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N° 780
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 janvier 2025.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
visant à soumettre l’envoi de militaires à l’étranger à l’autorisation du Parlement,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Bastien LACHAUD, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Mathilde PANOT, les membres du groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire [(1)],
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Aucune question ne doit échapper au contrôle démocratique, et singulièrement pas les questions de défense, qui engagent la nation toute entière avec ses soldats. Ainsi, le contrôle parlementaire des décisions engageant la nation dans des conflits armés à l’étranger est essentiel. Pourtant, l’état actuel de notre Constitution ne garantit pas ce contrôle, alors que c’est une exigence démocratique fondamentale.
L’article 35 de la Constitution prévoit depuis 1958 que « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». Toutefois, en 2008, le Constituant a estimé nécessaire de compléter cet article par trois alinéas prévoyant le cas des interventions des forces armées à l’étranger qui n’impliqueraient pas une déclaration de guerre.
En effet, la notion de « déclaration de guerre » tend à devenir obsolète étant donnée l’évolution de la conflictualité au début du XXIe siècle, puisque les conflits de haute intensité entre deux armées régulières n’étaient plus envisagés comme la forme principale d’intervention des forces armées. L’absence de déclaration de guerre plaçait la guerre hors du contrôle du Parlement. La notion d’intervention des forces armées à l’étranger, introduite dans la Constitution, permettait donc au Parlement de reprendre le contrôle sur les activités effectives des armées. A minima le Parlement doit être informé sur les objectifs poursuivis par le gouvernement en faisant intervenir les forces armées à l’étranger sous trois jours, et la prolongation de l’intervention au‑delà de quatre mois est soumise à son accord explicite. Ces dispositions sont peu contraignantes car aucun accord du Parlement n’est requis a priori, et l’autorisation ne vient qu’au bout de quatre mois. Le Constituant n’a pas prévu non plus que le Parlement donne à nouveau son accord en cas de prolongation ultérieure.
Par exemple, quand en janvier 2013, l’opération Serval au Mali a été lancée, elle a bien fait l’objet d’un vote 4 mois plus tard, en avril. Mais quand en août 2014, l’opération Barkhane remplace Serval, celle‑ci ne fait l’objet d’aucune information formelle du Parlement, et d’aucun vote, en violation flagrante de la Constitution, puisqu’il s’agit d’une nouvelle intervention avec de nouveaux objectifs bien différentes de ceux de Serval. Jusqu’à la fin de l’opération Barkhane en 2022, le Parlement ne s’est jamais prononcé, alors qu’elle a mobilisé des milliers de soldats et que 58 militaires français ont perdu la vie sur ce théâtre d’opérations. Ainsi, les opérations militaires au Mali ont été prolongées près de 10 ans sans que jamais le Parlement n’ait à se prononcer à nouveau, alors que les conditions initiales qui avaient conduit le Parlement à voter le prolongement de Serval avaient considérablement évolué. Aussi, il est indispensable que la Constitution prévoie une autorisation régulière du Parlement pour prolonger un envoi de militaires à l’étranger et non une autorisation unique qui pourrait ne jamais être renouvelée pendant près d’une décennie.
Plus encore, les nouvelles pratiques du gouvernement tendent à trouver des moyens d’éviter les obligations, pourtant minimales, prévues par la Constitution. Sous couvert de ce que le gouvernement a nommé les « missions opérationnelles » (MISSOPS), il contourne délibérément le contrôle déjà peu contraignant prévu par l’article 35 de la Constitution. Il prive ainsi le Parlement de tout pouvoir de décision. En effet, la notion « d’intervention » à l’étranger n’a pas été précisée par le Constituant, elle ne correspond pas exactement à la notion d’OPEX (opération extérieure) qui est une nomenclature du ministère des armées définie par la loi de programmation militaire de 2013. En créant une catégorie ad hoc, qui n’est définie nulle part, le Gouvernement engage les forces armées sans aucune approbation ni préalable ni postérieure des représentants de la nation. La guerre, ou l’intervention qui pourrait entraîner notre pays dans la guerre, est décidée sans aucun vote parlementaire. Ce fonctionnement va à l’encontre des principes fondamentaux d’une République où le peuple doit demeurer maître des engagements militaires de la nation.
Ces dérives antidémocratiques sont inacceptables. Aussi, les rédacteurs du présent texte proposent d’établir un contrôle démocratique a priori de l’envoi de militaires français à l’étranger. Le Parlement doit pouvoir donner son autorisation avant tout départ de nos militaires et non après un délai de 4 mois. Ce laps de temps est profondément antidémocratique. Imaginons qu’au terme de ces 4 mois, le Parlement décide de s’opposer à la poursuite de l’intervention : cela contraindrait la France à un retrait précipité, avec des conséquences stratégiques, opérationnelles et diplomatiques potentiellement graves. Les élus se retrouveraient alors contraints de valider ou de rejeter a posteriori une décision déjà exécutée, plaçant le Parlement face au fait accompli. Ce n’est pas la même chose de ne pas décider de déployer des militaires, que de décider qu’ils doivent rentrer alors qu’ils sont déjà déployés.
Ces mécanismes fragilisent la légitimité démocratique des opérations en rendant opaques les décisions concernant la défense nationale. L’envoi de troupes françaises, depuis 2022, pour la mission Aigle en Roumanie dans le cadre du renforcement du flanc Est de l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) aurait dû faire l’objet d’un débat et d’une autorisation du Parlement mais sous le prétexte qu’il n’y aurait pas de combat, le gouvernement a estimé qu’il ne s’agirait pas d’une « intervention » au sens de l’article 35 de la Constitution. Pourtant, le sens du renforcement du flanc Est de l’OTAN est de prépositionner des forces en cas d’agression russe. Si une telle hypothèse venait à advenir, les militaires français seraient directement confrontés à cette agression, et dans l’obligation, a minima, de se défendre. Cela placerait, de fait, la France en guerre avec la Russie. Ainsi, des mécanismes qui peuvent nous conduire à la guerre avec une autre puissance nucléaire ont été décidés sans aucun vote du Parlement. C’est un scandale démocratique inédit.
En cohérence avec cette exigence démocratique, la présente proposition de loi constitutionnelle vise à modifier l’article 35 pour renforcer les prérogatives du Parlement. Désormais, tout envoi des forces armées à l’étranger devra être autorisé préalablement par un vote des deux chambres, et toute prolongation de l’intervention sera soumise à un renouvellement annuel de cette autorisation. Ce cadre s’inscrit dans une logique simple : garantir que l’engagement militaire de notre pays repose sur un consensus national, résultant d’une délibération démocratique.
En redonnant tout son rôle au Parlement dans les affaires de défense nationale, cette révision constitutionnelle réaffirme le rôle essentiel de nos institutions démocratiques : permettre un contrôle régulier et légitime des décisions stratégiques majeures. En permettant aux élus de la Nation de voter les opérations militaires, nous créons les conditions d’une réelle responsabilité démocratique de la France sur ses théâtres opérationnels, à la hauteur des enjeux diplomatiques et militaires du XXIe siècle marqué par une montée des tensions géopolitiques.
L’article unique prévoit de soumettre l’envoi de forces armées à l’étranger à l’autorisation préalable du Parlement, et au renouvellement annuel de celle‑ci.
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PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Article unique
L’article 35 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« L’envoi des forces armées à l’étranger est autorisé par le Parlement. » ;
2° La première phrase du troisième alinéa est ainsi modifié :
a) Au début, les mots : « Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, » sont supprimés ;
b) Sont ajoutés les mots : « tous les ans » ;
3° Le dernier alinéa est supprimé.
[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Aurélien LE COQ, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER.