N° 964
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 février 2025.
PROPOSITION DE LOI
relative à la protection sociale globale,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Martine FROGER, M. Stéphane LENORMAND, M. Laurent PANIFOUS, M. David TAUPIAC,
députée et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Cette proposition de loi entend constituer une nouvelle étape de l’État Providence en faisant de notre politique de protection sociale aujourd’hui compartimentée, un outil global.
Si notre système de protection sociale s’est construit progressivement, c’est en 1945 que l’étape la plus marquante est franchie, faisant passer notre modèle de celui d’assurances sociales spécifiques à certains secteurs, à celui d’un système général ouvert à toutes et tous : la sécurité sociale.
Dès octobre 1946, le Préambule de la Constitution de la IVème République reconnaîtra d’ailleurs le droit de tous à « la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui (…) se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
En 1988 le revenu minimum d'insertion (RMI) est créé (remplacé en 2008 par le revenu de solidarité active (RSA)), en 1996 la Constitution est modifiée afin de créer une nouvelle catégorie de lois, les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), gages de l’association de la représentation nationale à la détermination de l’équilibre financier de la Sécurité Sociale et à sa mise en œuvre.
À la sécurité sociale en tant que système, viennent s’ajouter un nombre important d’aides sociales destinées à celles et ceux de nos concitoyens dont les ressources, ou la situation, les rendent vulnérables. On peut citer les aides personnalisées au logement, dont l’origine remonte au début des années 1970, ou encore l’allocation pour adulte handicapé créée en 1975.
Mais aujourd’hui, ce système est devenu illisible, et le recours à des aides pourtant nécessaires est compliqué par la complexité de ce dernier.
Aides à la santé, à la famille, à l’achat d’énergies, à l’emploi, aux agriculteurs, aux personnes en situation de handicap, aux demandeurs d’asile, bourses étudiantes… Certaines prestations consistent en des sommes versées chaque mois aux bénéficiaires ou ponctuellement, d’autres prennent des formes différentes (la prime pour l’emploi est par exemple un crédit d’impôt). De plus, ces aides sont versées par une multitude d’organismes, auxquels il faut s’adresser pour en faire la demande.
La conséquence de cette nébuleuse est connue : les aides ne sont pas sollicitées et les personnes qui y sont pourtant éligibles n’y ont pas accès.
Ainsi, le taux de non‑recours reste très élevé et concerne par exemple plus du tiers des personnes éligibles au RSA (direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), 2022)), 30 % des personnes éligibles à l’assurance chômage (direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES, 2022)), ou encore la moitié des personnes vivant seules éligibles au minimum vieillesse. Il limite de façon inquiétante l’impact de certaines politiques, comme le soutien aux familles monoparentales (entre 14 et 17 % des allocataires susceptibles de bénéficier de l’allocation de soutien familial ne font pas valoir ce droit). Il est aussi un frein très fort à l’accès aux soins avec, par exemple, 32 % de non‑recours pour la complémentaire santé solidaire (C2S) gratuite, 68 % pour celle avec participation financière8 où il s’ajoute aux difficultés d’accès aux généralistes et aux spécialistes
En 2018, selon le baromètre d’opinion de la DREES, 74 % des personnes âgées de 18 ans ou plus et résidant en France métropolitaine pensent que « beaucoup de personnes ne bénéficient pas des droits ou allocations auxquelles elles peuvent prétendre » ; un chiffre élevé mais en recul de 6 points par rapport à 2016.
Quelle que soit la catégorie de la population interrogée, c’est toujours une opinion majoritaire, qui varie très peu selon le sexe, l’âge ou le niveau de diplôme.
Cette opinion est toutefois encore plus répandue parmi les ouvriers, les habitants des communes rurales et les personnes ayant les revenus les plus faibles et celles ayant perçu des allocations chômage au cours de l’année. Parmi les 20 % des ménages les plus modestes, 81 % considèrent que beaucoup de personnes ne bénéficient pas des droits auxquels elles peuvent prétendre, contre 65 % des personnes les plus aisées.
Il s’agit donc d’une réalité tant réelle que ressentie.
Les raisons sont diverses mais les premières d’entre elles sont la méconnaissance du public sur les dispositifs existants ainsi que le coût et la complexité d’accès à ces aides.
Elles représentent à elles seules 70 % des motifs du non‑recours. Ce sont justement ces deux variables que cette proposition de loi permet de corriger.
Ainsi, l’octroi d’une prestation déclenchera automatiquement l’examen d’éligibilité aux autres relevant du même champ et permettra d’améliorer concrètement la prise en charge des bénéficiaires sans pour autant retarder l’ouverture des droits relatifs à la demande initiale.
Ce dispositif permet de contourner la question du manque d’information et de la difficulté des démarches : ce n’est plus à chaque citoyen de faire ses recherches mais bien à la puissance publique de déclencher l’ensemble des aides auxquelles il a le droit.
Car le non‑recours aux droits a de lourdes conséquences dans plusieurs domaines tels que l’accès aux soins, l’exclusion sociale, l’accès au logement, l’alimentation, la réussite éducative ou encore l’autonomie. Il est aujourd’hui inconcevable que celles et ceux qui ont droit et besoin de ces aides ne puissent en bénéficier uniquement parce qu’ils n’ont pas déposé le bon dossier.
Cette proposition de loi marque donc un tournant dans notre approche de la protection sociale, en assurant l’application du droit, elle la rend globale en créant une obligation d’examen automatique des droits. En termes pratique, le système fonctionnera par « îlots ».
Le premier (I de l’article) serait dédié aux prestations liées à un handicap (allocation aux adultes handicapés (AAH), prestation de compensation du handicap (PCH), carte mobilité inclusion (CMI) et allocation personnalisée d'autonomie (APA)) le deuxième (II de l’article) englobera celles liées à de faibles ressources hors RSA (la prime d’activité et les trois aides personnalisées au logement (APL)). L’examen automatique aurait lieu au sein de ces îlots.
Afin de garantir le caractère global du dispositif, des « ponts » à sens unique, au nombre de trois, assureraient le passage d’un îlot vers d’autres prestations.
Le premier pont se ferait depuis l’îlot « handicap » vers l’îlot « faibles ressources » (III de l’article) car bien souvent, l’admission à une prestation liée à un handicap est subordonnée à de faibles ressources.
Le deuxième pont relierait chacun des deux îlots vers le RSA (IV de l’article), celui‑ci étant une prestation subsidiaire.
Enfin, le troisième et dernier pont lierait, comme le précèdent, les deux îlots à la protection complémentaire de santé (V de l’article).
Ce système permet de concilier l’efficacité pratique du dispositif, sa cohérence et sa globalité.
Afin de s’assurer de la mise en œuvre effective du dispositif, une fois celui‑ci inscrit dans le droit, le manquement aux obligations qu’il créé pourra être considéré comme constitutif d’une faute de nature à engager, en cas de préjudice, la responsabilité de l’administration selon les cas : administration ayant constaté le droit déclencheur et n’ayant pas saisi l’organisme compétent d’examen des droits sur une autre prestation ; ou responsabilité de celui‑ci si, bien qu’ayant été saisi, il n’a pas procédé au dit examen.
Cette proposition de loi s’inspire d’un dispositif présenté par amendement et voté à la quasi‑unanimité par le Sénat lors des débats autour du PLFSS 2021 puis supprimé par l’Assemblée nationale suite à l’échec de la CMP.
Lors des débats le Gouvernement s’était opposé à celui‑ci car, selon lui, la mise en œuvre pratique du dispositif et l’examen élargi des demandes pourrait conduire à un retard en matière d’ouverture des droits.
Avec la rédaction de cette proposition déjà déposée au Sénat par notre collègue M. Rachid Temal, Sénateur du Val d’Oise, l’élément déclencheur étant l’octroi de droits, cette objection n’a plus lieu d’être.
Nous avons l’occasion de marquer une nouvelle étape dans notre modèle de protection sociale qui, à coût constant, permettra de mieux protéger celles et ceux qui en ont besoin. Il nous appartient désormais de la saisir.
– 1 –
proposition de loi
Article unique
I. – Sous réserve des dispositions du VII et sauf lorsque cette décision est prise à la suite d’un examen prévu au présent I, l’admission au bénéfice de l’un des droits ou prestations suivants entraine automatiquement l’examen de l’éligibilité du bénéficiaire aux autres de ces droits et prestations qui ne lui sont pas incompatibles, soit en eux‑mêmes, soit en raison des conditions auxquelles ils sont soumis :
1° L’allocation aux adultes handicapés prévue aux articles L. 821‑1 et L. 821‑2 du code de la sécurité sociale ;
2° L’allocation prévue à l’article 35 de l’ordonnance n° 2002‑411 du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte ;
3° La prestation de compensation du handicap prévue à l’article L. 245‑1 du code de l’action sociale et des familles ;
4° L’allocation personnalisée d’autonomie prévue à l’article L. 231‑1 du même code ;
5° La carte « mobilité inclusion » prévue à l’article L. 241‑3 dudit code.
L’octroi d’une allocation pour un montant forfaitaire en application du deuxième alinéa de l’article L. 232‑12 du même code ou de l’avant‑dernier alinéa de l’article L. 232‑14 du même code ne constitue pas une admission au bénéfice d’un droit ou d’une prestation au sens du premier alinéa du présent I.
II. – Sous réserve des dispositions du VII et sauf lorsque cette décision est prise à la suite d’un examen prévu au présent II, l’admission au bénéfice de l’une des prestations suivantes entraine automatiquement l’examen de l’éligibilité du bénéficiaire aux autres prestations et qui ne lui sont pas incompatibles :
1° La prime d’activité prévue à l’article L. 841‑1 du code de la sécurité sociale ;
2° Chacune des aides personnelles au logement prévues à l’article L. 821‑1 du code de la construction et de l’habitation.
III. – Sous réserve des dispositions du VII et sauf lorsque cette décision est prise à la suite d’un examen prévu aux I ou II, l’autorité qui prononce l’admission au bénéfice d’un droit ou d’une prestation mentionnés aux 1° à 4° du I saisit sans délai les organismes compétents en vertu de l’article L. 843‑1 du code de la sécurité sociale et de l’article L. 812‑1 du code de la construction et de l’habitation afin qu’il soit procédé à l’examen de l’éligibilité de l’intéressé à, respectivement, la prime mentionnée au 1° du II du présent article et les aides mentionnées au 2° du même II.
IV. – Sous réserve des dispositions du VII et sauf lorsque cette décision est prise à la suite d’un examen prévu aux I ou II, l’autorité qui prononce l’admission au bénéfice d’un droit ou d’une prestation mentionné aux 1° à 4° du I ou au II saisit sans délai le président du conseil départemental aux fins d’examen par celle‑ci de l’éligibilité et, le cas échéant, d’admission du foyer bénéficiaire au revenu de solidarité active prévu à l’article L. 262‑2 du code de l’action sociale et des familles.
V. – Sous réserve des dispositions du VII et sauf lorsque cette décision est prise à la suite d’un examen prévu aux I ou II, l’autorité qui prononce l’admission au bénéfice d’un droit ou d’une prestation mentionné aux 1° à 4° du I ou au II saisit sans délai la caisse mentionnée à l’article L. 861‑5 du code de la sécurité sociale aux fins d’examen par celle‑ci de l’éligibilité et, le cas échéant, d’admission du bénéficiaire de ce droit ou de cette prestation à la protection complémentaire de santé prévue à l’article L. 861‑1 du même code.
VI. – Lorsque l’autorité qui prend une décision prévue au premier alinéa des I ou II en a la compétence, le cas échéant par délégation, et dispose de tous les éléments nécessaires, elle se prononce dans la même décision sur l’admission de l’intéressé au bénéfice d’un ou plusieurs autres droits ou prestations prévus, selon le cas, aux mêmes I ou II ainsi que, pour l’application du III, sur l’admission de son foyer au bénéfice du revenu de solidarité active.
Dans les autres cas, l’autorité informe le bénéficiaire, lors de la notification de sa décision, qu’il va être procédé sans délai à l’examen de son éligibilité aux autres droits et prestations et lui indique le ou les organismes chargés de l’instruction de cet examen. Le délai à prendre en compte pour déterminer les conséquences du silence gardé par ce ou ces organismes court alors à compter de cette notification.
Lorsqu’il est fait application des dispositions du deuxième alinéa du présent V, l’autorité peut communiquer à chacun des organismes saisis par elle les informations dont elle dispose sur les ressources de l’intéressé après en avoir informé celui‑ci.
VII. – Les autorités qui accordent un droit ou une prestation susceptible de donner lieu à un examen de l’éligibilité à un autre droit ou à une autre prestation en application des I à V n’ont pas, selon le cas, à procéder à cet examen ou à saisir à cette fin une autre autorité pour les droits ou prestations auxquels, au vu des éléments dont elles disposent, l’intéressé n’est manifestement pas éligible ou a déjà été admis.
VIII. – En cas de rejet d’une demande portant sur un droit ou une prestation relevant des I à IV, l’autorité peut procéder à l’examen de l’éligibilité du demandeur à une ou plusieurs autres droits ou prestations mentionnés aux mêmes I à IV ou saisir à cette fin l’autorité compétente.
Les délais de recours contre une décision rendue à la suite d’un examen ou d’une saisine intervenue en application du premier alinéa du présent VIII ne commencent à courir qu’à compter de la notification de cette décision à l’intéressé.
IX. – L’autorité qui, à l’issue de l’examen de l’éligibilité en application des I à V ou du VI, admet une personne au bénéfice d’un droit ou d’une prestation l’informe, dans la notification de sa décision, des éventuelles incompatibilités de ce droit ou de cette prestation. La personne peut à tout moment renoncer au bénéfice de ce droit ou de cette prestation.