d’une troisième structure du débat public, à travers la reconnaissance dans la Constitution des « conventions citoyennes ». Aujourd’hui, en effet, la qualité de citoyenne ou citoyen ne peut se réduire à celui d’électeur ni même à celui d’adhérent à une association ; il doit pouvoir s’exercer en dehors des moments électoraux et en dehors des formes associatives, à condition toutefois que cet exercice soit reconnu, institutionnalisé et organisé car il serait vain – et dangereux – de prétendre que l’on naît citoyen ou citoyenne. Les conventions citoyennes répondent à ce souci d’instituer un nouveau lien démocratique.

Des controverses peuvent apparaître face à certaines retombées ou certains usages des sciences et techniques, en raison notamment d’un déficit d’informations et de transparence. Les citoyennes et citoyens cherchent alors à être des parties prenantes de la décision publique. Il importe, comme cela a été initié par le Danish Board of Technology dès 1987, d’étudier les différents aspects d’une innovation pour en mesurer l’usage. Cette institution indépendante avait été créée par le Parlement danois afin d’apporter une aide à l’action des parlementaires, conscients de leur manque d’expertise sur les problèmes scientifiques et technologiques complexes, et de susciter l’avis des citoyennes et citoyens dûment éclairés par un processus de formation préalable. Il s’agit de créer, en France, une structure visant à réinsérer les citoyennes et citoyens dans le processus de décision publique, pour donner un sens plus contemporain à la participation. Celle‑ci est basée sur la délibération, par ces citoyennes et citoyens tirés au sort, autour des argumentations contradictoires produites par des personnes informées mais d’avis variés.

Réunion d’un groupe de citoyennes et citoyens tirés au sort ayant pour objet de délibérer sur un sujet d’intérêt général après avoir reçu une formation appropriée, la convention de citoyens soumet au débat public et parlementaire ou à un référendum ses recommandations à l’institution qui a demandé l’organisation de la convention. Pour remplir cette fonction, une convention citoyenne doit répondre à certaines conditions de formation, d’organisation et de fonctionnement. Car toute « réunion de citoyens » débattant d’un sujet d’intérêt général n’est pas, de ce seul fait, une convention citoyenne. C’est pourquoi, cette proposition de loi a pour objet de définir le cadre juridique des conventions citoyennes.

Les articles 1 et 2 étendent l’initiative des lois aux citoyens et citoyennes à travers les conventions citoyennes.

L’article 3 instaure que les propositions de la convention citoyenne prennent la forme d’une proposition de loi. Il détaille la procédure d’adoption de ce type de texte. Lors de la navette parlementaire, l’article précise notamment que la convention citoyenne dispose de deux mois pour rendre son avis sur le texte voté dans la première chambre.

L’article 4 donne la faculté au président de l’Assemblée nationale de soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par les membres d’une convention citoyenne, sauf si ces derniers s’y opposent.

L’article 5 instaure que la commission mixte paritaire comporte un nombre de membres de la convention citoyenne identique au nombre cumulé de sénateurs désignés par le Sénat et de députés désignés par l’Assemblée nationale, lorsqu’ils sont à l’initiative de la proposition de loi.

L’article 6 ajoute un titre dédié aux conventions citoyennes afin de fixer leurs modalités de création et de fonctionnement. L’initiative est partagée entre le Premier ministre, soixante députés ou soixante sénateurs ou les citoyennes et citoyens par l’exercice du droit de pétition. Les membres sont tirés au sort et une Commission de la Participation Citoyenne rattachée au Parlement est chargée de leur organisation.

Cette proposition de loi a été travaillée avec Démocratie Ouverte et Sciences Citoyennes.

 


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PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

Après la première occurrence du mot : « ministre », la fin de l’article 39 de la Constitution est ainsi rédigée : « L’initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre, aux membres du Parlement et aux citoyennes et citoyens. »

Article 2

Après l’article 39 de la Constitution, il est inséré un article 39‑1 ainsi rédigé :

« Art. 391. – Les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d’État et déposés sur le bureau de l’une des deux assemblées. Les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale sont soumis en premier lieu à l’Assemblée nationale. Sans préjudice du premier alinéa de l’article 44, les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat.

« La présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique.

« Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l’assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours. »

Article 3

Après l’article 39 de la Constitution, il est inséré un article 39‑2 ainsi rédigé :

« Art. 392. – Les propositions de la convention citoyenne prennent la forme d’une proposition de loi déposée au bureau de l’assemblée de leur choix.

« Des représentants de la convention citoyenne, désignés par cette dernière de manière à respecter la parité entre femmes et hommes, présentent ce texte à la commission saisie par cette assemblée pour examen de la proposition de loi.

« Cette première assemblée doit se prononcer sur la proposition de loi dans un délai de six mois après le dépôt à son bureau.

« Le texte voté en séance publique, avant transmission à l’autre assemblée, conformément à l’article 45, est transmis pour avis à la convention citoyenne. La convention citoyenne dispose d’un délai de deux mois pour se prononcer. Son avis est transmis au président de l’Assemblée nationale et au président du Sénat et publié dans le dossier législatif de chaque assemblée.

« Après transmission à l’autre assemblée, les représentants de la convention citoyenne, désignés par cette dernière présentent, dans la commission saisie, leur proposition et leur avis sur le texte adopté par la première assemblée. Cette deuxième assemblée doit également se prononcer sur la proposition de loi dans un délai de six mois après le dépôt à son bureau.

« En cas de désaccord sur la rédaction du texte de loi, une commission mixte paritaire est convoquée par les présidents des deux assemblées, conformément au dernier alinéa de l’article 45. En cas de désaccord après la réunion de la commission mixte paritaire, le texte est soumis au vote de l’Assemblée nationale »

Article 4

Après l’article 39‑3 de la Constitution, il est inséré un article 39‑3 ainsi rédigé :

« Art. 393. – Dans les conditions prévues par la loi, le président d’une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose, ou une proposition de loi déposée par les membres d’une convention citoyenne, sauf si ces derniers s’y opposent. »

Article 5

Après le deuxième alinéa de l’article 45 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque la proposition de loi est à l’initiative des membres d’une convention citoyenne, la commission mixte paritaire comporte un nombre de membres de la convention citoyenne identique au nombre cumulé de sénateurs désignés par le Sénat et de députés désignés par l’Assemblée nationale. »

Article 6

Après l’article 71‑1 de la Constitution, il est inséré un titre XI ter ainsi rédigé :

« Titre XI ter

« Des conventions citoyennes 

« Art. 712. – Le Premier ministre, soixante députés ou soixante sénateurs ou les citoyennes et citoyens par l’exercice du droit de pétition, peuvent demander la création d’une convention citoyenne.

« La demande de convention citoyenne doit porter sur une question d’intérêt général. Les membres de la convention sont des citoyens tirés au sort parmi toutes les personnes de nationalité française ou résidant régulièrement en France. L’anonymat des membres de la convention citoyenne est garanti jusqu’à son terme. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles est exercé le droit de pétition.

« Art. 713. – Une commission de la participation citoyenne rattachée au Parlement est chargée d’organiser les conventions citoyennes. Le mandat des membres de la commission de la participation citoyenne est de cinq ans. Il n’est pas renouvelable.

« La commission de la participation citoyenne est composée de :

« 1° cinq représentants désignés par le président de l’Assemblée nationale, de cinq représentants désignés par le président du Sénat, de dix représentants désignés par le président du Conseil économique, social et environnemental. Ces désignations reproduisent la configuration politique des assemblées et catégorielle du Conseil ;

« 2° vingt personnes tirées au sort parmi les personnes ayant participé à une précédente convention citoyenne organisée dans le cadre de la procédure décrite par la loi. De manière transitoire, ces vingt personnes sont désignées selon des modalités fixées par la loi organique.

« Le déport est immédiat et automatique pour un membre de la commission de participation citoyenne en cas de conflit d’intérêts manifeste. »

« Art. 714. – La commission de la participation citoyenne a pour mission d’enregistrer les demandes d’organisation d’une convention citoyenne, de vérifier leur recevabilité au regard de l’article 71‑2 et d’instruire la saisine dans le respect des principes généraux énoncés par la loi organique relative aux conventions citoyennes.

« La commission de la participation citoyenne présente chaque année au Conseil économique, social et environnemental, au Président de la République, au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat, un rapport qui rend compte de son activité générale et comprend une annexe regroupant les évaluations des conventions citoyennes organisées.

« Une loi organique détermine les modalités d’organisation et de fonctionnement de la commission de la participation citoyenne et des conventions citoyennes. ».