N° 823
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 janvier 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à simplifier la sortie de l’indivision successorale,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Louise MOREL, M. Nicolas TURQUOIS,
députés.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La question des logements vacants, dans le contexte actuel de crise du logement, est une problématique épineuse à laquelle il faut s’attaquer. En effet, d’après l’Observatoire des Territoires, il y avait 91 300 logements vacants sur les quelques 34 995 communes de France métropolitaine et d’Outre‑mer en 2021.
Parmi ces logements, on retrouve notamment des biens en attente de règlement d’indivision post‑communautaires ou successorales. Or, d’après un rapport de l’Inspection générale de la justice de 2021, ces contentieux font partie des dossiers civils longs et complexes.
En effet, lors d’une succession, le patrimoine du défunt peut échoir à plusieurs héritiers qui se retrouvent alors en situation d’indivision. Chaque indivisaire devient propriétaire d’une quote‑part du patrimoine successoral. Face à cette situation, le code civil offre à toutes les parties des droits contradictoires. D’un côté, en vertu de l’article 815 du code civil, « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué ». De l’autre, l’article 545 du code civil dispose que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété ». Ce faisant, lorsqu’un indivisaire veut sortir de cette situation, il peut se retrouver confronté au refus de ses co-indivisaires ; la succession est alors bloquée.
Cette situation est susceptible de durer longtemps, très longtemps, et certaines indivisions successorales litigieuses durent depuis 20, 30 ou 40 ans.
Ainsi, nous assistons à la multiplication des biens immobiliers en état d’abandon, que ce soit la conséquence d’indivisions conflictuelles ou de successions vacantes, lorsqu’aucun héritier n’a pu être trouvé. La Direction nationale d’intervention domaniale (DNID) évalue à 22 % du stock immobilier total disponible (soit plus de 5 500 immeubles en 2022) ces immeubles en succession vacante, parfois à l’abandon depuis de nombreuses années. Ces biens vacants sont source de nuisances importantes pour le voisinage (squats, biens menaçant ruine, etc.).
Les exemples de biens laissés à l’abandon sont particulièrement nombreux dans les territoires ruraux, où les communes sont perdantes à plus d’un titre : perte de foncier bâti dans un contexte de zéro artificialisation nette des sols, immeubles à haute valeur historique menaçant ruine qui occasionneront un surcoût de rénovation important, voire un risque de démolition pour les biens occasionnant péril, etc.
Il en résulte de nombreuses complications justifiant de faire évoluer le cadre juridique en vigueur. Les intérêts sont nombreux : anticiper l’abandon de biens immobiliers, faciliter la résolution de conflits familiaux, faciliter la mobilité foncière, délestage de dossiers en sommeils pour les notaires, délestage du juge, opportunité de clore une succession trop longtemps bloquée, opportunité pour les collectivités territoriales désireuses d’aménager le foncier bâti de la commune, etc.
Dans un contexte où 4,1 millions de personnes sont mal‑logées en France ([1]), la lutte contre les logements vacants doit être une priorité.
L’article 1 vise à la création d’une base de données relative au recensement des biens abandonnés. L’objectif est d’avoir une cartographie précise de ces biens et de mesurer l’ampleur du phénomène à grande échelle.
L’article 2 vise à mettre fin aux indivisions comprenant au moins un indivisaire dont la succession est déclarée vacante.
Dans l’exercice de sa mission de curateur à succession vacante (art. 809 à 810‑12 C. civ.), la DNID est amenée à réaliser l’inventaire estimatif des actifs immobiliers des successions dont la gestion lui est confiée, afin de désintéresser les créanciers déclarés.
À ce titre, elle se trouve fréquemment confrontée à des situations d’indivision sur des biens immobiliers. Dans ce cas, la DNID s’efforce d’identifier et de prendre contact avec les autres indivisaires afin d’envisager dans les meilleurs délais une sortie amiable de l’indivision, qui pourra prendre la forme d’une cession de la quote‑part de la succession gérée à l’un ou plusieurs des indivisaires, ou la vente du bien indivis à un tiers en concours avec les indivisaires et le partage du prix de vente.
Toutefois, la DNID se heurte bien souvent à des difficultés d’ordre pratique lorsque :
– les autres indivisaires peuvent être taisants, récalcitrants, introuvables ou même non identifiables ;
– le bien indivis est de faible valeur et/ou en état de délabrement (ruines, friches, etc.), les démarches pour sortir de l’indivision étant jugées trop coûteuses au regard de la valeur du bien.
Or, la législation actuelle répond imparfaitement aux impératifs et difficultés de gestion de la DNID.
L’article 2 vise donc à faire évoluer la réglementation, notamment lorsque le bien est de faible valeur ou dégradé, et/ou qu’il est en indivision entre de très nombreuses personnes, dont certaines sont non identifiées ou introuvables. La DNID pourrait ainsi vendre mieux et plus rapidement les immeubles, éviter leur dégradation et diminuer leurs coûts de gestion.
L’article 3 a vocation à simplifier le partage des biens indivis et à raccourcir les délais des litiges suite à des successions.
En effet, si le recours amiable est de manière générale à privilégier dans la plupart des matières, il apparaît que cela ne fonctionne pas en matière d’indivision litigieuse. De fait, il suffit à l’indivisaire qui ne souhaite pas vendre de ne pas participer à la procédure de partage amiable par la politique de la « chaise vide » pour faire traîner l’affaire en longueur.
Le 1° a pour objectif d’étendre le bénéfice de l’article 815‑7‑1 à tout le territoire (et non plus aux seuls départements de Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion et Saint‑Martin) afin de permettre à un indivisaire d’effectuer des travaux d’amélioration, réhabilitation et de restauration de l’immeuble, ou encore de le donner à bail à titre d’habitation principale, et ce lorsqu’un immeuble indivis à usage d’habitation ou à usage mixte d’habitation et professionnel est vacant ou n’a pas fait l’objet d’une occupation effective depuis plus de deux années civiles.
Cette mesure suit un but d’intérêt général dans le contexte de crise du logement que nous connaissons, dans la mesure où elle évite qu’un logement habitable tombe en décrépitude ou ne soit laissé vacant. Il semble donc particulièrement nécessaire que ce dispositif ne soit plus seulement applicable en outre‑mer mais sur l’ensemble du territoire de la République.
Le 2° vise à permettre aux indivisaires présents à un partage amiable d’imposer la décision prise d’un commun accord à ceux qui essaieraient de se soustraire à la négociation de manière dilatoire.
Les 3° et 4° étendent le principe de la loi n° 2018‑1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre‑mer, dite « loi Letchimy », qui autorise les indivisaires d’une succession ouverte depuis plus de dix ans représentant la majorité des droits indivis, à provoquer la vente ou le partage des biens immobiliers indivis.
La réussite de ce dispositif outre‑mer pour réduire le nombre de biens vacants, permet de nourrir de solides espoirs quant à la réduction du stock de successions bloquées et à la récupération de foncier sur tout le territoire, tout en diminuant fortement la durée pendant laquelle un bien peut rester à l’abandon dans ce cas de figure. Ce dispositif serait également transitoire, initialement applicable jusqu’en 2028, puis prolongé jusqu’en 2038 par la loi du 9 avril 2024 relative à la lutte contre l’habitat dégradé.
Enfin, le II vise à supprimer les articles 1 à 3 de la loi Letchimy qui sont ainsi codifiés dans le droit commun.
L’article 4 étend le principe de la voie de juridiction gracieuse de la loi du 1er juin 1924 du droit local alsacien‑mosellan au droit civil, afin de ne pas réserver la possibilité d’un recours en justice uniquement si une procédure de partage amiable a été réalisée. À terme, l’objectif serait de transposer la procédure de partage judiciaire qui fonctionne beaucoup mieux en Alsace‑Moselle comparé au reste de la France. Il appartiendra par la suite au ministère de la justice de procéder aux modifications du code de procédure civile.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la création d’une base de données relative au recensement des biens abandonnés.
Article 2
Après l’article 815‑1‑2 du code civil, sont insérés des articles 815‑5‑2 et 815‑5‑3 ainsi rédigés :
« Art. 815‑5‑2. – Dans les indivisions constituées depuis au moins dix ans ou comprenant un indivisaire décédé depuis au moins deux ans dont la succession a été déclarée vacante, et lorsque l’identité ou l’adresse d’un ou de plusieurs des indivisaires n’est pas connue, l’autorité administrative chargée du domaine peut être autorisée par le tribunal judiciaire à passer seule l’acte de vente du bien indivis devant notaire ou à requérir sa vente par voie de licitation, et à demander l’ouverture des opérations de compte liquidation et partage. La demande est portée devant le tribunal judiciaire du lieu de situation de l’immeuble par voie d’assignation délivrée aux indivisaires connus. Il est procédé à la publicité de l’assignation dans les conditions fixées par décret. Le tribunal s’assure de la régularité des publicités et peut autoriser l’aliénation du bien indivis et le partage s’il n’est pas porté une atteinte excessive aux intérêts des indivisaires qui n’ont pu recevoir assignation. Le dispositif du jugement fait l’objet d’une mesure de publicité dans les conditions fixées par décret. Les mesures de publicité sont faites aux frais de l’indivision. Après partage, les sommes à revenir aux indivisaires dont l’identité ou l’adresse ne sont pas connues sont consignées à la caisse des dépôts et consignations. La vente et le partage leur sont opposables.
« Art. 815‑5‑3. – Dans les indivisions constituées depuis au moins dix ans ou comprenant un indivisaire décédé depuis au moins deux ans dont la succession a été déclarée vacante, et que l’un des indivisaires s’oppose à la vente ou n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté, l’autorité administrative chargée du domaine peut être autorisée par le président du tribunal judiciaire du lieu de situation de l’immeuble à passer seule l’acte de vente du bien indivis dès lors que celui‑ci n’excède pas une valeur fixée par décret. La demande est formée par voie de requête. L’ordonnance autorisant la vente en rappelle les modalités. L’aliénation du bien indivis n’est autorisée que si celle‑ci ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts des indivisaires. Les indivisaires sont informés par la notification, par voie recommandée ou par acte extrajudiciaire, d’une copie de la requête et de l’ordonnance, avec l’indication qu’ils peuvent contester l’ordonnance, à peine d’irrecevabilité, dans les deux mois auprès du président du tribunal judiciaire du lieu de situation de l’immeuble. Une publicité est assurée dans les conditions fixées par décret. Une copie de la requête, des pièces sur lesquelles elle se fonde et de l’ordonnance est consultable auprès du notaire chargé de la vente. À défaut de contestation, la vente ne peut avoir lieu que deux mois après la dernière des notifications et des mesures de publicité prévues aux alinéas précédents. À peine d’irrecevabilité, les recours sont dénoncés au notaire chargé de la vente, ainsi qu’au service des domaines et aux indivisaires dont l’identité a fait l’objet de la publicité. Les mesures de publicité sont faites aux frais de l’indivision et prescrites à peine de nullité de la vente. Après paiement des créanciers de l’indivision et en l’absence de partage dans les six mois de la vente, le reliquat éventuel du prix de vente est consigné à la caisse des dépôts et consignations. À défaut de contestation de l’ordonnance, la vente est opposable aux indivisaires. »
Article 3
I. – Le titre Ier du livre III du code civil est ainsi modifié :
1° Au début de l’article 815‑7‑1, les mots : « En Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Saint‑Martin, » sont supprimés ;
2° L’article 835 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « présents et » sont supprimés ;
b) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« À défaut d’opposition, la vente ou le partage est opposable aux indivisaires qui ne sont pas à l’initiative du projet » ;
3° L’article 837 est ainsi rédigé :
« Art. 837. – Pour toute succession ouverte depuis plus de dix ans, le ou les indivisaires titulaires de plus de la moitié en pleine propriété des droits indivis peuvent procéder, devant le notaire de leur choix, à la vente ou au partage des biens immobiliers indivis, selon les modalités prévues à l’article 837‑1 du code civil ».
4° Après le même article 837, est inséré un article 837‑1 ainsi rédigé :
« Art. 837‑1. – I. – Nul acte de vente ou de partage ne peut être dressé suivant la procédure prévue à l’article 837 du code civil :
« 1° En ce qui concerne le local d’habitation dans lequel réside le conjoint survivant ;
« 2° Si l’un des indivisaires est mineur, sauf autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille ;
« 3° Si l’un des indivisaires est un majeur protégé, sauf autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille ;
« 4° Si l’un des indivisaires est présumé absent, sauf autorisation du juge des tutelles dans les conditions prévues à l’article 116 du code civil.
« II. – Le ou les indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis peuvent effectuer les actes prévus aux 1° à 4° de l’article 815‑3 du même code.
« III. – Pour l’appréciation de l’atteinte du seuil de la moitié des droits indivis mentionné aux I et II, peut être dressé selon les modalités fixées aux articles 730‑1 à 730‑5 du code civil, à la demande d’un ou plusieurs indivisaires, un acte de notoriété contenant l’affirmation qu’ils sont, seuls ou avec d’autres qu’ils désignent, propriétaires indivis du bien, et dans quelles proportions.
« IV. – Le présent article s’applique aux projets de vente ou de partage notifiés dans les conditions prévues à l’article 2 de la présente loi et aux actes effectués en application du III du présent article avant le 31 décembre 2038. »
II. – Les articles 1 à 3 de la loi n° 2018‑1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre‑mer sont abrogés.
Article 4
L’article 840 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 840. – Le partage judiciaire a lieu par voie de juridiction gracieuse, dans les conditions prévues par le code de procédure civile. Est réservé aux parties intéressées le droit de provoquer par voie d’assignation une décision sur le fond et la recevabilité du partage. »
([1]) Rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, L’état du mal-logement en France, 2023.