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N° 896

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 février 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à créer un statut de détresse environnementale par l’élargissement du cadre de la protection subsidiaire,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Élisa MARTIN, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les déplacements forcés liés aux changements climatiques ne sont plus ni une hypothèse ni une projection. Le réchauffement climatique, d’origine humaine, a déjà des effets inévitables et irréversibles.

Le mois de juin 2024 fut le mois le plus chaud jamais enregistré dans le monde, ce qui en fait le 13e mois d’affilée à battre des records de température. À ce rythme, et à la vue de l’insuffisance des politiques publiques mises en place à l’heure actuelle, le réchauffement au niveau planétaire devrait être d’environ 1,5° C au début des années 2030, d’environ +2° C autour de 2050 et, en 2100, d’environ 3° C.

Le réchauffement de la température moyenne sur Terre est actuellement de +1,45° C par rapport à la période 1850‑1900. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) précise que la fourchette de l’augmentation totale de la température à la surface du globe due à l’activité humaine est comprise entre 0,8° C et 1,3° C, la meilleure estimation étant de 1,07° C. Il est déjà possible d’observer les conséquences immédiates du dérèglement climatique, que sont l’augmentation de la fréquence, de la durée et de l’intensité des événements météorologiques extrêmes comme les inondations, tempêtes, cyclones, sécheresses, épisodes caniculaires, etc. La fonte des glaces, l’élévation du niveau des mers, l’érosion progressive des côtes, la désertification, la raréfaction des ressources, le bouleversement des écosystèmes et la disparition de certaines espèces sont d’autres phénomènes qui sont perceptibles aujourd’hui. Ces impacts sont différents d’une région à l’autre mais concernent toute la planète et ne cesseront de s’intensifier dans les années à venir.

À titre d’exemple, les pluies diluviennes qui se sont abattues sur le Pakistan en 2022 ont plongé un tiers du territoire sous l’eau. Selon les estimations de l’organisation internationale pour les migrations (OIM), 10 millions de personnes ont dû se déplacer. Dans la région du Sahel central comme dans la Corne de l’Afrique, la sécheresse s’impose petit à petit au détriment des sols et des besoins alimentaires des populations, réduisant drastiquement les possibilités de vivre sur place et obligeant celles‑ci à se déplacer.

Au‑delà des bouleversements causés par le réchauffement climatique, de nombreuses perturbations environnementales à la source de déplacements de populations sont directement induites par l’activité humaine. On peut penser aux pollutions, ponctuelles ou graduelles, qui découlent du fonctionnement de diverses industries, mais aussi à la dégradation voire à l’épuisement des ressources naturelles, causés par un système extractiviste toujours plus prédateur. Cette logique de captation des ressources par des acteurs privés comme publics est souvent dommageable pour les individus. En découlent des déplacements de populations, parfois délibérément orchestrés par les acteurs convoitant les ressources, ou du fait de diverses crises (alimentaires, hydriques, sanitaires…) générées par les projets en question. Le mégaprojet pétrolier de TotalEnergies en Ouganda, où la firme française fore actuellement plus de 400 puits de pétrole au cœur d’un parc naturel en est une triste illustration. Outre ses conséquences désastreuses sur l’environnement et le climat, ce projet continue de provoquer une insécurité alimentaire avérée et de menacer considérablement la biodiversité et les ressources en eau à proximité. Plus de 118 000 personnes ont déjà été expropriées totalement ou partiellement de leurs terres et ont in fine été contraintes de se déplacer ([1]).

Aujourd’hui, des organisations non gouvernementales (ONG) de premier plan comme Amnesty International l’affirment : les effets du changement climatique figurent parmi les grands motifs de départ. En effet, le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) évalue qu’en moyenne, depuis 2008, 21,5 millions de personnes ont été déplacées chaque année de force à cause de catastrophes environnementales, ou en conséquence de la crise climatique. Le HCR alerte depuis 2008 sur le fait que le changement climatique pourrait causer 250 millions de nouveaux déplacés environnementaux d’ici à 2050 ([2]).

Ces déplacements, essentiellement internes aujourd’hui, couvriront une dimension de plus en plus internationale dans les années à venir, au fur et à mesure de l’aggravation de la crise climatique.

En dépit de ces réalités et de l’urgence climatique en cours, il existe actuellement un vide juridique en matière de reconnaissance des déplacés environnementaux. La nécessité d’un élargissement des critères d’octroi d’accès à la protection internationale est pourtant reconnue de manière croissante, aussi bien au niveau mondial qu’aux échelons régionaux.

Au niveau international, la définition de travail choisie par l’OIM concernant les exilés environnementaux apparait en 2007 comme une première étape pertinente en vue de travaux futurs. Ainsi, la notion d’exilés environnementaux désigne « des personnes ou groupes de personnes qui, pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur foyer habituel ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement et qui, de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent » ([3]).

En 2018, le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, proposait de prendre en compte les « migrations environnementales » dans un cadre général, et renforçait l’idée de la migration comme voie d’adaptation face aux conséquences des changements climatiques. Si cet effort doit être salué, il faut noter qu’il se limite alors à un accord non contraignant pour les États.

En 2020, le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a rendu un avis historique après avoir été saisi dans le cadre d’une expulsion à la suite du refus d’une demande d’asile. Ainsi, le Comité a conclu dans l’affaire Ioane Teitiota c/ Nouvelle‑Zélande, que les personnes fuyant les effets du changement climatique et des catastrophes naturelles ne devraient pas être renvoyées dans leur pays d’origine si leurs droits humains fondamentaux sont menacés, et particulièrement le droit à la vie.

En 2020 encore, le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a partagé ses considérations juridiques relatives aux demandes de protection internationale faites dans le contexte des effets néfastes du changement climatique et des catastrophes environnementales. La conclusion était la suivante : « Les personnes qui recherchent une protection internationale dans le contexte des effets néfastes du changement climatique et des catastrophes peuvent avoir des raisons valables de demander le statut de réfugié. (…) En outre, il peut exister des motifs de protection internationale en vertu du droit international général relatif aux droits de l’homme, notamment des obligations de nonrefoulement, y compris le droit à la vie. (…) Qu’une telle demande de protection résulte d’effets soudains ou lents du changement climatique ou des catastrophes, les États sont tenus de garantir l’accès à des procédures de détermination du statut de réfugié équitables et efficaces (…) »([4])

Au niveau régional, la Convention de Kampala adoptée par l’Union africaine pour la protection des déplacés internes en Afrique en 2009, en vigueur depuis 2012, prend en compte le cas spécifique des déplacés internes à la suite de catastrophes liées aux changements climatiques.

Au niveau régional toujours, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a appelé en 2019 dans sa résolution 2307 les États‑membres « à anticiper les travaux au niveau international par l’élaboration d’une législation nationale qui reconnaîtrait les migrants environnementaux et leurs besoins en matière de protection non seulement par le principe de nonrefoulement (…) mais aussi par une protection subsidiaire, par exemple par l’octroi d’un statut de résidence temporaire pour des motifs humanitaires ou d’un statut permanent en cas d’impossibilité de retour ».

Au niveau national, en France, le droit à l’asile est inscrit dans la Constitution. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) reconnaît deux formes de protection internationale. La première consiste à accorder le statut de réfugié aux personnes persécutées dans leurs pays d’origine pour plusieurs motifs. À ce titre, l’article 511‑1 du CESEDA reprend la définition de la Convention de Genève de 1951.

À défaut de remplir les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié, le CESEDA prévoit une seconde forme de protection : la protection subsidiaire. Selon l’article L. 512‑1 , le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne « pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle courrait dans son pays un risque réel de subir l’une des atteintes graves suivantes : 1°) La peine de mort ou une exécution ; 2°) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; 3°) S’agissant d’un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d’une situation de conflit armé interne ou international ».

Le cadre actuel de la protection subsidiaire peut permettre d’établir des liens indirects entre la situation dont se revendique le demandeur et de potentiels effets induits par des changements ou des catastrophes climatiques, dans le cas unique où ce dernier peut démontrer que ces bouleversements se sont accompagnés de violences et/ou de conflits. Pour autant, la simple existence de ce lien indirect ne saurait se suffire à lui‑même, car il apparait insuffisamment protecteur.

La France doit proposer de combler ce vide juridique, et permettre de protéger de manière effective les personnes contraintes de fuir du fait d’une détresse environnementale et ainsi permettre la mise à l’abri des victimes de catastrophes environnementales soudaines ou progressives, comme le propose le livret thématique de l’avenir en commun « Pour une politique migratoire humaniste et réaliste » ([5]). En se saisissant de cette urgence, notre pays pourrait montrer la marche à suivre aux autres États européens ainsi qu’à l’échelle internationale.

Nous proposons par conséquent d’élargir la définition de la protection subsidiaire afin d’y insérer un critère supplémentaire intégrant les déplacés environnementaux. Ainsi, l’article L. 512‑1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en France (CESEDA) pourrait s’appliquer à toute personne craignant d’être exposée, en cas de retour dans son pays d’origine, à des persécutions ou à une atteinte grave du fait d’une dégradation environnementale, soudaine ou progressive, dont les effets et conséquences peuvent s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant de phénomènes environnementaux ou des conséquences de l’activité humaine.

Le changement climatique ne connait pas de frontières. Le critère doit être celui de la détresse environnementale et non celui du nombre de personnes déplacées ou de leur destination. Le critère doit être celui du respect des droits humains. Les différents textes internationaux ainsi que le droit interne couvrent un large éventail de droits civils et politiques que la France se doit de respecter, et qui s’appliquent aux demandeurs d’asile et aux réfugiés. Ainsi, en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, il apparait manifestement illégal, car contraire au droit à la vie (article 6), de renvoyer des personnes dans des pays où les effets du changement climatique les exposent à des phénomènes mettant leur vie en danger, ou dans lesquels elles courent un risque réel de subir des traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 7).

 


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proposition de loi

Article unique

L’article L. 512‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un 4° ainsi rédigé :

« 4° Une menace grave contre sa vie ou des traitements inhumains et dégradants en raison d’une vulnérabilité environnementale, dont les effets et conséquences peuvent s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle, résultant d’une dégradation nette de leur environnement et de l’inaction des autorités en place. »

 

 


([1]) « Notre confiance est brisée », rapport de Human Rights Watch, juillet 2023 & «Inédit : les communautés ougandaises attaquent Total en justice», Les amis de la terre France, 27 juin 2023.

([2]) Climat : 250 millions de nouveaux déplacés d’ici à 2050, selon le HCR », News Nations Unies, 2008

([3])  Conseil de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Document de travail MC/INF/288 : Migration et environnement (2007) ; OIM, Dialogue international sur la migration (no 18), Changement climatique, dégradation de l’environnement et migration (2012).

([4]) Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), Considérations juridiques relatives aux demandes de protection internationale faites dans le contexte des effets néfastes du changement climatique et des catastrophes, 1er octobre 2020

([5])   https://melenchon2022.fr/wp-content/uploads/2022/02/Livret_UP_06_MIGRATION_web-1.pdf